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La technique (cours de philosophie)

On emploie « technique » dans 3 sens différents : 1) la » technique » d’un professionnel. Dans ce sens, il s’agit de sa valeur professionnelle ; 2) la technique comme instrument ou moyen. En ce sens, l’étude des techniques (technologie) est l'histoire et l’analyse des outils, des machines, des métiers; 3) la Technique comme science appliquée. En ce sens, on peut se demander si la science est technique, c'est-à-dire essentiellement orientée vers l’action et vers la transformation du monde, ou si la technique est seulement issue de la science. Nous verrons successivement ces 3 sens, puis nous chercherons ce qu’ils peuvent avoir de commun.

— I — La technique comme savoir-faire et comme valeur professionnelle.

C’est ce premier sens qui répond le plus, à première vue, à l’étymologie : Technè, en grec, signifie « métier ». « Métier » évoque aussi bien « profession » ou « travail comme rôle social » (comme dans l’expression : le métier de cordonnier), que « savoir-faire » (comme dans l’expression : cet homme a du métier). La valeur professionnelle est la résultante de trois facteurs :

1 — La compétence. Elle est science, et science acquise. Elle est généralement sanctionnée par des diplômes professionnels et par une formation, un « training » complétant un « learning ». L’usage des techniques modernes exige une connaissance souvent extrêmement ramifiée : les métiers qui paraissent les plus simples nécessitent maintenant des années d’étude ; à l’école des bergers, on enseigne aux élèves des notions de l’art vétérinaire, de géologie, de zoologie, de botanique et d'utilisation industrielle des produits de source animale (le lait, le cuir, la corne, la laine, etc.) ! Que dire alors du médecin, de l'ingénieur agronome ou du polytechnicien ? Le professionnel moderne est un technicien.

2 — L'expérience. Elle supplée à la connaissance théorique dans certains cas limités, mais surtout elle complète la compétence par l'épreuve de la pratique. Cette épreuve se poursuit sur trois plans : A — Elle précise et concrétise le savoir par la rencontre des cas particuliers et surtout des fréquences statistiques de certains cas particuliers. On apprend son métier en le pratiquant, et le savoir perd de sa complexité théorique pour entrer dans la familiarité des cas concrets par la découverte des applications imprévues du savoir. B — Elle ouvre des domaines inconnus. La réalité concrète montre l’intrication mutuelle de tous les problèmes, et le technicien, à l'occasion de son travail, découvre les données de fait qui y sont associées sans avoir été l’objet de sa science. C’est ainsi que l’ingénieur découvre la psychologie du travail et le problème du maniement des hommes, ou le professeur le plus érudit découvre, dans sa première classe, qu’on lui a tout appris sauf la pédagogie. C — Elle apprend la prudence, Le technicien le plus lier de ses connaissances découvre en pratiquant un métier, en mettant la main à la pâte, qu’il y a deux Infinis qu’il n’avait pas prévus : les hasards de l’expérience et la réalité humaine. L’orgueil et la confiance excessive des jeunes gens frais émoulus des écoles déclinent rapidement lorsque leur science devient vie professionnelle, se tempère et se modère, et finit par ressembler au style professionnel du vieil employé qu’ils avaient d’abord si vivement critiqué.

3 — L’amour du métier. C’est l'antidote de la sclérose ou de la routine, et c’est un facteur dynamogène et créateur. Il est au métier dans le même rapport que la bonne volonté à l’habitude. Il est associé à deux dispositions : A — L’entrain et la détente dans l’exercice du métier. La joie au travail ne vient pas seulement de la familiarité du cadre du travail mais de l’impression d’être à sa place et de donner le meilleur de soi-même. B — La créativité. Par cet aspect, le métier cesse d’être une conduite calculée pour devenir une conduite inspirée (cela dit pour ajouter à ce que dit Henri Denis dans « Introduction aux problèmes économiques », 1942), et échappe à la catégorisation de l’être et de l’avoir de Gabriel Marcel. Le professionnel authentique, au maximum de vitalité de sa conscience professionnelle, peut être un créateur dans le cadre de son travail. Comme le remarque le Pr. Smith (Carnegie Institute of Pittsburgh), il ne vit pas sur ce qu’il sait ou sur ce qu’il a appris, il a transformé ses connaissances en « réalités germinatives ». Non seulement il met tout sou cœur dans son métier, mais il est à la pointe du progrès dans son métier. Il est celui qui pense son métier, qui découvre des horizons nouveaux à l’intérieur de l’horizon familier, qui ouvre sa profession sur des créations, des trouvailles professionnelles, des idées nouvelles.

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