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MERLEAU-PONTY (vie et oeuvre)

Maurice Merleau-Ponty est à la croisée de deux mouvements philosophiques: la phénoménologie de son maître, Edmund Husserl, et l'existentialisme de son ami Jean-Paul Sartre. Il rappelle que le philosophe est celui qui s'étonne et que l'attitude philosophique disparaît dès que cesse l'étonnement.

VIE

Maurice Merleau-Ponty appartient à la brillante génération universitaire de l'entre-deux guerres, qui comptait dans ses rangs Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Simone Weil, Emmanuel Mounier, Raymond Aron

Etude et enseignement
Né le 14 mars 1908 à Rochefort-sur-Mer, Merleau-Ponty devient élève de l'École Normale Supérieure en 1926. Il y fera la connaissance de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir, qui écrit dans "Mémoires d'une jeune fille rangée" qu'à l'École il fait partie des «talas». Agrégé de philosophie en 1930, il enseigne en province jusqu'en 1935, puis il rejoint l'ENS, où il sera «caïman» (répétiteur) jusqu'en 1939.

Engagement et notoriété
Mobilisé au 5e régiment d'Infanterie, il fait les campagnes de 1939-1940. Pendant l'occupation, il participe activement aux mouvements de la Résistance. En 1945, il soutient, pour le doctorat, deux thés feront date dans l'histoire de la philosophie. Il fonde avec Jean-Paul Sartre la revue "Les Temps modernes". En 1952, il est élu au Collège de France. En 1955, il se brouille avec Jean-Paul Sartre et quitte la direction de la revue. Il meurt brutalement à sa table de travail le 3 mai 1961.

OEUVRES

L'oeuvre de Maurice Merleau-Ponty est inachevée à un double titre. D'abord en raison de la mort soudaine de son auteur. Ensuite parce que c'est l'expression d'une pensée qui ne prétend à aucun moment en finir avec le questionnement du réel.

Structure du comportement (1942)
Contrairement aux behavioristes, qui ne voient dans le comportement des êtres vivants qu'une réponse réflexe à des stimuli, Maurice Merleau-Ponty estime que le comportement a une «structure», c'est-à-dire un ordre et une signification. C'est l'acte par lequel l'homme dépasse son enlisement dans le monde pour lui donner un sens. Il s'adapte à son milieu, mais il est aussi capable d'adapter le milieu à ses propres exigences. Il n'est pas seulement un être du monde, il est aussi un être qui se fait présent au monde.

Phénoménologie de la perception (1945)
Le monde n'est pas un spectacle se déroulant sous le regard d'un spectateur impartial. Le sujet est à tout moment engagé dans le monde, et par la perception nous donnons une signification subjective aux événements perçus. La sonnerie du téléphone n'a pas le même sens si j'attends impatiemment une nouvelle ou si elle interrompt brutalement une douce rêverie. Percevoir quelque chose, c'est lui donner un sens. Le sentir «investit la qualité d'une valeur vitale, la saisit d'abord dans sa signification pour nous». Il s'agit, pour Maurice Merleau-Ponty, de prendre parti contre le rationalisme qui, en faisant intervenir trop tôt le jugement, transforme trop vite le «monde vécu» en «monde objectif».

Éloge de la philosophie (1952)
Texte de la leçon inaugurale que Maurice Merleau Ponty prononce au Collège de France, l'Éloge définit le philosophe comme déchiré entre le savoir et l'ignorance. C'est «un étranger dans la mêlée fraternelle» des antagonismes, car il aime la vérité mais craint toujours les affirmations trop brèves et trop simples pour être vraies.

Les Aventures de la dialectique (1955)
D'abord séduit par les idéaux marxistes, Maurice Merleau-Ponty est amené à rompre avec le marxisme. Le communisme réel (Staline, les camps, la répression de la révolte hongroise) ne satisfaisant pas les idéaux d'émancipation et de liberté du communisme théorique, il semble que la dialectique de l'histoire se soit engagée dans de douteuses aventures.

EPOQUE


A la recherche de nouvelles voies
La première moitié du siècle est le temps de deux guerres et du désarroi de toute une génération. Avec Friedrich Hegel, un mouvement s'est achevé; avec Friedrich Nietzsche quelque chose de nouveau a cherché à s'exprimer. La philosophie du XXe siècle exploite les deux: tantôt, on soutiendra qu'il n'y a plus rien à penser et que seule la gestion politique de la vie des peuples est digne d'être assumée. Tantôt on réclamera le retour au sens commun pour retrouver «les choses mêmes». Nombreux seront les philosophes qui chercheront à établir un nouveau rapport à l'Être, et Maurice Merleau-Ponty en fait partie.

Le marxisme
Les disciples de Karl Marx vont affirmer qu'il convient de se détourner de la spéculation pour s'engager dans une réelle transformation du monde. C'est cette rupture qui sera qualifiée de matérialiste en tant qu'elle démystifie ce que l'univers des idées dissimulait.

APPORTS

Celui que Paul Ricœur appelle «le plus grand des phénoménologues français» est le premier à avoir pensé l'entrelacement du voyant et du visible pour restituer le rapport à l'«être sauvage» antérieur à toute réflexion.

Art et philosophie. Maurice Merleau-Ponty est l'un des premiers penseurs du XXe siècle à contester l'opposition entre la philosophie et la littérature. Selon lui, «la tâche de la littérature et celle de la philosophie ne peuvent plus être séparées» ("Sens et Non-sens"). Il y a une solidarité entre l'art, la littérature et la philosophie. L'idéal d'un langage et d'une pensée «purs» qui hante la tradition philosophique est tout à fait illusoire. Comme l'écrivain et le peintre moderne, le philosophe doit tenter de rendre manifeste, par-delà ce qu'il dit, l'activité de penser qui l'anime. «Ce que j'essaie de vous traduire est plus mystérieux, s'enchevêtre aux racines mêmes de l'être, à la source impalpable des sensations.» Ce mot de Paul Cézanne, que Maurice Merleau-Ponty citait souvent, semble attester de la réalité de cette parenté.
Postérité-actualité. Philosophe de la conscience, héritier de René Descartes, qu'il ne cesse de méditer pour mieux le contester, Maurice Merleau-Ponty a engagé le dialogue avec les sciences humaines (anthropologie, linguistique, psychanalyse…) et s'est efforcé de justifier phénoménologiquement le concept d'inconscient: l'analyse du vécu fait apparaître une conscience qui s'échappe à elle-même, une conscience baignée d'inconscient. La réflexion politique de Maurice Merleau-Ponty est également importante. Bien avant les «nouveaux philosophes», il a mis en question l'idéologie marxiste, et sa pensée a alimenté la réflexion sur le socialisme comme elle anime encore le dialogue de la philosophie et des sciences humaines.

 

 

MERLEAU-PONTY Maurice. Philosophe français. Né le 14 mai 1908 à Rochefort (Charente-Maritime), mort le 3 mai 1961 à Paris. Après des études secondaires à Paris, il entre à l’École Normale Supérieure et est reçu en 1930 à l’agrégation de philosophie. Pendant la guerre, il participe à la Résistance; en 1948 il est nommé professeur à l’Université de Lyon. Il assume en même temps la direction de la revue Les Temps Modernes avec Jean-Paul Sartre. De 1949 à 1952, il assume la chaire de psychologie de l’enfant et de pédagogie à la Sorbonne. En 1952, il entre au Collège de France. La publication des Aventures de la dialectique en 1955 lui vaut une rupture avec Jean-Paul Sartre et l’équipe des temps Modernes. Le 3 mai 1961, Maurice Merleau-Ponty, dont l’œuvre rencontre de plus en plus d’échos, meurt brutalement à Paris. Dans Les Temps Modernes, Sartre consacre à son ancien ami un article émouvant.
L’œuvre écrite de Maurice Merleau-Ponty est relativement brève : La Structure du comportement (1942), La Phénoménologie de la perception (1945), Humanisme et terreur (1947), Sens et non-sens (1948), Eloge de la philosophie (1953), Les Aventures de la dialectique (1955), Signes (1960), à quoi il faut ajouter une série d’écrits posthumes, publiés après 1961 par Claude Lefort : L’Œil et l’esprit (1964), Le Visible et l’invisible (1964), et enfin La Prose du monde (1969).
La pensée de Merleau-Ponty se fonde à la fois sur une réflexion d’orientation phénoménologique et sur une tentative d’intégration des sciences de l’homme — au premier chef la psychologie et la linguistique — à la philosophie. En ceci, elle est plus proche de celle de Paul Ricœur que de l’existentialisme sartrien. Le point de départ de l’œuvre du philosophe est donné par la Phénoménologie de la perception : ce dernier ouvrage, publié trois ans après La Structure du comportement, explore une dimension philosophique que La Structure du comportement, tout entière consacrée à l’élaboration philosophique des observations de la psychologie de la forme, avait négligée.
Husserl, le maître de Merleau-Ponty — un maître qu’il ne cessera d’interroger toute sa vie — était dès ses Recherches logiques parti en guerre contre l’empirisme et le psychologisme. Contre la prétention de ceux-ci à vouloir fonder la logique et la science sur les sensations et les associations, il avait réclamé la création d’une théorie du sujet, pure de tout naturalisme, mais fidèle « aux choses mêmes ». Cela avait donné la phénoménologie, conçue comme une description de ce qui « apparaît » (le « phénomène ») à la conscience. Mais pour ne pas retomber de nouveau dans une description empirique, Husserl avait repris le vieux programme kantien d’une « analytique transcendantale du sujet ». Analytique fondée, cette fois, sur la description phénoménologique du « vécu » de la conscience. Le résultat de cette analytique faisait apparaître, dans les derniers travaux du philosophe allemand, la perception comme le « sol » absolu de toute science et de toute pensée. Sur ce chemin, Husserl redécouvrait peu à peu le corps, l’intersubjectivité et l’Histoire. On peut dire que Merleau-Ponty, bien plus que Heidegger et Sartre, a cherché à explorer cette dimension ouverte par Husserl.
La Phénoménologie de la perception reprend point par point les analyses husserliennes, mais en les rendant plus concrètes et en les enrichissant de l’apport des psychologies modernes. Merleau-Ponty « décrit » ainsi la conscience du corps, des choses, de l’espace et du temps, mais aussi des autres et du langage. La conscience de soi n’est pas engluée dans l’altérité du monde, comme elle l’est encore dans L’Etre et le néant de Sartre. Au contraire, le corps est le « véhicule de l’être au monde », la parole est ce qui déploie les significations, autrui est l’horizon constitutif de mon monde. Avec un talent littéraire et presque pictural peu fréquent chez les philosophes, Merleau-Ponty décrit ce qu’il appelle de plus en plus la « chair du sensible ». Ce retour au sujet concret n’est jamais chez lui une retombée dans l’empirisme vulgaire : le sujet charnel, historique, « mondain », est le véritable sujet transcendantal. Nous sommes loin du sujet purement formel qu’exigeait Kant pour constituer le monde et l’expérience, mais loin aussi du « pour-soi » désincarné de Sartre, éternellement opposé à l’inertie de l’« en-soi », pure liberté engluée dans les choses. Subtilement, et constamment fidèle à la « description phénoménologique », Merleau-Ponty découvre une dimension où l’opposition de l’« en-soi » et du « pour-soi » perd une grande partie de son sens. L’homme est liberté et déterminisme, activité et passivité, et inversement les choses ne sont jamais « pure inertie », pur « en-soi » : comme la conscience, elles participent d’un même continuum sensible qui est le « monde ».
A travers l’interrogation des poètes et des écrivains, mais aussi — et de plus en plus — des peintres, Merleau-Ponty approfondit ce qu’il appelle la recherche de l’« Etre brut », cette dimension existentielle, presque cosmique, préalable à tout savoir constitué. L’Œil et l’esprit, Le Visible et l’invisible, La Prose du monde montrent, bien qu’il ne s’agisse que de fragments ou de textes laissés à l’état de manuscrits, comment aurait pu évoluer la pensée du philosophe, si la mort ne l’avait pas interrompue.
Philosophe de la conscience, et héritier malgré lui de Descartes (qu’il ne cesse de méditer pour mieux le contester), Merleau-Ponty a tenté, comme plus tard Paul Ricœur, d’engager le dialogue avec les sciences de l’homme (ethnologie, linguistique et psychanalyse), fondées plutôt sur le concept d’inconscient. Loin de rejeter ce concept, comme Sartre, il s’efforce de le justifier phénoménologiquement : l’analyse du vécu subjectif fait apparaître une conscience qui, paradoxalement, s’échappe à elle-même, débordée par ses propres significations, une conscience baignée d’inconscient. Malgré l’incompatibilité apparente de ce concept d’inconscient avec le concept d’inconscient freudien, Merleau-Ponty a poursuivi jusqu’au bout le dialogue avec le plus radical des théoriciens de la psychanalyse, Jacques Lacan.
L’œuvre « politique » de Merleau-Ponty est également importante. Sa lucidité lui a valu à l’époque des inimitiés multiples : bien avant les « nouveaux philosophes », et sans doute plus radicalement, il a mis en question l’idéologie marxiste (telle que 1 avait déformée le stalinisme) et la fascination aveugle exercée par l’expérience soviétique sur les intellectuels français. Les Aventures de la Dialectique restent encore d’une cruelle actualité. D’une certaine manière, cette réflexion politique a alimenté des pensées sur le socialisme aussi riches de sens que celles de Claude Lefort et de Castoriadis. Paul Ricœur et Alphonse de Waelhens, de leur côté, ont approfondi le dialogue avec les sciences humaines qui avait été le souci le plus constant de Merleau-Ponty.




[…] bien la compréhension phénoménologique du sens illustrée par les travaux de Sartre ou Merleau-Ponty (§ 2) et l’herméneutique de Ricoeur (§ 4). Il s’agit de deux méthodes différentes […]



[…] ne se superpose pas au biologique. « L’usage qu’un homme fera de son corps, observe M. Merleau-Ponty, est transcendant à l’égard de ce corps comme être simplement biologique. Il n’est pas […]

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