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La mort (cours de philosophie)

La mort est le « point aveugle » de la vision philosophique. Sans elle, elle se réduit à un discours vain ; en elle, elle retombe au niveau du commun. Cette aporie nécessaire que la mort imposa à la réflexion philosophique traditionnelle n'a trouvé de solution que dans une tentative de transcender cette finitude par la religion. Nous analyserons donc dans un premier temps cette transcendance. Mais la philosophie moderne, aidée par des documents anthropologiques, aborde la mort enfin comme un fait. Certes, on peut difficilement parler de la mort comme "vécu" personnel, puisque nul témoignage n'en subsiste, et cependant les analyses de Hegel, Heidegger, Sartre, ou G. Bataille, sont d'inspiration phénoménologique. Ce qu'elles analysent est l'itinéraire de la conscience confrontée à "l'irrémédiable". Suivons donc cet itinéraire, dans un second temps. II est toutefois nécessaire de rappeler ce que la science biologique connaît actuellement de la mort.

— I — La mort biologique.

La loi physique de l'entropie (second principe de la thermodynamique) ou déperdition de l'énergie, est universelle. Le spectre des étoiles évolue vers le rouge. Le temps de cicatrisation de l'homme augmente à mesure qu'il vieillit (Lecomte du Nouy) Tous ces faits prouvent qu'il existe un temps réel de l'univers. Est ce dire que la mort existe comme un fait scientifique indiscutable? Peut être pas, répondent certains hommes de science.

1 — La question de la mort naturelle. L'idée de la mort naturelle nous est familière. Puisque nous devons mourir, il est rassurant de penser que ce n'est pas un accident évitable, mais une "ananké" (nécessité implacable). Mais cette idée n'est que seconde par rapport à une pensée antérieure qui sauvegarde le principe de causalité externe : les primitifs pensent que la mort est toujours due à une mauvaise influence. Ainsi chez les Bassoutas, la mort est un ensorcellement. Cette idée que la mort n'est pas naturelle est présente aussi chez les philosophes (Grenier, Jaspers ou Alain). Alain écrit : "L'homme n'est jamais détruit que par des causes extérieures. Nulle maladie n'est en lui."

La science tente de mettre à l'épreuve ces affirmations, d'abord au niveau cellulaire : Pour Weismann, la substance vivante comprend le Soma, mortel, et le Plasma, germinatif immortel (Soma et Plasma). Chez les uni cellulaires, Soma et Plasma forment un tout théoriquement immortel. Woodruff essaie de le démontrer en cultivant des infusoires jusqu'à la 3029e génération. Ils se divisent sans vieillir ni mourir. Mais Woodruff plaçait chaque nouvelle génération dans un liquide nutritif frais. Au contraire, Maupas, ne changeant pas le liquide, constate que les infusoires s'empoisonnent avec leurs propres produits d'élimination, et meurent. Les unicellulaires ne sont donc immortels qu'en milieu idéal. Cela signifierait il que la mort survient pour l'homme par une intoxication très longue, provoquant l'usure des tissus? Chez les multicellulaires, la mort est toujours l'objet de discussions. Weismann pense que la mort est naturelle mais non nécessaire : elle serait due à une « économie de moyens ». Puisque le plasma se transmet sans mourir, le Soma peut être sacrifié, une fois accomplie la transmission. En tous cas, on estime généralement que le groupe ment de cellules en organisme est destiné à augmenter la durée de vie de chacune, les unes servant à entretenir les autres.

2 — Définition biologique de la mort. A chaque instant, en nous, des cellules meurent (les globules blancs ou rouges). Mais nous ne mourons pas de ce que certaines cellules en nous disparaissent : nous sommes en effet l'unité d'un changement perpétuel, comme la galère sacrée des Romains, entièrement refaite, mais toujours « identique ». Nous mourons donc : soit par arrêt respiratoire (privation d'oxygène) et anoxie des cellules nerveuses (le dernier soupir) ; soit par arrêt du cœur (électrocardiogramme plat) ; soit (lorsque le massage cardiaque ou les traitements électriques du cœur permettent de reculer l'irréversibilité) par destruction ou extinction des cellules nerveuses (électro encéphalogramme plat). Les efforts de la science consistent à reculer sans arrêt les limites de l'irréversibilité, les frontières de la vie. Mais la Mort reste inévitable. Selon les généticiens, elle serait inscrite dans « le programme génétique », c'est à dire dans les chromosomes de chacun, quand est libéré un « signal d'auto destruction de l'organisme ».

— II — Transcender la mort.

La philosophie, dans son aspect métaphysique, cherche, avant tout, à redéfinir la mort. Elle s'apparente en cela à la religion et à l'art.

1 — La religion et l'art.

A — Toute religion est fondée sur le retournement de la Mort en Vie par le Sauveur (Orphée, Gilgamesh, Le Christ). Au fond des religions....

 

Le plaisir de triompher, de vaincre, de dominer, de réduire en esclavage, d'imposer sa volonté ou sa loi personnelle, devient agressivité meurtrière à deux conditions : 1) que le lien interhumain ait perdu toute signification et que autrui soit réifié, chosifié, devenant pur obstacle matériel aux buts égocentriques du Moi ; 2) que l'Autre (la victime) incarne, aux yeux du futur assassin, un Mal Absolu, un danger vital, une bête venimeuse. L'une ou l'autre de ces conditions suffît. Des déformations pathologiques peuvent réaliser la première de ces conditions (schizophrénie, psychopathies, perversités, ou simplement évolution vers la structure mentale de la dissocialité et de la délinquance) ; une auto suggestion ou un conditionnement par une personne dominante, ... ou encore un conditionnement par une propagande religieuse ou politique, ... réalisent la seconde condition, qui se traduit par la haine. La mort donnée n'est alors l'objet d'aucune culpabilité, d'aucun remords. Elle peut devenir même, si le groupe d'appartenance attise et active l'agressivité et la justifie, un moyen de valorisation personnelle dans le groupe (cf. chapitre sur la Violence, dans le Volume 2).

Conclusion. Que ce soit de la main d'un autre homme, par décision d'un groupe ou d'un seul être,... que ce soit par un des engins de mort inventés par les hommes ou par accident, par un des fléaux de la nature ou par la guerre, par hasard ou par maladie, par carences ou par vieillesse,... de toutes façons la mort fait partie intégrante de « la condition humaine », et il est bien difficile aux culturalistes d'en faire un phénomène culturel. La société et la culture entourent la mort de rites conjuratoires destinés à en protéger les vivants, ou de rituels expiatoires lorsque le corps social exige le sacrifice d'une vie. Par bonheur, l'élan naturel de la vie écarte et dissout la pensée de la mort. De plus l'être humain porte de toute évidence en lui une aspiration absolue (une aspiration vers l'absolu) qui lui permet d'entreprendre et d'agir sub specie aeternitatis. L'idée que l'existant est un être pour la mort est une pensée de philosophe ou de déprimé. Même un philosophe déprimé ne monte pas dans son automobile en pensant qu'elle est un être pour la ferraille, car la fin inévitable de sa voiture n'en est pas la destination. Il s'en sert pour des buts qu'il s'est donné. De même, quoique la mort soit la fin de l'existence, elle n'en est pas la destination. Rien ne peut dispenser l'existant de sa responsabilité d'existant, de conduire sa vie et de réaliser son potentiel d'être.

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