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MEDICATIONS PSYCHOLOGIQUES

 Sous ce titre, Les médications psychologiques, Pierre Janet a réuni en 1919 les grandes théories et nombre de fragments d’observations cliniques constituant la somme personnelle de sa conception des « méthodes de la psychothérapie ». Situant ces dernières les unes par rapport aux autres, il présente son œuvre à un stade de maturité et prouve que psychopathologie et psychothérapie sont étroitement liées. Simultanément au développement de l’œuvre freudienne, dans une perspective plus proche de l’empirisme et du behaviorisme anglo-saxon, les réflexions de P. Janet se veulent fondées sur l’expérimentation et l’objectivité, sur l’intérêt porté au malade individuel et à son évolution positive, compte tenu des moyens dont dispose le psychiatre autant que des particularités de personnalité, de situation ou cliniques des malades. Le point de départ consiste à reconnaître la diversité des méthodes de la psychothérapie, à les distinguer les unes des autres et en les décrivant à préciser leurs indications d’emploi. Les données historiques concernant la croissance de la psychothérapie depuis le début du xixe siècle montrent la montée de l’intérêt pour les faits psychologiques, à travers tout d’abord le « magnétisme » issu de Mesmer jusqu’à « l’hypnotisme » et aux écoles de la Salpêtrière et de Nancy. La masse des tentatives et les rayons entiers de bibliothèques qui leur furent consacrés, comme le fait que les scientifiques les plus sérieux se sont retrouvés dans ce mouvement, vont de pair en réalité avec la croissance et les premiers pas de la psychothérapie. La force du mouvement psychothérapique se manifeste bien dans l’intensité du conflit qui opposa Charcot à Berhneim, le premier persuadé d’une action quasi physiologique de la « métallothérapie », le second percevant clairement l’influence du thérapeute et de la suggestion. Nul mieux que Janet n’a compris le message de Bernheim alors même qu’après la mort de Charcot l’hypnotisme était en pleine régression. Il continue à tirer de la pratique hypnotique une connaissance approfondie de ce qu’il a dénommé « l’automatisme psychologique », utilisant ainsi < l’appel à l’automatisme >, à des fins psychothérapiques. Les schémas psychopathologiques de Janet sont axés en effet sur l’action et ses niveaux de réalisation. Il individualise des unités de conduite se structurant à partir de tendances à l’état latent, « s’activant plus ou moins en passant par des stades de l’érection, du désir, de l’effort avant d’arriver à l’action complète et au triomphe ». La suggestion détermine des quasi-actions soit automatiques, soit subconscientes, où manquent donc l’adaptation du sujet à sa propre action, ou tout sentiment personnel de sa réalisation. Le sentiment de l’action est, en effet, nécessaire à l’intégration de celle-ci à la personnalité. Les thérapeutiques à base de suggestion se fondent ainsi sur la possibilité, chez certains patients, d’une intervention directe au niveau de l’émergence de l’action, en se passant en quelque sorte de l’accord et de l’intégration personnelles. L’hypnose et les formes diverses d’ < appel à l’automatisme » sont ici évoquées. Le traitement des faits de conversion hystérique (paralysies, déficits sensoriels, etc.) est conduit sous hypnose. Janet est conscient des limites d’emploi de cette dernière. Il présente même une statistique où sont relevées 250 guérisons « à l’actif du traitement suggestif employé seul ». Mais « ces cas sont extraits d’une collection énorme d’observations que j’ai recueillies et classées toute ma vie, avec la patience d’un collectionneur et qui sont au moins au nombre de 3 500 ». Le traitement hypnotique a été tenté dans les cas nombreux où il paraissait utile. Mais, d’après les chiffres ci-dessus, « cela ne nous donne plus à l’actif de la suggestion qu’un pauvre 7 % ». Notons au passage que Janet, par souci de rigueur, laisse de côté ici les formes directes de suggestion classées dans les méthodes dites de moralisation (suggestions réconfortantes et stimulantes) ou dans celles dites de direction (appelées aujourd’hui de soutien, ou rationnelles). L’action de la suggestion proprement dite est possible lorsque le malade possède des réserves énergétiques inemployées : « La suggestion consiste à provoquer artificiellement, sous la forme d’une impulsion, le fonctionnement d’une tendance que le sujet ne peut obtenir sous la forme d’une volonté personnelle... Pour que cet appel soit entendu, pour qu’il détermine une activation, il faut que le sujet ait en réserve, malgré les paralysies apparentes, des tendances bien organisées et suffisamment chargées... » (t. I, p. 340). Les thérapeutiques par l'économie constituent un second volet dans l’ensemble des méthodes de la psychothérapie. Janet met au premier plan des processus pathologiques, ce qu’il dénomme la dépression, c’est-à-dire la manifestation d’un épuisement des forces disponibles pour l’action. Un certain nombre de ces patients ont à supporter, en réalité, une « dépense supplémentaire à côté de leur train de vie ordinaire (...), dépense cachée trop considérable pour leurs ressources » (II, p. 303), c’est-à-dire l’existence de souvenirs traumatiques latents ou ces fixations affectives que Janet dénomme « idées fixes ». C’est alors que doivent intervenir les méthodes de liquidation et de désinfection morale. Les événements non assimilés semblent arrêter l’évolution de la vie psychologique, autant d’ « accrochages » où une aide extérieure s’avère nécessaire. Pour Janet, « la mémoire, comme la croyance, comme tous les faits psychologiques est une action : elle consiste essentiellement dans l'acte de raconter. Une situation n’est bien liquidée, bien assimilée que lorsque nous avons réagi non seulement extérieurement par nos mouvements, mais encore intérieurement par les paroles que nous nous adressons à nous-mêmes, par l’organisation du récit de l’événement aux autres et à nous-mêmes et par la mise en place de ce récit comme un chapitre de notre propre histoire » (II, pp. 272-273). Ce stade de la liquidation est sur le plan de l’adaptation, voisin du stade du triomphe, qui se réalise au plan du sentiment. La réintégration dans la conscience peut être obtenue par la simple réminiscence en état hypnotique. Une action beaucoup plus complexe est souvent demandée au thérapeute. Janet, encore une fois grâce à l’utilisation magistrale, imaginative et adroite, de l’hypnose, a conduit dans un nombre notable de cas ce qu’il nomme « la dissociation des réminiscences ». L’observation de Justine, dans Névroses et Idées fixes, ouvrage paru en 1868, est démonstratrice. « Pierre par pierre », c’est-à-dire image après image et mot après mot, Janet décompose et détruit les éléments sensoriels de l'« idée fixe ». Dans la phobie du mot choléra et les éléments mnésiques qui lui sont rattachés et demeurent non liquidés : « (..) J’ai dû supprimer peu à peu le son des cloches, la vision des cadavres, leur odeur, puis le nom même de choléra qui constituaient les éléments de cette idée fixe. Parfois je me trouvais bien d’utiliser une sorte de substitution en transformant par des hallucinations provoquées les scènes que le sujet avait devant les yeux. Le travail a été long et difficile, mais je suis parvenu à faire disparaître une idée hallucinatoire qui persistait chez la malade depuis plus de vingt ans ». Pénétrant ainsi, grâce à l’hypnose, dans le substrat imaginaire des cauchemars hystériques, Janet apporte la démonstration de l’efficacité du travail psychologique au niveau des images. Lors même que les états cliniques qu’il évoque sont plus rares ou se présentent d’une façon différente de ce qu’ils étaient il y a quatre-vingts ans, il s’agit des premiers pas dans une voie capitale, sinon royale, de la pratique psychothérapique. Parmi les autres moyens d’« économie psychologique >, Janet décrit les traitements par le repos et par l’isolement. Ceci fait partie des interventions courantes. Certains sujets doivent savoir se tenir en marge des activités qui épuisent leurs forces psychologiques tandis que d’autres auront à marquer des temps d’arrêt dans leur implication affective ou sociale. Il s’agit de dépasser les automatismes anciens et d’accroître les possibilités du sujet, « de lui faire acquérir des tendances nouvelles, d’augmenter ses forces ou de lui faire récupérer celles qu’il a perdues >. Moins précis, selon Janet, et moins définis que les précédents, les procédés qui aboutissent à ces acquisitions psychologiques sont l’éducation, l’excitation et la direction. Les aspects pédagogiques de la psychothérapie, leurs limites autant que leurs succès possibles constituent certainement un chapitre d’importance notable au sein des médications psychologiques. Il y a là toujours possibilité d’échecs, compte tenu de la faiblesse des ressources disponibles chez nombre de névrosés pour qui tel est justement le problème. Toutefois Janet prévoyait ici un domaine à cultiver, « l’éducation n’est pas sans utilité, elle agit plus tardivement, à une période déjà avancée de la guérison. Son rôle essentiel consiste à transformer une action en une tendance automatique, à la fixer en quelque sorte » (III, p. 74). Plus originale, la notion d’excitation a en fait donné lieu à de nombreuses recettes empiriques, fondées en particulier sur la stimulation tirée de l’occupation, du travail, de la création, une activité dont le but précis en soi est finalement moins utile à la personnalité que la mise en train des structures psychologiques qu’elle réclame. Chacun dose, dans sa vie personnelle, l’emploi de telles stimulations et les malades névrosés, pessimistes le plus souvent, peuvent être incités à se soumettre à cette loi. Les actions difficiles ou risquées, les rencontres et les épreuves, les difficultés ou efforts de tous ordres augmentent finalement le niveau de tension mentale, d’autant plus que leur aboutissement est considéré par le patient comme obtenu par lui-même. La « recherche de l’excitation » est un phénomène basal, selon Janet, qui rattache à ce besoin nombres de conduites pathologiques ou impulsions, boulimie ou anorexie, toxicomanie, recherche de l’excitation sexuelle ou sociale. A l’inverse des « accrochages >, les « actes excitants » sont des actes complets, conduits à leur conclusion, s’accompagnant du sentiment de leur réussite : « l’excitation est la conséquence des actions réussies, réussies physiquement, socialement, psychologiquement, qui ont pu être poussées jusqu’à leur dernier terme avant que l’épuisement ne les arrête. Le succès engendre le succès ». La tension et le bénéfice énergétique ainsi acquis vont gagner l’ensemble des conduites, dit Janet, selon les lois de la mobilisation et de l’irradiation psychologique. — Face au facteur global de la dépression — baisse de la tension et de la force psychologiques — le thérapeute doit travailler à créer des impulsions chez son patient, l’aider à prévoir des actions qu’il soit capable d’accomplir et sans intervention excessive faciliter leur accomplissement correct et complet d’une façon qui les rende plus excitantes. Les sentiments d’unité de la personnalité, de plaisir de l’action, de spontanéité et de liberté jouent un rôle aussi grand que la perfection de l’acte et « c’est avant tout cette perfection des sentiments intérieurs qu’il faut chercher à obtenir» (III, p. 160). Du chapitre consacré par Janet aux médications psychophysiologiques, il suffit de dire qu’il est de son temps et qu’il est à sa place. N’est-il pas nécessaire d’ajouter au passage que des progrès des plus considérables ont été obtenus dans le traitement des névroses depuis la découverte et l’emploi des médicaments psychotropes modernes. La présence des tranquillisants, des hypnotiques, des antidépresseurs est essentielle au point qu’elle passe inaperçue, comme si très souvent il allait de soi que le tranquillisant fasse partie du traitement. Janet, comme Freud, a appelé de ses vœux ces progrès, trop plongé dans la misère morale de ses patients pour ne pas identifier toute voie possible. Janet s’exprimait ainsi en une phrase de conclusion : < Quand les études des médications psychophysiologiques auront fait des progrès, la psychothérapie en tirera de précieux avantages » (III, p. 874). Méthode de la psychothérapie, la « direction morale » est décrite au terme de l’ouvrage, sans doute manifestant la conscience chez Janet de la complexité des tâches propres au thérapeute. Elle est à considérer comme une science, mais « cette science n’est qu’en formation » (III, p. 379). Nombreux sont les patients qui insistent auprès du thérapeute pour obtenir ce soutien et cette aide permanente, certains se sentent accompagnés ou surveillés par leur < directeur >, auprès de qui ils ont acquis l’habitude du < être compris >. Le stade initial de la direction, sa mise en route et les résistances qui lui sont opposées, la défense nécessaire du thérapeute face au névropathe, les difficultés réelles ou non de la direction, le jeu du thérapeute, le passage de la direction au soutien (ou à la < garde médicale »), l’intervalle entre les séances, la direction continue ou discontinue sont évoquées au fil des pages, fragments et illustrations cliniques à l’appui. Et pour conclure : « il est bien probable qu’une analyse psychologique plus précise des relations sociales et des diverses influences que les hommes exercent inévitablement les uns sur les autres, donnera plus tard à ce traitement une importance plus grande ». Un souci constant de précision et d’objectivité a donc maintenu Janet dans une réserve prudente vis-à-vis de synthèses prématurées. Il est significatif qu’à propos de ce qu’il appelait la < direction morale » puisse venir à l’esprit les thèses de la non-directivité et surtout l’objectivation des traits de la relation interpersonnelle dues à Rogers. L’accent médical de l’oeuvre de Janet rappelle que la psychiatrie et les éléments somatiques — ou psychophysiologiques — des soins demeurent des données d’un fond sur lequel la psychothérapie se détache plutôt que d’un ensemble dont elle aurait à se détacher. Pour Janet, la psychothérapie est « une application de la science psychologique au traitement des maladies ».

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