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engagement

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Conception selon laquelle un artiste, loin de rester indifférent aux problèmes de son temps, doit, au contraire, lutter dans ses oeuvres pour défendre ses convictions.

Commentaire

Le problème de l’engagement de l’artiste n’est pas nouveau, même si le terme n’a été popularisé que dans l’immédiat après-guerre par Jean-Paul Sartre. Les poètes baroques du XVIIe siècle et surtout Voltaire, au siècle suivant, habituèrent en effet leurs lecteurs à considérer l’œuvre d'art comme un moyen de défendre des idées, de protester contre des situations injustes ou des pouvoirs arbitraires. Plus tard, la révolution de 1830 révéla une génération d’écrivains romantiques qui entendaient participer à la vie politique de leur temps, apporter leur voix au triomphe des causes qu’ils pensaient justes. Par la suite, le poète prophète et éclairé s’est métamorphosé en artiste militant, défenseur des grandes causes ou des grandes idéologies du siècle. Cependant, le débat sur la finalité de l’œuvre d’art n’a cessé pour sa part de rebondir. En effet, si, dès le xixe siècle, les parnassiens ou même certains romantiques (comme Musset) désirèrent se démarquer des poètes fortement engagés comme Lamartine ou Hugo, de nos jours aussi, où l’engagement semble avoir gagné droit de cité, des voix d’artistes s’élèvent, qui revendiquent le droit de rêver et de se garder de tout combat politique.

Citations

Peuple, écoutez le poète : Écoutez le rêveur sacré ! Dans votre nuit sans lui complète Lui seul a le front éclairé. (Victor Hugo, les Rayons et les Ombres.} Quelles que soient nos infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s’enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir : le refus de mentir sur ce que l’on sait et la résistance à l’oppression. (Albert Camus, Discours de Suède.} Ce n'est pas la passion qui détruit l’œuvre d'art, c’est la volonté de prouver. (André Malraux, le Temps du mépris.} Je suis un écrivain, je suis un rêveur et plus je m’engagerai, plus je m’éloignerai de ma vraie nature. (Henri Troyat, in « Henri Troyat s’explique », magazine Lire, septembre 1979.).

ENGAGÉ, ENGAGEMENT

Au sens usuel, l’engagement consiste à contracter une obligation, légale ou morale, avec l’intention de la respecter. Le terme prend une signification philosophique plus marquée dans le personnalisme et l’existentialisme, en particulier sartrien.

♦ E. Mounier le rapproche de la fidélité à la parole donnée - toute pensée se devant de considérer avec le sérieux requis ses implications sociales et morales.

♦ Avec Sartre, l’engagement caractérise nécessairement l’être humain dans la mesure où ce dernier, étant toujours en situation, ne peut en aucun cas prétendre à la neutralité : comme l’affirmait déjà Pascal, « nous sommes embarqués », mais cette responsabilité (que refuse précisément le « salaud ») vaut, au-delà de l’individu lui-même, pour l’humanité entière qui se trouve définie par chaque choix individuel. Dans la mesure où l’intellectuel (philosophe, écrivain, artiste, etc.) prétend avoir une action par ce qu’il produit, il doit avoir une conscience particulièrement aiguë de son engagement.

Ce dernier tend alors à signifier qu’il s’agit de mettre ses propres forces au service d’une cause préexistante : d’où la vogue de la « littérature engagée » et de l’« art engagé » après la Seconde Guerre mondiale - notamment lorsque Sartre essaya de se rapprocher du marxisme. Il n’est pourtant pas évident que de telles pratiques artistiques, qui risquent de basculer dans la simple propagande, soient les plus efficaces, et de nombreux auteurs (de Camus à Robbe-Grillet) leur objectent que le véritable engagement de l’artiste consiste à servir d’abord son art.

engagement, attitude de non-neutralité en présence d'un conflit de devoirs ou d'idées. — Le mot lui-même, mis en vedette ces dernières années par les partisans du personnalisme (Emmanuel Mounier) et de l'existentialisme (J.-P. Sartre), n'est actuel qu'en apparence : Socrate lui-même ne faisait-il pas de la « philosophie engagée » ? On le lui fit bien voir. Ainsi Jésus-Christ, quand il chassait les marchands du Temple; ainsi Pascal, composant ses Pensées pour combattre les « libertins », et Voltaire, lançant son Traité de fa tolérance pour obtenir la réhabilitation du protestant Calas. Il reste que I'« engagement » sur le plan de la pensée, et singulièrement de la philosophie, ne laisse pas d'apparaître plus lourd de périls que ne l'est celui de l'écrivain ou de tout autre membre de la « cité », dans la mesure, précisément, où la philosophie se veut une science (c'est-à-dire une recherche menée avec sérénité) et, de plus, universelle (c'est-à-dire valable indépendamment des options religieuses ou politiques). Du moins la notion d'engagement (en soi très discutable, et discutée, en effet) aura-t-elle libéré la philosophie classique de son ton volontiers distant, obscur et abstrait : si elle entend rester désintéressée, la pensée ne veut plus être gratuite, mais utile, et pour tous les hommes. « L'engagement, écrit E. Mounier, n'est pas seulement une constatation de fait (que nous sommes dans le monde), mais une règle de vie saine. » Pour Merleau-Ponty, au contraire, le philosophe ne peut participer qu'en parlant, en s'exprimant et non en agissant : le philosophe « ne prend pas part comme les autres; il manque à son assentiment quelque chose de massif et de charnel... la réflexion le retranche d'abord, mais pour lui faire mieux éprouver les liens de vérité qui l'attachent au monde et à l'histoire ».

ENGAGEMENT nom masc. - Acte par lequel un écrivain ou un artiste met son œuvre au service d’une cause politique. La question de l’engagement est au centre des débats sur la littérature depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Comme on aura l’occasion de le préciser plus bas, la responsabilité en incombe essentiellement au philosophe et écrivain Jean-Paul Sartre qui en a fait un des axes essentiels de sa conception de la littérature. La littérature engagée, cependant, ne naît pas en 1945, et on peut même affirmer qu’il n’est pas de littérature qui, d’une manière ou d’une autre, ne soit partie prenante dans les conflits et les enjeux politiques de son temps. Si l’on considère par exemple le XVIe siècle français, les plus grands écrivains d’alors ne purent que prendre position dans leurs œuvres par rapport à l’époque de mutations, de bouleversements et de violence qu’ils vivaient : les poètes s’engagèrent, Ronsard du côté des catholiques avec ses Discours des misères de ce temps, Agrippa d’Aubigné du côté des protestants avec ses Tragiques. Sensiblement à la même époque, Montaigne, qui, pourtant, se voulait à l’écart des désordres de l’histoire, fait, dans une certaine mesure, œuvre d’écrivain engagé avec ses Essais qui dénoncent le fanatisme, l’intolérance, la torture et qui plaident pour le respect des différences et des cultures étrangères. Le XVIIIe siècle voit s’affirmer cette tendance. Conscient du rôle qu’il est appelé à jouer, l’écrivain, le « philosophe », met son talent au service des causes qu’il estime justes, il tente de peser de tout son poids pour accélérer le progrès de l’humanité, pour diffuser l’esprit des Lumières. Quelquefois, il ne se contente plus d’écrire, mais il veut également agir de manière plus directe. Voltaire, par exemple, s’il dénonce le fanatisme religieux dans ses écrits, n’hésite pas à engager une campagne qui aboutira à la réhabilitation de Calas, un protestant injustement accusé du meurtre de son fils et exécuté de manière barbare par la justice. La dimension politique de la littérature s’affirme : l’écrivain, nouveau héros d’une société qui se reconnaît en lui, incarne les valeurs de progrès et de vérité. Il est particulièrement significatif, à cet égard, que les révolutionnaires français aient décidé d’honorer au Panthéon le souvenir de Voltaire et de Rousseau, montrant par ce geste la dette du pays à l’égard de ces deux écrivains. Au XIXe siècle, la fonction politique et sociale de l’écrivain passe souvent au premier plan : le devoir du poète, du romancier est de participer par son œuvre et par son exemple au progrès de la société. Les poètes romantiques comme Lamartine et Hugo vont même souvent mener de pair une carrière politique et littéraire : Lamartine en participant à la révolution de 1848, Hugo en dénonçant sans relâche, du fond de son exil, le second Empire. Comme Voltaire avant lui, Zola, à la fin du siècle, dénoncera l’erreur judiciaire dont Dreyfus avait été la victime : il mettra en jeu sa notoriété et même sa liberté pour combattre l’antisémitisme de la société française. A plus d’un siècle de distance, de Voltaire à Zola, de l’affaire Calas à l’affaire Dreyfus, l’écrivain s’affirme bien comme le porte-parole des valeurs de justice et de vérité. Sartre, on le voit, n’invente donc pas l’idée de littérature engagée. Au sortir de la guerre, il en formule cependant une théorie qui fera date. L’homme étant condamné à être libre, il n’a d’autre solution que de choisir son attitude par rapport au monde qui l’entoure. L’écrivain ne fait pas exception à la règle, qu’il l’accepte ou qu’il le refuse, son œuvre est toujours prise de position : on ne peut échapper, même par son silence, aux enjeux de son temps. C’est pourquoi, aux yeux de Sartre, Flaubert ou les Concourt peuvent être tenus responsables de la répression des « communards », car, ni dans leur vie ni dans leur œuvre, ils ne se sont élevés contre elle. En ce sens, il ne peut y avoir de littérature qu’engagée. Toute la question est bien entendu de savoir quelle forme prendra cet engagement inévitable, et Sartre, sans hésitation, fait de la littérature une arme qui doit servir la révolution dans une perspective qui restera longtemps marxiste. Les écrivains du Nouveau Roman et de l’avant-garde ont déplacé et radicalisé la question de l’engagement. Ils ont reproché au roman sartrien son académisme et son conservatisme : Sartre en effet écrit des romans qui ne sont engagés que par leur message et non par leur forme, il critique les valeurs de la bourgeoisie, mais dans le langage même du roman bourgeois. La véritable littérature engagée - celle que pratiqueront, par exemple, les écrivains de Tel Quel - est celle qui détruira le langage même de la bourgeoisie en inventant de nouvelles formes poétiques et romanesques : on pourra se reporter par exemple à Lois de Philippe Sollers. Telle est, résumée, l’évolution de l’idée d’engagement en littérature. Celle-ci cependant n’a pas que des défenseurs. Sans évoquer les partisans de l’art pour l’art et de la gratuité totale de l’écriture, de très grands écrivains ont souligné que la littérature, au risque de cesser d’être elle-même, ne doit pas se définir d’abord par une ambition politique. Gide, par exemple, qui n’hésita pas à prendre des positions courageuses sur le fascisme ou le colonialisme, prenait grand soin de distinguer ses œuvres de témoignage - ses textes engagés - comme Retour d’URSS de ses livres proprement « littéraires ». De même, Proust dans Le Temps retrouvé affirme que le but de la littérature doit être la vérité et non une cause, aussi légitime qu’elle soit. Pour se convaincre de la véracité d’une telle thèse, il n’est que de prendre la mesure de la catastrophe esthétique que constitue par exemple le « réalisme socialiste ». À voir le discrédit qui pèse actuellement sur l’idée d’engagement, c’est à Gide et Proust plus qu’à Sartre - qui fut d’ailleurs amené à pratiquement abandonner ses convictions vers la fin de sa vie - que les écrivains et les lecteurs d’aujourd’hui semblent donner raison.

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