Databac

Fond obscur (Grund) - Schelling

Fond obscur (Grund)

• Ce que toute existence laisse dans l’ombre, en s’en dissociant et en s’y arrachant, mais qui est en même temps ce sur quoi elle repose. Le fond obscur s’oppose à l’existence comme, analogiquement, la pesanteur à la lumière.

•• Terme essentiel du lexique schellingien depuis l’élaboration d’une philosophie de la nature, avec ses variantes déjà présentes chez Jacob Bœhme : Abgrund (abîme), Urgrund (fond originaire, archi-fond) et Ungrund (fond sans fond), ce terme a aussi le sens de fondement refoulé dans le passé. C’est le versant nocturne de l’existence. Schelling établit en effet une distinction fondamentale entre l’être en tant qu’il existe et l’être en tant qu’il est seulement fondement de son existence. Le fond obscur ne s’ouvre pas comme un germe (Keim), mais se retire toujours plus âprement en lui-même. Il y a une tension antagoniste, une antipathie structurelle entre le fond obscur et l’existence. Ce sur quoi toute existence doit faire fond ne peut à son tour accéder à l’existence : que le principe ténébreux veuille au contraire ne pas rester enfoui et inéclos, mais surgir à la manière dont existe ce qui s’en détache, et c’est la possibilité du mal qui trouve ici son émergence, comme insurrection du fond qui voudrait exister, le mal lui-même n’étant un mal qu’à vouloir être un « lui-même » au lieu de rester enfoui dans le bien comme mal surmonté : au lieu de rester au fond.

••• Le Grund est un nom de l’hypokeimenon aristotélicien, ou subjectum entendu au sens de soubassement, assise, suppôt, voire littéralement « jacent-au-fond ». La solidarité conflictuelle entre le fond et l’existence est l’un des hauts lieux de la pensée schellingienne. C’est en Dieu, conçu comme « Dieu en devenir », que se situe la genèse la plus laborieuse, le « travail de la venue à soi » qui consiste à laisser derrière soi un fond : Dieu envisagé comme fondement de son existence n’est pas encore proprement Dieu tel qu’en lui-même enfin, il n’est pas encore absolu. Le fondement n’est pas pour Schelling un simple concept (une ratio), mais « quelque chose de réel et d’effectif », qui peut encore s’appeler la nature en Dieu. La priorité du fond obscur n’est pas synonyme de supériorité, sa priorité selon le temps n’est pas priorité selon la dignité. Survivant à sa défaite, qui est la victoire de ce qui existe à partir de lui et contre lui, le Grund rappelle à l’être actuel « la médiocrité de ses origines et la fragilité de son triomphe » (V. Jankélévitch).

Liens utiles