Databac

bucolique, poésie

bucolique, poésie. Poésie pastorale. Le nom « bucolique » provient du mot grec signifiant «pâtres», boukoloi, et fut d’abord utilisé pour décrire les poèmes (connus sous le nom d’idylles) du poète grec Théocrite qui inventa le genre de la poésie pastorale. Ceux-ci furent imités par les poètes grecs Bion et Moschos, et plus tard, d’une façon plus remarquable, par le poète romain Virgile (dans les Bucoliques) ; ce fut Virgile qui donna à ce genre son cadre (l’Arcadie en Grèce), sa forme typique et un grand nombre des motifs utilisés ensuite par des poètes pastoraux européens. Dans le poème pastoral type, les pâtres-poètes se chantent eux-mêmes, leurs amours, et leur musique, dans un décor grec stylisé, avec Pan et les nymphes. À son sommet, l’artistique simplicité de la poésie pastorale cache une subtilité de composition adaptée à un goût sophistiqué, capable d’apprécier sa distance étudiée des réalités de la vie d’un berger. En raison de ses motifs limités et de ses conventions reconnues dès l’abord, la poésie pastorale fut volontiers utilisée comme véhicule de l’allégorie, ou commentaire social voilé, dès l’époque de Virgile.

Bucoliques (lat. Eclogae ou Bucolica). Les Bucoliques sont un ensemble de dix poèmes pastoraux écrits par Virgile. Ces poèmes ne sont pas reliés entre eux et sont écrits sur le modèle des Idylles (1-11) de Théocrite, qui relèvent ici principalement de la poésie bucolique (c.-à-d. pastorale), ainsi que le lui suggéra Pollion, le protecteur de la littérature du vivant de Virgile. On les appelle parfois aussi Èglogues, mais il semble bien que Virgile ait lui-même nommé ce livre (et les poèmes) Bucolica (pour le sens d'Eclogae, voir églogue). D’anciennes traditions établissent que Virgile commença ses Bucoliques à l’âge de vingt-huit ans, c’est-à-dire en 42 av. J.-C., et qu’il les composa en trois ans. On considère généralement que les deuxième et troisième Bucoliques sont les plus anciennes et qu’elles ont été rédigées en 42-41. Cependant elles ne datent pas toutes de 42-39. La dixième est plus tardive et la huitième, se référant aux campagnes d’Octave de 35 av. J.-C., pourrait bien ne pas avoir été dédicacée à Pollion mais à Octave lui-même. Bien qu’il n’y ait pas d’accord sur les dates exactes des poèmes, on peut tenir pour certain que Virgile en avait commencé la composition dès 43, qu’il s’en occupa au moins jusqu’en 37 et que les Bucoliques circulèrent probablement parmi ses amis avant leur publication. Elles connurent immédiatement un grand succès populaire et furent récitées au théâtre, où leur auteur fut publiquement acclamé. Leur ordre actuel n’est pas chronologique, mais il est composé en fonction de considérations artistiques sur la symétrie et les contrastes. Les numérotations impaires correspondent à des dialogues et les numérotations paires à des récits destinés à un seul interprète. (On présentera ici les Bucoliques dans un ordre chronologique approximatif.) Dans la deuxième Bucolique, le berger Corydon se lamente sur son amour non payé de retour pour le jeune Alexis. Le thème du « berger se consumant d’amour», et nombre de ses développements, proviennent de Théocrite {Idylles 3 et 11). La troisième Bucolique doit aussi beaucoup à Théocrite pour sa forme et ses caractères — un échange de badinage entre deux bergers rivaux, Damète et Ménalque, conduisant à un concours de chant — ainsi que pour une partie de son contenu : les deux paires de coupes mises en jeu dans le défi rappellent la description de la coupe de la première Idylle. Dans la cinquième Bucolique, également riche en réminiscences théocritéennes, deux bergers célèbrent dans un chant la mort et l’apothéose de Daphnis. Le berger Ménalque est présenté comme le compositeur des troisième et quatrième Bucoliques, ce qui ouvre la voie à une interprétation également allégorique de Daphnis, figure derrière laquelle se cacherait un contemporain de Virgile. Étant donné qu’après l’assassinat de Jules César, en 44 av. J.-C., il avait été décrété qu’on lui rendrait des honneurs divins, quelques interprètes, de l’Antiquité jusqu’à nos jours, ont pensé que Daphnis représentait César, sinon nommément, du moins en termes allusifs. La septième Bucolique, de datation incertaine, décrit un concours de chant entre Corydon et Thyrsis, deux bouviers arcadiens. C’est la première référence de la poésie pastorale à T Arcadie, mais, en situant l’action sur les bords de sa rivière natale, le Mincius, Virgile montre que son monde pastoral ne renvoie à aucune contrée spécifique. Ce poème est remarquable pour la grâce et la beauté de ses chants pastoraux. Les première et neuvième Bucoliques mettent en scène des bergers dont les fermes ont été confisquées afin que puissent s’y établir des soldats après la bataille de Philippes en 42, année où Virgile perdit sans doute sa propre ferme. L’expérience personnelle de Virgile peut avoir influé sur le ton de ces deux poèmes, mais ils ne sont pas autobiographiques et évoquent les souffrances infligées par la guerre. La première Bucolique oppose la bonne fortune de Tityre, qui fit son premier voyage à Rome alors que pesait sur lui la menace de l’expulsion, à l’exil forcé de Mélibée, lequel n’avait pas quitté sa maison : Tityre en fut récompensé grâce à l’intervention d’un «jeune homme» (Octave) par la permission de garder sa ferme. La neuvième Bucolique décrit une situation similaire. Deux paysans lient conversation sur le chemin de la ville : Moeris vient juste d’être expulsé et Lycidas rappelle comment le poète Ménalque essaya de sauver son domaine par la poésie, mais échoua. Dans la quatrième Bucolique, qui ne doit rien à quelque prédécesseur grec, le poète se réjouit par avance de la naissance d’un enfant qui inaugurera une nouvelle ère. Ce poème a été plus discuté que tout autre poème latin et, tout au long du Moyen Âge, on admit que c’était une prophétie messianique, inspirée par Dieu, de la naissance de l’enfant Jésus. Saint Jérôme fit exception en désapprouvant cette interprétation. On suggéra qu’il pouvait aussi s’agir de plusieurs enfants contemporains de Virgile : un enfant de Pollion, un enfant supposé de Marc Antoine et d’Octavie, un enfant d’Octave et de Scribonie, voire Octave lui-même. On peut dater ce poème de 40 av. J.-C., époque proche du traité de Brindes, et il se pourrait en conséquence que cet enfant ne soit pour Virgile que le symbole des forces dont il espérait qu’elles provoqueraient l’aube d’un nouvel âge. La huitième Bucolique est dédiée à un anonyme — l’on pense généralement qu’il s’agit de Pollion —, puisque les campagnes auxquelles elle se réfère sont sans doute celles de 39. Servius soutient cependant que la dédicace s’adresse à Octave, auquel cas les campagnes en question seraient celles qu’il mena en 35. Cette Bucolique, qui est un concours de chant entre Damon et Alphésibée, a principalement pour modèles les Idylles 1 et 2 de Théocrite: Damon chante une complainte adressée à son infidèle maîtresse et Alphésibée rapporte les sortilèges et la magie par lesquels une jeune fille espère reconquérir son amant. La sixième Bucolique nous reste étrangère car nous ignorons presque tout de son contexte littéraire : elle n’a guère de rapport avec la poésie pastorale et ne présente pas de ressemblance avec Théocrite. Silène y chante la création du monde dans le style de Lucrèce, en guise de prélude à quelques mythes qui auraient été narrés, mais le récit est interrompu par une description de l’ami et compagnon en poésie de Virgile, Gallus. Ce dernier y est dépeint acceptant sa vocation de poète, dans un style digne de celui de Callimaque dans ses Causes ou Origines. Gallus est aussi le sujet de la dixième Bucolique, qui, écrite en 37, est probablement la dernière (voir cependant supra pour ce qui concerne la huitième). Il y est représenté mourant d’un amour désespéré pour Lycoris, sa maîtresse qui vient de l’abandonner. C’est la plus audacieuse juxtaposition de l’Arcadie et du monde que Virgile appelle de ses vœux, ce qui explique peut-être que ce soit ce poème qui ait eu la plus grande influence sur le style et le contenu de la poésie pastorale postérieure. Virgile étendit le caractère du genre pastoral dans de nouvelles directions. Les Bucoliques devinrent en effet le modèle de la poésie pastorale et inspirèrent durablement aussi bien le roman que le théâtre pastoral (jusqu’à la Renaissance, on ne lisait guère les Idylles de Théocrite). À la différence de Théocrite (sauf dans l'Idylle 6), Virgile n’hésita pas à introduire des éléments de la réalité contemporaine dans son monde arcadien, utilisant pour ce faire la mythologie et l’imagerie symbolique. Ce fut une innovation décisive pour le développement ultérieur du genre pastoral, Virgile fournissant un précédent à l’introduction dans ce genre d’une allégorie élaborée. Virgile fut aussi le premier à se servir du genre pastoral pour critiquer la moralité de la société contemporaine. À partir de Pétrarque et de Boccace, le genre pastoral constitue une des formes d’expression reconnues pour les controverses et panégyriques politiques ou ecclésiastiques. Virgile créa un monde simple reflétant la vie tout en différant d’elle; ses Bucoliques tiennent leur remarquable qualité de l’incessant va-et-vient entre ces deux aspects. Tous les poètes postérieurs ne se contentèrent cependant pas d’imiter Virgile. Calpumius (Ier s. apr. J.-C.) et Némésien (IIIe s. apr. J.-C.) élargirent encore le champ de ce mode littéraire en l’utilisant de façon bien plus enthousiaste que ne l’avait fait Virgile pour les panégyriques, et ils furent suivis en cela par les poètes de la cour de Charlemagne aux VIIe et IXe siècles. Les Bucoliques ont été interprétées comme des allégories par des générations de commentateurs, c’est ainsi que l’on vint à penser que l’allégorie était un élément essentiel de ce mode. La poésie pastorale latine du Moyen Âge finit par n’avoir que très peu de rapport avec le monde des bergers, à moins que ceux-ci ne soient spécifiquement des allégories, ce qui l’opposait d’ailleurs à la littérature vernaculaire qui en était entièrement indépendante et où le berger reste un personnage clef. Pétrarque, par exemple, utilise la forme de l’églogue pour tonner contre les mauvais gouvernements de certains papes ou rois. Ce dernier exerça une grande influence sur Joachim du Bellay, ainsi qu’en témoignent les sonnets pétrarquistes de l’Olive (1549), écrits au collège de Coqueret où, sous la conduite de Dorat, la Brigade, composée des futurs poètes de la Pléiade, enrichissait sa culture gréco-latine afin de rendre poétique la langue française et de restaurer les grands genres anciens, dont faisaient partie les églogues (la Défense et Illustration de la langue française de Du Bellay date également de 1549). Si Ronsard, le « prince des poètes », est le plus connu des membres de la Brigade, il ne faudrait toutefois pas négliger Jean-Antoine Baïf, imitateur des Géorgiques de Virgile dans ses Météores, et Rémy Belleau, l’auteur des Bergeries. Le genre retrouva ses lettres de noblesse à la fin du xviiie siècle avec les Bucoliques composées en 1785-1787 d’André Chénier, qui se voulait un nouveau Virgile :

De la Grèce héroïque et naissante et [sauvage

Dans Homère à nos yeux vit la parfaite [image. Démocrite, Platon, Épicure, Thalès

Ont de loin à Virgile indiqué les secrets

D’une nature à leurs yeux encore trop [voilée. Torricelli, Newton, Képler et Galilée, Plus doctes, plus heureux dans leurs [puissants efforts,

À tout nouveau Virgile ont ouvert des [trésors. L'Invention, v. 11-18

Liens utiles