Databac

Le dialogue exclut-il toute violence ? (Les pouvoirs de la parole - L’art de la parole)

Le dialogue exclut-il toute violence? (Cours de spécialité d'humanités, littérature et philosophie)

Introduction  : Dialogue (du grec "dialegein", " discourir l'un avec l'autre "). Chez Platon, forme de recherche philosophique de la vérité. Dans la pensée contemporaine, communication des consciences . En politique, effort de conciliation par la discussion. Dans tous les cas, respect de l'autre. Engager le dialogue, est-ce affirmer que la raison peut triompher du chaos et de la violence? L'art du dialogue n'est-il pas souvent un art de la tromperie et une façon insidieuse de dominer l'autre sans en avoir l'air?

THESE  : Le dialogue est un outil polémique car rien n'interdit de prêter à l'un des participants des opinions que l'on veut critiquer. C'est un artifice qui permet de venir à bout d'un opposant sans violence apparente.

ANTITHESE  : Le dialogue est le propre de l'homme raisonnable. Seul un tel homme est capable, non seulement de communiquer avec autrui, mais encore d'échanger des idées avec lui, de poser des questions, de répondre.

SYNTHÈSE  : Quelles conditions un dialogue exclut-il vraiment la violence?

1a) L'art du dialogue est un art du mensonge . La sophistique grecque a la mauvaise réputation d'avoir été la pratique d'un discours déréglé, cherchant, au moyen d'arguments fallacieux, à séduire un auditoire et à flatter l'opinion plutôt qu'à atteindre la vérité . Dans Gorgias , Platon fait parler l'un de cesprofesseurs de rhétorique; le sophiste ne fait aucun usage du langage en vuedu vrai , qu'il tient d'ailleurs dans un solide mépris. Son but est ailleurs: capter- autant dire capturer - l'assentiment de l'interlocuteur, même et surtout si lathèse défendue est fausse. Gorgias se fait fort de dissuader un malade deprendre un médicament prescrit par le médecin! Il ne s'agit plus d'avoir raison d'un interlocuteur, mais d'avoir raison de lui ; le sophiste ne veut pas convaincre, mais vaincre . Un tel usage du langage traite les mots comme des armes , dont il faut seulement apprendre le maniement; le dialogue fait place à un combat oratoire où la stratégie s'appelle rhétorique . La fable de La Fontaine, «Le Corbeau et le renard» , illustre le pouvoir des mots dans son aspect le moins noble et le plus flatteur. Avec la société contemporaine, l'usage du langage comme instrument de pouvoir voire même de propagande se développe. Pensons aux médias, aux scientifiques, aux experts, aux publicitaires, aux spécialistes de la communication (qui sont en quelque sorte les sophistes d'aujourd'hui – nos « menteurs professionnels », diront les plus critiques) …

2a) Le dialogue est fondé sur la raison . Le dialogue institue entre les hommes un rapport fondé sur la raison et non sur la violence . Le discours rationnel à ses lois, communes à tous, qui sont préférables à la loi du plus fort. Affirmer la nécessité du dialogue, c'est dire que la vérité est toujours l'objet d'une recherche commune et rationnelle , et jamais une révélation susceptible de s'imposer par la force. Dans l'expérience du dialogue se constitue entre moi et autrui un terrain commun . Penser, c'est penser avec autrui, en se confrontant puis se confondant avec autrui . Le dialogue est l' expérience de la réciprocité. La raison est « communicationnelle ». Elle est dialogique. La relation de violence s'installe entre des hommes ou des groupes lorsque le dialogue n'est plus possible, ou n'est pas voulu; la relation violente est pur déchaînement de forces, où chacun des protagonistes ne compte que sur ses forces pour venir à bout de celui qui est désormais un adversaire à abattre. A l'inverse, lorsque s'apaisent les conflits violents, surviennent souvent la parole, le dialogue, la négociation.

«Les hommes qui sont déjà d'accord sur l'essentiel (...) acceptent le dialogue, parce qu'ils ont déjà exclu la violence. »Éric Weil, La Logique de la philosophie.

a) Le dialogue comporte l'égalité des interlocuteurs (# relation d'autorité, de maître à esclave). Dans le dialogue, autrui est un semblable, un égal. Dans le dialogue, le «je» et le «tu» font un «nous», cad une communauté de communication en vue de l'accord et de la vérité. b) Le dialogue implique la liberté des interlocuteurs . c) Le dialogue implique la reconnaissance d'autrui. «Reconnaître», autrui a here le sens de le acception comme être et comme autre. A l'inverse, le mépris, la haine, la volonté de domination, qu'ils se manifestent de façon directe (agressivité) ou indirecte (ruse et manipulation des consciences), annihilent le dialogue comme tel. La plupart du temps nous traitons d '«idiots», de «fous», de «fasciste» (reductio ad hitlerium), etc., ceux et celles qui ne comprennent pas nos opinions, nos conceptions, nos résolutions => «Loi de Godwin »! A l'inverse, la reconnaissance d'autrui suppose que nous acceptons l'autre comme un semblable et qu'il a le droit d'avoir son point de vue, ses opinions, ses intérêts, ses besoins et ses attentes ... différents des nôtres. Etre tolérant, c'est respecter surtout ceux qui ne pensent pas comme nous. ré)Le dialogue implique la sincérité et la spontanéité personnelle dans la participation. «Participer» c'est vouloir faire partie du dialogue (ou du groupe de discussion), se considérer comme coresponsable de ce qui s'y passe et de ce qui s'ensuivra. Cette volonté d '«en être» s'exprime au plus haut degré par la sincérité et la spontanéité des interventions personnelles dans la discussion. Ceci suppose un climat de confiance. e) Le dialogue implique l'interaction. L'interaction réside dans le fait qu'elle opère la mobilisation du système des opinions de chacun, et ainsi la discussion évolue vers la découverte en commun (par suite de l'être ensemble) d'idées ou de solutions qui sont nouvelles pour tout le monde et qui scellent la coresponsabilité de la décision ou de l'action. Il y a un dialogue authentique avec épreuve la naissance d'idées nouvelles venues de la participation effective des esprits. II se produit dans ces dialogues une sorte d'excitation de la pensée personnelle par celle d'autrui; des solutions, des résolutions ou des idées jaillissent en s'engendrant les unes les autres, dans l'évaluation de la commune.

1b) Le dialogue n'exclut pas nécessairement la violence. La parole révolutionnaire transgresse délibérément les normes du discours conformiste qui prétend justifier l'injustice, elle peut ainsi apparaître à l'homme révolté comme une contestation radicale de l'ordre établi. Pour mieux exprimer son refus, il cherchera à s'exprimer dans un autre langage que celui de l'ordre qu'il conteste. Pour lui, respecter les convenances de langage établies par la société, ce serait encore accepter de se soumettre à ses lois. En exprimant bruyamment sa colère (slogans, grêves, occupations, professions de foi, etc ), son mépris et sa haine de la société, il aura le sentiment de se libérer des contraintes qui voulaient l'obliger à se taire.

Le dialogue serait donc bien le lieu d'affrontement de forces antagonistes. Soit par exemple une négociation politique ou commerciale : il y a bien, comme dans un dialogue, deux (ou plusieurs) partenaires quirecherchent un accord. Mais cet accord n'est qu'un compromis entre des points de vue qui s'affrontent non comme des thèses visant le vrai. mais comme des forces cherchant autant que possible à contraindre l'adversaire.

2b) Le dialogue est une lutte contre la violence. L'usage courant du mot a déprécié sa portée, jusqu'à lui faire dire seulement un artifice de négociation en vue de prévenir ou d'atténuer un conflit. En fait, le dialogue est l'examen en commun et complet de la réponse à une question (soit recherchée, soit posée comme une thèse), et c'est pour cela qu'il exclut nécessairement toute violence. Le langage, propre de l'homme, rend possible le partage de nos pensées avec autrui. Cela devrait permettre de trouver une solution à tout conflit, pour autant que la raison première de ce conflit ne soit l'envie de violence. Le recours au langage est en effet l'espoir que s'instaure un dialogue, c'est-à-dire une relation qui, à travers le discours, vise non à un triomphe mais à un accord. Le langage est, en tous les sens de ce terme, ce qui permet aux hommes de s'entendre. En dialoguant avec l'autre, je montre queje ne recherche plus une suprématie sur lui, mais un résultat qui vaille pour les deux partenaires du dialogue pris ensemble. Dès que le dialogue s'installe, c'est la raison qui triomphe. Non seulement parce qu'il est « raisonnable » de discuter plutôt que de se taper dessus, mais surtout parce que, dans le dialogue, chaque interlocuteur s'est engagé - enacceptant de se placer sur ce terrain - à légitimer rationnellement ce qu'il avance. Il n'est donc pas exagéré de dire que toute volonté sincère de renoncer à la violence ne peut passer que par un recours au langage, dans la forme du dialogue.

TRANSITION :

TRANSITION :

CONCLUSION :

Le dialogue est souvent une ruse qui vise à dominer autrui sans avoir l'air de le faire. Il prétend établir une vérité, alors qu'il n'est que l'affirmation d'une supériorité que l'on veut dissimuler. Toutefois, dialoguer n'est-ce pas fondamentalement vouloir faire taire la violence ?

Le dialogue est la recherche commune de la vérité. Il implique l'acceptation de la critique et la tolérance de l'opinion d'autrui. Il exclut donc toute violence. Mais, quelles sont les conditions nécessaires pour erradiquer toute forme de violence dans nos échanges avec autrui ?

Si le dialogue n'exclut pas toute violence, il exclut au moins la pire de toutes, la violence des armes. C'est le dialogue qui est constitutif d'un monde véritablement humain, composé de l'entrelacement des différences. Le dialogue est le chemin même de la philosophie, celui qui mène de l'opinion à la vérité, du particulier à l'universel. Ainsi, toute pensée véritable est-elle un dialogue, même lorsqu'elle est solitaire, car elle est alors « un dialogue de l'âme avec elle-même » (Platon, Le Sophiste). Sans le dialogue, nous ne penserions pas et serions semblables à des brutes assoiffées de pouvoir et de violence. C'est du moins ce que nous laisse entendre Emmanuel Kant, qui écrit : « Penserions-nous beaucoup, et penserions-nous bien, si nous ne pensions, pour ainsi dire, en commun avec d'autres? »(Qu'est-ce que s'orienter dans la pensée?)

Liens utiles