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L’Union européenne apparaît comme une tentative inédite de construction multinationale organisée par des États

L’Union européenne apparaît comme une tentative inédite de construction multinationale organisée par des États Il y a cinquante-deux ans, six États européens décidaient de créer entre eux des « solidarités matérielles et spirituelles » (déclaration de Robert Schuman le 9 mai 1950). Il s’agissait de mettre fin à trente ans de « guerre civile européenne ». Il s’agissait aussi de dompter l’Allemagne, l’expérience ayant démontré que l’on ne pouvait la démanteler, et de constituer, sous l’égide américaine, un bloc européen occidental capable de résister aux pressions de l’ensemble soviétique. Quarante ans plus tard, le projet européen a connu une véritable refondation. L’effondrement du Mur de Berlin et de l’empire soviétique a contraint la Communautééconomique des Douze à repenser l’Europe. La « menace communiste » s’est évanouie et a laissé la place aux dangers d’un chaos international. L’Allemagne aspirait à se réunifier, ravivant chez certains le spectre d’une puissance incontrôlable ou d’une hégémonie sur le continent. Les chefs d’État et de gouvernement firent le choix historique d’un approfondissement de la construction européenne susceptible de doter l’ensemble du continent d’une architecture nouvelle. Le traité de Maastricht, signé le 7 février 1992, se voulait un nouveau départ. Négocié par les gouvernements des États membres, selon les préceptes de la diplomatie classique, il témoigne à la fois des ambitions et des réticences des dirigeants politiques européens. Le choix d’abandonner le qualificatif «économique» de la Communauté et de l’incorporer dans une Union dotée de compétences politiques est en soi signe d’une volonté de refondation. Les États européens ont d’abord décidé de prolonger l’acquis des décennies précédentes : l’Union économique et monétaire permit la construction par étapes d’une monnaie commune, l’euro, complétant le Marché unique. Ils se sont engagés aussi, mais avec prudence, àétablir une Politique extérieure et de sécurité commune (PESC), couplée ensuite à une politique de défense, et à coordonner leurs actions en matière de justice et d’affaires intérieures (JAI). L’Union européenne (UE) repose ainsi sur trois piliers : la Communauté et ses compétences économiques et monétaires, d’un côté, les deux piliers politiques, qui restent soumis à un mode de fonctionnement diplomatique, de l’autre. Au-delà de l’intégration monétaire, une coordination économique balbutiante Le tournant annoncé en 1992 n’aura été que partiel. Douze des quinze États membres sont parvenus, au terme d’un processus de convergence économique contraignant, à entrer dans l’Union monétaire créée le 1er janvier 1999 [voir « La création de l’euro modifie le fonctionnement du Système monétaire international »]. Depuis le 1er janvier 2002, les citoyens de ces États utilisent l’euro au quotidien, tandis qu’ont disparu leurs monnaies nationales. Une Banque centrale européenne (BCE), jouissant d’une autonomie très large, gère cette monnaie commune en collaboration avec les banques centrales des pays membres de la zone euro. La coordination des politiques économiques reste, quant à elle, balbutiante. De « sommet » en Conseil, certains déplorent l’absence d’un « gouvernement économique » qui pourrait contribuer à une plus grande convergence de leurs politiques budgétaires, sociales ou fiscales. L’Union européenne ne s’est dotée, avec le traité d’Amsterdam signé en 1997, que de compétences très parcellaires en ces matières. Les traditions nationales restent très éloignées dès lors qu’il s’agit de mécanismes de solidarité et des affaires sociales. Les limites de la construction européenne sont plus visibles encore dans sa dimension extérieure. Les guerres dans l’ancienne Yougoslavie ont révélé, tout au long de la décennie, le poids des histoires nationales, empêchant l’émergence de positions communes claires et fortes entre Européens. À l’aube du xxie siècle, l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord) restait la seule organisation militaire capable d’agir de manière rapide et déterminée, reportant sine die l’aspiration à une identité européenne de défense indépendante des stratégies américaines. Eppur, si muove ! En dépit de ces limites, le « modèle européen » exerce une séduction certaine sur les régions périphériques de l’Europe, voire au-delà. En 1995, l’Union s’est élargie à trois nouveaux États (Autriche, Finlande et Suède) tandis que les Norvégiens rejetaient l’adhésion par référendum. À la fin de l’année 1996, quinze autres États, issus pour la plupart de l’ancien bloc soviétique, avaient déposé une candidature d’adhésion. Les négociations ont débuté au printemps 1998 et 10 nouveaux États devraient entrer dans l’UE en 2005 (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Slovénie, Chypre et Malte). Ailleurs dans le monde, le modèle d’intégration européenne est suivi avec attention et stimule les projets de construction de blocs régionaux économiques et commerciaux (ALENA, Mercosur, ANSEA...). L’Europe contribue ainsi à tracer la voie d’une recomposition de l’espace mondial autour d’ensembles régionaux. Une construction des institutions à poursuivre La perspective d’une Europe large, groupant une trentaine d’États, la plupart de dimensions modestes, constitue un nouveau défi pour l’Union. Ses politiques de soutien à l’agriculture et aux régions défavorisées devront être révisées, puisque les États membres ne sont pas prêts à lancer un nouveau plan Marshall vers l’autre moitié du continent. Les institutions devront également être revues. Ni le traité d’Amsterdam ni celui de Nice (2000) n’ont préparé l’Union à intégrer dix ou quinze nouveaux États, et la convention mise en place par le sommet de Laeken (décembre 2001) pour préparer la prochaine Conférence intergouvernementale (CIG) devait à la fois dégager un nouveau consensus européen et réformer le système institutionnel. La Commission est loin d’être devenue le « gouvernement » de l’Europe, que Romano Prodi, son président, appelait de ses vœux en 1999. Surchargée de compétences, dotée de faibles moyens, traversée de tensions nationales, elle a cessé d’être le moteur de l’Europe qu’elle fut dans la décennie précédente. Le Parlement européen, bien qu’il possède désormais de plus larges compétences législatives et budgétaires, reste faiblement structuré et continue d’apparaître comme une institution éloignée des citoyens européens, qui furent moins de 50 % à prendre part à son élection en juin 1999. Quant au Conseil des ministres, il parvient de plus en plus difficilement à coordonner ses multiples champs d’action et est frappé d’inertie dans les domaines où l’unanimité reste la règle. Au début du xxie siècle, les opinions publiques européennes semblaient aspirer à développer cette construction, dans les domaines de l’emploi et de la sécurité en particulier, tout en se méfiant d’institutions qui leur apparaissent se soustraire à leurs volonté et pâtir d’un « déficit démocratique ». L’Union européenne se trouvait, au crépuscule du xxe siècle, dans une situation paradoxale. L’attrait qu’elle exerçait sur les régions qui la bordent montre que la méthode inventée par les Européens pour substituer la coopération à la guerre, affermir les principes démocratiques et établir un cadre économique commun est considérée, hors de ses frontières, comme un succès historique. Mais l’incapacité de ses États membres à dégager une ligne claire dans les guerres yougoslaves, les difficultés qu’ils éprouvent à s’entendre sur les moyens de lutter contre un chômage qui atteint des sommets inégalés témoignent d’une oscillation entre l’attachement aux États-nations et le désir d’Europe.

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