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Le développement durable est un projet politique pour toute l’humanité

Le développement durable est un projet politique pour toute l’humanité La première définition du concept de développement durable date du rapport Brundtland préparatoire à la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (CNUED, Rio de Janeiro, 1992) : il s’agit d’« un processus de changement par lequel l’exploitation des ressources, l’orientation des investissements, des changements techniques et institutionnels se trouvent en harmonie, et renforcent le potentiel actuel et futur de satisfaction des besoins humains ». Le concept de développement durable a fait suite à celui d’écodéveloppement, auquel avait fait référence, pour la première fois en 1980, l’Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources (UICN) dans son rapport rédigé avec le World Wild Fund (WWF), La Stratégie mondiale pour l’environnement. Le développement « durable » ou mieux encore «soutenable», de l’anglais « sustainable », cherche donc à concilier les besoins des générations vivantes sans aliéner ceux des générations du futur. Il part d’un constat écologique qui est un véritable état des lieux de la planète Terre. L’explosion démographique et urbaine [voir « La population mondiale continue d’augmenter, mais son rythme de croissance s’est nettement infléchi » et « La planète devrait compter 25 mégapoles de 7 à 25 millions d’habitants en 2025 »], l’extinction en masse d’espèces vivantes, la pollution croissante des sols, des eaux et de l’atmosphère, ainsi que les changements climatiques, sont analysés comme les conséquences inéluctables d’un modèle de croissance non durable, littéralement « insoutenable », dans les deux sens du terme, éthique et écologique. La critique initiale est donc bien écologique, non seulement appuyée sur le constat précis d’une dégradation générale de l’état de l’environnement terrestre, mais aussi confirmée par la succession des catastrophes de grande ampleur : Amoco Cadiz (au large de la Bretagne, 1978), Seveso (Italie, 1976), Bhopal (Inde, 1984), Tchernobyl (Ukraine, 1986), Exxon Valdez (au large de l’Alaska, 1989), etc. Une croissance économique sans précaution La critique écologique débouche sur la critique d’une économie peu soucieuse de la contrainte écologique, ignorante de la circularité des régulations globales de la biosphère par les cycles biogéochimiques. Ces régulations sont désormais en péril sous les effets mortifères d’une croissance économique sans précaution. La pensée économique est bousculée par le concept de développement durable. L’un des premiers grands économistes, Adam Smith (1723-1790), ne proposait-il pas une conception imprégnée des valeurs de la croissance industrielle et des vertus du marché comme moteur du progrès de toute société ? L’utopie du progrès allait profondément marquer les conceptions au cours des siècles suivants. Aujourd’hui, la plupart des héritiers néo-classiques des grands économistes du xixe siècle n’ont quant à eux guère d’autre préoccupation que de réintégrer les coûts écologiques au jeu du marché, de réinternaliser les coûts externes à la logique de l’évaluation économique, en donnant un prix aux dégâts écologiques du développement économique. Même chez des auteurs comme Paul A. Samuelson (prix Nobel en 1970), qui affirme dans L’Économique (1948) que « l’ordre du jour social sera, jusqu’à la fin du [xxe] siècle, surchargé de programmes écologiques, hautement prioritaires du point de vue humain », la priorité reste à la défense d’une richesse économique avant tout fondée sur la croissance. C’est en termes beaucoup plus profonds que les bioéconomistes ont posé la question du développement durable, en montrant en particulier que les régulations de la sphère de l’économie devaient se plier à celles, englobantes, de la biosphère. Dès lors, le marché ne pouvait plus être le seul juge de la durabilité du développement économique. La bioéconomie doit beaucoup à l’économiste Nicolas Georgescu-Roegen, d’origine roumaine. Dans un autre registre, celui de l’éthique et de l’économie du développement, l’Indien Amartya Sen, prix Nobel en 1998, a aussi apporté une contribution très positive. Une critique sociale et sociologique Pour que la croissance économique entraîne le développement social, les critères sociaux de justice environnementale doivent primer sur les prophéties autoréalisatrices du jugement économique. Georges Balandier a été l’un des premiers sociologues à s’intéresser aux dimensions sociales du développement. Il étudiait - est-ce un hasard ? - les régions dites « sous-développées ». S’intéressant plus spécifiquement à l’Afrique de l’Ouest, il a montré les enchaînements désastreux d’une croissance strictement économique. Ainsi, une poussée urbaine brutale accroît la demande de produits agricoles, laquelle accélère la rotation des cultures, puis précipite la dégradation des sols. Divers auteurs ont analysé les effets, en termes sociologiques, d’un développement « insoutenable », avec les tendances au déclin de la sociabilité, le déficit des repères et enfin les effets les plus déstructurants qu’il entraîne sur la personne, c’est-à-dire les diverses formes d’altération de la vie elle-même au niveau du quotidien : taux de suicides en augmentation chez les plus jeunes, accroissement des maladies de civilisation comme le cancer ou les accidents cardiovasculaires, stress et troubles du psychisme, etc. Ces travaux rejoignent les études d’autres critiques socio-écologiques du capitalisme comme celles, par exemple, d’André Gorz, qui analyse le mouvement écologique comme celui de la défense du « monde vécu ». Un projet politique ambitieux Dès lors, le concept de développement durable entre en politique. Le moment historique de cette entrée a été la conférence mondiale dite du « Sommet de la Terre »à Rio en 1992. Ce fut une entrée historique et symbolique, puisque les chefs d’États des 174 pays alors membres de l’ONU y participèrent ou s’y firent représenter. Il peut paraître troublant que ce concept ait connu un accueil aussi unanimement favorable, y compris de la part d’institutions ou d’hommes politiques qui le bafouaient au quotidien, mais il n’en représente pas moins un véritable levier politique pour tous les acteurs de la vie en société : gouvernements, partis, entreprises, associations, ONG (organisations non gouvernementales), simples citoyens. Et il serait stupide d’opposer développement durable « formel » et « réel », comme certains le firent naguère au sujet de la démocratie ! En effet, le concept n’est rien en lui-même. Il reste peu pertinent s’il est enfermé dans les différents champs disciplinaires et que ceux-ci s’en emparent à la seule fin de développer leur propre rhétorique universitaire. En revanche, il peut devenir un puissant outil pour l’action dès lors qu’il entre dans l’arène politique. Banalisé et abaissé au rang d’argument de marketing par les entreprises multinationales et leurs agences de communication, dévalorisé par les tactiques d’hommes politiques cyniques, le développement durable est une arme pour les citoyens et leurs associations dans les conflits pour la reconnaissance de leurs droits civiques, sociaux et environnementaux. Désormais, nulle politique ne peut se soustraire au fait que l’empreinte écologique, c’est-à-dire la surface productive nécessaire aux activités humaines, augmente annuellement de 2,5 % dans la biosphère, monde fini et seul espace possible de notre vie future. Il n’est guère d’activité qui échappe aux conflits suscités par l’exigence d’un développement durable : politiques agricoles et industrielles, rurales et urbaines, déséquilibres Nord-Sud sont autant de points sensibles des débats qui préparaient la conférence de Johannesburg pour l’environnement mondial, convoquée dix ans après celle de Rio, pour l’automne 2002.

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