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Intuition intellectuelle (intellektuelle Anschauung) - Schelling

Intuition intellectuelle (intellektuelle Anschauung)

• « Secrète et admirable faculté » qui nous permet de contempler l’éternel, l’absolu en nous. La philosophie est intuition intellectuelle de l’absolu. •• « Sans intuition intellectuelle, pas de philosophie ! » : cette formule des Leçons universitaires (V, 255) souligne à quel point l’intuition intellectuelle est le sésame de la philosophie. L’intuition intellectuelle, qui a pour ancêtres l'intellectualis intuitio de Nicolas de Cuse et la « connaissance du troisième genre », ou amor intellectualis Dei chez Spinoza, se définit rigoureusement comme « faculté de voir l’universel dans le particulier, l’infini dans le fini, [les deux termes de l’opposition étant] ramenés à leur vivante unité » (IV, 362). L’intuition intellectuelle me fait voir ce qui ne s’offre pas à mon regard (c’est pourquoi elle est dite intellectuelle, autrement dit suprasensible et non sensible), non pas de manière discursive mais d’un seul coup, en une sorte de saisissement (c’est pourquoi elle est intuition). ••• On trouve l’expression sous la forme intellektuelle ou encore intellektuale Anschauung (plus proche du latin), notamment chez Hölderlin, Novalis, Friedrich Schlegel, et parfois Schelling. L’expression est devenue une sorte de stéréotype et de mot de ralliement. Est souvent décrite en termes de ravissement, de dilatation et de saisissement, de brusque illumination, de vision dans tous les sens du terme, qu’a peut-être contribué à forger le « sentiment de l’existence dépouillé de toute autre affection » décrit par Rousseau (« le grand Jean-Jacques » dont parle Hölderlin) dans la « Cinquième Promenade » des Rêveries. N’étant pas originairement philosophique, mais littéraire, esthétique, bien que de probable ascendance théologique (oubliée), le syntagme n’en a pas moins été raccordé à un statut philosophique, comme « expérience métaphysique propre à la conscience de soi » (cf. X. Tilliette, L'Intuition intellectuelle de Kant à Hegel, Paris, Vrin, 1995, p. 90). Surtout propre aux premiers écrits de Schelling, cette locution semble avoir été relayée par la suite, dans une certaine mesure, par celle d’extase (O. M., 289). Hegel a pris pour cible l’intuition intellectuelle dans la Phénoménologie de l'esprit, pour autant qu’elle prétend être un savoir immédiat de l’absolu, et dans la mesure aussi où elle semble s’apparenter à un sentiment, ce qui est souligner encore la difficulté du raccord entre le sentiment esthétique ou existentiel et le philosophème rigoureux. Nietzsche a également pris pour cible l’intuition intellectuelle, dans la Première Partie de Par-delà bien et mal intitulée « Des préjugés des philosophes » (§ 11), faculté du suprasensible avec laquelle Schelling, resté au fond théologien de Tübingen, aurait comblé « les vœux les plus intimes de ses excellents Allemands qui, au fond, étaient restés pieux ». La critique nietzschéenne rejoint ainsi dans une certaine mesure la critique hégélienne dans une commune allergie à ce qui relève à leurs yeux de l’édification ou de la Schwärmerei, avec laquelle Schelling n’avait pas manqué pourtant de rompre des lances. La véritable réponse de Schelling se trouve peut-être dans sa polémique contre Jacobi.

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