LA LIBERTÉ (fiches de révision)
LA LIBERTÉ
• Ne confondez pas la liberté au sens quotidien du terme, comme faculté d'atteindre certaines fins et la liberté en tant que concept philosophique, comme autonomie de choix, comme capacité d'autodétermination (§ 1). • Distinguez bien le fatalisme (selon lequel une puissance mystérieuse fixerait inéluctablement le cours des événements) et le déterminisme (selon lequel il y a liaison nécessaire des causes et des effets). Le premier est totalement irrationnel! (§ 2). • Il existe deux orientations philosophiques principales concernant la liberté : celle qui envisage la liberté comme un pouvoir de l'intelligence et de la raison (Descartes, Kant, § 3 et 4) et celle qui la considère comme un «libre-arbitre», comme une faculté de dire oui ou non (Sartre, § 6).
I - Ambiguïté du mot liberté
Si le problème de la liberté constitue généralement une énigme, c'est d'abord parce que ce terme n'échappe ni aux ambiguïtés ni aux équivoques. Aussi faut-il distinguer d'emblée la liberté comme faculté d'obtenir certaines fins, en particulier sur le plan politique et social, et la liberté comme concept technique et philosophique : elle correspond alors à l'autonomie du choix. Dans le premier cas, ce qui importe, c'est donc le succès. Dans le second, on envisage essentiellement le choix humain, la capacité d'autodétermination. C'est ce concept philosophique de liberté que nous nous efforcerons ici de cerner, nous demandant en quoi consiste cette capacité d'autodétermination. « Il faut... préciser, contre le sens commun, que la formule "être libre" ne signifie pas "obtenir ce qu'on a voulu" mais "se déterminer à vouloir (au sens large de choisir) par soi-même". Autrement dit, le succès n'importe aucunement à la liberté. La discussion qui oppose le sens commun aux philosophes vient ici d'un malentendu : le concept empirique et populaire de "liberté", produit de circonstances historiques, politiques et morales, équivaut à "faculté d'obtenir des fins choisies". Le concept technique et philosophique de liberté, le seul que nous considérions ici, signifie seulement : autonomie du choix. » (Sartre, texte donné au Bac, 1984)
II - Fatalisme et déterminisme
Mais on invoque souvent fatalisme et déterminisme, pour nier la liberté humaine, au sens philosophique de ce terme. Tout ce qui peut arriver dans le monde est écrit ou prédit. Quant à nos efforts, ils peuvent seulement, par quelque détour imprévu, réaliser la prédiction. C'est écrit ! Tel est le contenu essentiel du fatalisme, doctrine qui postule qu'une puissance mystérieuse fixe inéluctablement le cours des événements. Le fatalisme est profondément irrationnel : ce n'est qu'une superstition qui enchaîne l'homme et le plie à un destin. Encore ce destin peut-il être considéré de manière plus profonde, plus intérieure : c'est l'idée, par exemple, que la personne va se développer, à travers sa vie, en suivant la logique d'un caractère ou le poids d'une hérédité : «ne sois pas autre que toi-même, mais deviens ce que tu es», répond à la Pythie grecque le héros romantique. Quant au déterminisme, il n'est pas l'envers de la liberté, car on ne peut appliquer à la conduite humaine un modèle scientifique conçu pour les phénomènes physiques. Si le comportement humain a ses lois, celles-ci doivent être comprises différemment des lois physiques : elles suivent une logique du sens et, par sa liberté, l'homme est précisément capable de choisir ou de modifier la signification qu'il entend privilégier.
III - Liberté et raison : Descartes
La liberté ne consiste-t-elle pas à obéir à l'idée rationnelle, à se laisser conduire par l'évidence? C'est ce que semble nous suggérer Descartes. Et, en effet, Descartes distingue deux degrés de la liberté : au niveau le plus bas, elle est pouvoir de choisir, de dire oui ou non. Mais, devant l'idée claire et distincte, celle de Dieu par exemple, l'expérience de la liberté change de signification. Elle devient une irrésistible adhésion à l'évidence. Que puis-je faire d'autre que de m'incliner? Dès lors, la liberté d'indifférence apparaît comme le plus bas degré de la liberté. La véritable liberté est rationnelle : elle est liée à la raison, à l'évidence claire et distincte. «... Afin que je sois libre, il n'est pas nécessaire que je sois indifférent à choisir l'un ou l'autre des deux contraires; mais plutôt, d'autant plus que je penche vers l'un, soit que je connaisse évidemment que le bien et le vrai s'y rencontrent, soit que Dieu dispose ainsi l'intérieur de ma pensée, d'autant plus librement j'en fais choix et je l'embrasse. » (Descartes, Méditations métaphysiques)
IV - Liberté et raison : Kant (Prolongement: Je dois donc je suis libre)
Liberté et raison sont liées, nous montre, dans le même sens, Kant dans les Fondements de la métaphysique des moeurs (1785) et dans la Critique de la raison pratique (1788). Dans le domaine moral, qu'est-ce en effet qu'une volonté libre? Loin d'être soumise aux inclinations sensibles ou aux désirs, elle obéit au contraire à une loi morale rationnelle et universelle : une volonté s'inclinant devant les désirs sensibles est pathologique (au sens kantien du terme : elle ne se dégage pas de l'influence de la sensibilité). Au contraire, une volonté libre obéit à la loi rationnelle qu'elle se donne. C'est le principe de l'autonomie de la volonté. La liberté morale n'est donc rien d'autre qu'un pouvoir de la raison. Une volonté libre et une volonté soumise à la loi rationnelle ne font qu'un. Être libre, c'est obéir à la raison. Qu'est-ce donc que la liberté du sage? C'est l'obéissance à la loi morale rationnelle, au devoir. Quand j'agis de telle sorte que la maxime de ma volonté devienne une loi universelle de la nature, je suis libre. Liberté et raison sont donc inséparables et, dans les Fondements de la métaphysique des moeurs, Kant établit que: «... La liberté est une propriété de la volonté de tous les êtres raisonnables. » (Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs)
V - Liberté et négativité
Mais la liberté est-elle seulement un pouvoir de la raison, une obéissance à l'idée claire et distincte (Descartes) ou à la loi morale universelle (Kant)? Le mérite de la philosophie moderne est peut-être d'avoir élargi la notion de la liberté, d'être passé d'une liberté seulement rationnelle à un pouvoir de dépassement de l'homme, à sa négativité. Telle est la vision d'Alexandre Kojève, commentateur de Hegel. Ce n'est pas seulement la liberté du sage qu'il considère, mais le pouvoir de négation interne de la conscience humaine. La liberté est cette puissance que détient la conscience : nier tout donné, quel qu'il soit. Si la nature et les choses coïncident avec elles-mêmes, au contraire l'homme «néantise» tout donné. Il ne subit pas la loi des choses, il est libre. La liberté, c'est la négativité, que déjà Hegel sut mettre en évidence. En toutes circonstances, la conscience peut mettre à distance ce qui semble la déterminer. Elle peut nier et pulvériser les données immédiates. «La liberté... est la négation du donné, tant de celui qu'on est soi-même (en tant qu'animal ou en tant que "tradition incarnée") que de celui qu'on n'est pas (et qui est le Monde naturel et social). » (A. Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, NRF, 1947)
VI - La liberté existentielle : dire « oui » ou « non»
Les analyses de Sartre vont dans le même sens : loin d'être liée seulement aux pouvoirs de la raison, la liberté s'expérimente dans toutes les situations. Dans la mesure où l'existence précède l'essence, on peut dire que l'homme est un choix perpétuel puisqu'il est ce qu'il se fait ; il est création et liberté infinie qu'il découvre dans l'angoisse. La liberté est le pouvoir de dire «oui» ou «non». Ainsi, conscience et liberté sont une seule et même chose. Sartre a d'ailleurs longtemps nié l'existence d'un inconscient susceptible de me dépouiller de mon libre choix. L'homme sartrien est totalement libre, devant les valeurs, devant la vie et devant la mort. Tel est l'Oreste des Mouches. « Tout à coup, la liberté a fondu sur moi et m'a transi... Et il n'y a plus rien eu au ciel, ni Bien, ni Mal, ni personne pour me donner des ordres. » (Sartre, les Mouches, in Théâtre de Sartre, Gallimard, 1966)
VII - La liberté comme fardeau : liberté et responsabilité (Prolongement: L'homme est condamné à être libre ?)
Cette liberté totale a pour corollaire une responsabilité totale. L'homme est responsable à toute minute. Il est responsable de tout devant tous. Il porte sur ses épaules le poids du monde entier. La liberté est donc un fardeau. L'homme, totalement libre, est totalement responsable de tous les hommes, dira Sartre dans L'existentialisme est un humanisme. Nous sommes condamnés à être libres, déclare Sartre. «Ainsi, notre responsabilité est beaucoup plus grande que nous ne pourrions le supposer, car elle engage l'humanité entière... Je suis responsable pour moi-même et pour tous, et je crée une certaine image de l'homme que je choisis; en me choisissant, je choisis l'homme. » (Sartre, L'existentialisme est un humanisme, Nagel, 1966)
Conclusion
En réfléchissant sur l'homme comme projet libre, le mouvement existentiel a certainement mis l'accent sur une dimension fondamentale de notre existence : sur notre pouvoir de dire oui ou non, en toutes circonstances.
SUJETS DE BACCALAURÉAT
- La liberté est-elle un fardeau ? - Est-il exact de dire que la propriété est le support naturel de toute liberté? - La liberté est-elle absence de contraintes ? - La liberté peut-elle se définir comme l'obéissance à la raison ? (Besançon, B, 82) - La liberté consiste-t-elle à s'affranchir de toute autorité? - L'indifférence est-elle liberté? - La liberté politique se réduit-elle au pouvoir de vivre tranquillement? - La tradition fait-elle obstacle à la liberté? - L'ignorance est-elle un obstacle à la liberté? - Suffit-il d'être soi-même pour être libre ? - Peut-on forcer quelqu'un à être libre? - Le gouvernement par le peuple signifie-t-il nécessairement la liberté?