BERGSON : LES MOTS MASQUENT LES CHOSES
BERGSON : LES MOTS MASQUENT LES CHOSES
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Mais la critique du langage peut ne pas porter seulement sur son ambiguïté lexicale ou syntaxique, qu'il serait éventuellement possible de pallier en lui imposant des normes rigoureuses, voire en inventant de nouveaux langages parfaitement logiques, comme le voulait Leibniz. Pour Bergson, en effet, c'est par sa nature même que le langage constitue une entrave pour la pensée pure, car il serait fondamentalement réducteur de la réalité. « Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons le plus souvent à lire les étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu'ils ont d'intime, de personnel, d'originalement vécu. Quand nous éprouvons de l'amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d'absolument nôtre ? Nous serions alors tous, poètes, tous romancier, tous musiciens. »
Bergson, Le Rire, III.
ordre des idées
1) Un fait : Nous ne voyons pas la réalité elle-même.
2) Première raison de ce fait : les nécessités de la vie, les besoins de l'action. (Pour agir efficacement nous devons simplifier, rétrécir la réalité, ne retenir d'elle que ce qui nous intéresse, nous est utile.)
3) Deuxième raison : le langage, qui nous masque encore plus la réalité dans la mesure où, excepté les noms propres, tous les mots sont généraux, ils « désignent des genres » qui n'existent pas dans la réalité, car la réalité est toujours constituée d'individualités singulières et originales. Par exemple, dans la réalité on rencontre des arbres (dont aucun n'est identique à un autre) jamais l'arbre ; le mot “arbre” confond donc ensemble tous les arbres, et ne retient des individualités que ce qui leur est « commun », ce qui est par conséquent le plus « banal ».
4) Une précision : cette analyse selon laquelle la réalité nous est cachée, vaut aussi bien pour la réalité du monde extérieur que pour celle de notre monde intérieur (nos « états d'âmes »).
5) Une remarque finale : les artistes sont ceux qui, eux, voient les choses mêmes.
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