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ARISTOTE



ARISTOTE. Philosophe grec (384-322 av. J.-C.) D'abord élève de Platon, il fonde sa propre école, le Lycée, à la mort de son maître, dont il n'avait jamais pleinement accepté la théorie des Idées. A organisé un travail de recherches en équipes dans différents domaines (biologie, sociologie, etc.). A lui-même fait un travail considérable de biologiste et de psychologue ; fut un maître de l'observation précise (ainsi, on vérifia encore en 1906 l'exactitude de certaines de ses remarques biologiques). Est avant tout métaphysicien. Esprit ouvert, optimiste, confiant dans l'excellence de la nature humaine. Evite les mythes, ce qui le distingue aussi de Platon. Empiriste, en un sens très original, car si rien ne vient à l'intelligence humaine en dehors des sens (pas même les principes suprêmes), cette intelligence a le pouvoir divin d'illuminer les formes qui sont les natures déterminées des êtres donnés par l'expérience sensible. La substance (ousia) d'une chose est son idée (ou forme), ainsi toute nature particulière (ou espèce) est-elle intelligible. Empirisme réaliste. Grosse influence sur les philosophes arabes, puis, par eux, sur la scolastique du Moyen Âge. Voir Histoire de la philosophie par les textes et une cinquantaine de § du Traité (consulter l'index). Les termes essentiels de la philosophie d'Aristote sont définis dans la présente Encyclopédie : acte et puissance, forme et matière, âme, temps, Dieu, idée, nature. — La philosophie d'Aristote forme la base de la philosophie de saint Thomas d'Aquin (v. ci-après). Il en est ainsi parce qu'Aristote est, de tous les philosophes païens, celui qui a saisi le plus purement la condition humaine, établissant ainsi la limite du pouvoir explicatif de la raison pure.

Limite de la perfection humaine. I° Au livre X de l'Ethique à Nicomaque, il est montré (texte 24) : a) que la philosophie comporte des plaisirs merveilleux quant à la pureté et à la solidité ; on comprend clairement que l'existence soit plus agréable pour ceux qui savent que pour ceux qui sont en recherche de la connaissance (1177 a 25-6) ; saint Thomas commente (n. 2092) que la contemplation de la vérité trouvée et connue est ce qu'il y a de plus parfait, puisque c'est la fin, le but de la recherche ; et c'est pourquoi la délectation de la contemplation est plus grande que celle de la recherche ; b) que le plaisir de la contemplation comporte la pleine suffisance (autarkeïa : 1177 a 28) ; c) la suffisance, l'absence de fatigue propres à cette félicité font que cette vie est le bonheur accompli, parfait (teleïa eudaïmonia) [Méta. A 7, 1072 b 14 établit qu’elle est éternelle en Dieu.
II° La contemplation, avec la joie qu’elle inclut, indique d’abord que ce n’est pas en tant que simple homme (composé de corps et âme) qu’on vit de cette façon, mais en tant qu’un élément divin est présent en nous ; saint Thomas commente : vivre selon cet aliquid divinum, c’est vacare contemplation! (n. 2106 : «s’adonner», «se rendre libre» pour se livrer à la contemplation). — Mais ensuite, Aristote se trouve obligé de reconnaître, par la simple observation de la réalité (ici : la vie contemplative du philosophe), que l’on se détourne de ce theion ti (aliquid divinum). — Il en donne la raison à la fin de E.N. VII, où il se réfère aussi au bonheur parfait de Dieu (Dieu jouit éternellement d’un plaisir un et simple, 1154 b 25), pour dire que : a) l’homme aussi éprouve de purs plaisirs dans une activité en repos (et non en mouvement) [la contemplation du vrai] ; b) mais, comme dit Euripide (Oreste, 234), il est très doux de changer ; c) cela en raison d’une ponêria de notre nature humaine (ce terme est traduit tantôt par «imperfection», tantôt par «perversité» ; il indique un mauvais état de cette nature) ; d) Aristote insiste : de même que l’homme ponêros («méchant», «mauvais», «pervers») est eumetabolos («qui change à tout moment», «versatile»), la nature qui éprouve le besoin de changer est perverse, car elle n’est ni haplê, «simple», (— premier attribut de Dieu dans la Som. de théol.), ni épieïkês («dans la justice, l’ordre, la bonne mesure» ; saint Thomas rend par perfecte bond). Ces passages indiquent qu’Aristote s’est arrêté devant un problème insoluble, sans se lancer dans des mythes : le bon (élément divin) et le mauvais état inhérents à notre nature. Si nous prenons le Commentaire de la Seconde Epître aux Corinthiens, nous retrouvons le verbe vacare, mais non plus simplement comme acte de se livrer librement à la contemplation ; là aussi la nature humaine est surélevée, mais c’est dans un Amour qui lui est donné : «Amor quo diligimus Deum facit nos libenter servire Deo, sollicite quaerere honorem Deo et vacare Deo dulciter (l'Amour par lequel nous aimons Dieu fait que nous servions Dieu volontiers, avec joie ; que nous recherchions avec ardeur ce qui honore Dieu ; et que nous nous donnions à la douceur de le contempler)». — Saint Thomas peut ajouter (ce qu’Aristote ignorait) que c’est le péché qui nous fait sortir de ce vacare Deo dulciter — et c’est pourquoi l’amour de Dieu fait naître la tristesse du péché, tristesse qui est selon Dieu (n. 266 ; commentaire à VII, 10 sq.)

Aristote : 384-322.
Naquit en Thrace ; son père était médecin du roi Philippe. Il fut l'élève préféré de Platon. Bénéficiant de l'amitié du roi et de son fils Alexandre dont il était le précepteur, Aristote put constituer le plus grand laboratoire de l'Antiquité : tous les pêcheurs, chasseurs, herboristes devaient lui envoyer des échantillons de leurs prises. Il entreprit de constituer une encyclopédie scientifique. En 335 av. J.C. il fonda le Lycée. Médecin, naturaliste, biologiste, il s'opposa à la pensée de Platon et refusa de tenir pour rien la réalité sensible.

Aristote (Aristotelês, 384-322 av. J.-C.).

1. Vie. Philosophe grec, Aristote naquit à Stagire en Chalcidique. Son père, Nicomaque, était le médecin du roi de Macédoine Amyntas II (le père de Philippe II). Aristote s’installa à Athènes en 367 et y devint un des disciples de Platon. Il resta membre de l’Académie jusqu’à la mort de Platon en 347, année où il quitta Athènes. Peut-être quitta-t-il la ville parce que Speusippe succédait à Platon à la tête de l’Académie et qu’il désapprouvait le tour mathématique pris par la dernière philosophie des platoniciens, mais c’est sans doute plutôt pour des raisons d’ordre politique étant donné l’ascendant alors pris par Démosthène et le parti antimacédonien. Quoi qu’il en soit, c’est dans cette même année que Stagire, sa ville natale, fut détruite par Philippe II, le nouveau roi de Macédoine, et qu’Aristote s’installa à Assos, en Troade, cité où vivaient une petite colonie de philosophes issus de l’Académie. Ils étaient soutenus par Hermias, tyran éclairé de la cité voisine d’Atamée, pour qui Aristote écrivit un hymne et dont il épousa la fille, Pythias. Il y resta trois ans, enseignant et écrivant probablement, jusqu’à ce que les philosophes fussent chassés, après l’assassinat d’Hermias. Aristote se retira alors à Mytilène, dans l’île de Lesbos ; il y rencontra Théophraste et y enseigna jusqu’en 343/342. C’est pendant ses séjours à Assos et Mytilène qu’il mena à bien la plupart de ses recherches zoologiques. L’invitation de Philippe II à devenir le précepteur de son fils Alexandre (le futur Alexandre le Grand), alors âgé de treize ans, mit fin à cette période. L’enseignement d’Aristote se fondait sans doute principalement sur Homère et les auteurs dramatiques (il passe pour avoir préparé une édition de L’Iliade à l’intention de son royal élève), mais la nécessité de dispenser une éducation politique peut avoir stimulé son propre intérêt pour la question (un des ouvrages perdus s’intitule Alexandre, ou De la colonisation). En 335, Alexandre ayant accédé au trône et commencé son expédition en Asie, Aristote retourna à Athènes et y enseigna dans un gymnase construit au milieu d’un bosquet consacré à Apollon Lykeios, d’où son nom de Lycée. On dit qu’il donnait ses conférences à ses élèves le matin et au grand public dans la soirée. Sa philosophie fut appelée « péripatéticienne » en raison du nom du déambulatoire (peripatos) où les étudiants allaient et venaient. Le Lycée se caractérisa par des recherches savantes très variées, littéraires, scientifiques et philosophiques. Aristote collectait manuscrits et cartes, et il constitua la première bibliothèque d’importance de l’Antiquité en même temps qu’un musée d’objets naturels, entreprise dont on dit qu’elle bénéficia de l’aide d’Alexandre. C’est durant cette période que Pythias mourut. Aristote vécut ensuite avec Herpyllis, de laquelle il eut un fils, Nicomaque. Il appréciait l’amitié et la protection d’Antipater, qu’Alexandre avait nommé régent de Macédoine et de Grèce. Mais, après la mort d’Alexandre en 323, le parti antimacédonien redevint dominant à Athènes. Aristote, puisqu’il entretenait d’évidence des liens avec les Macédoniens, fut alors accusé d’impiété sous le prétexte que son hymne à Hermias aurait mieux convenu à un dieu qu’à un homme, accusation dont l’origine politique ne faisait pas de doute. Aussi, plutôt que de laisser les Athéniens « assassiner une deuxième fois la philosophie», Aristote légua son école à Théophraste et s’enfuit d’Athènes. Il mourut l’année suivante à Chalcis, en Eubée, non sans s’être plaint de son isolement dans les derniers mois. Son testament, rapporté par Diogène Laërce, le montre doué d’un caractère bienveillant et affectueux.

2. Caractère général de son œuvre. Aristote laissa un grand nombre de travaux sur des sujets extrêmement variés — on lui en attribue environ 400 — mais il ne nous en reste qu’à peu près le cinquième. Les œuvres que nous possédons aujourd’hui appartiennent pour la plupart à la dernière partie de sa vie et ne furent jamais publiées de son vivant. Celles qui furent lues dans l’Antiquité classique, par Cicéron et ses amis par exemple, avaient été publiées dans sa jeunesse et sont aujourd’hui perdues. On les appelle parfois «œuvres exotériques», désignant par là des travaux destinés au public extérieur à l’école. Elles sont écrites dans un style fluide et soigné afin d’être accessibles à un large public et leur tonalité est indubitablement platonicienne, quoique le degré d’adhésion du jeune Aristote aux doctrines de l’Académie platonicienne demeure encore une question controversée. À sa mort, Aristote légua à son successeur Théophraste non seulement ses livres, mais encore ses manuscrits. Ceux-ci comprenaient la totalité de ses notes de cours, lesquelles n’avaient pas été préparées en vue de leur publication. On les appelle parfois les « écrits acroamatiques » (gr. akroasthai : écouter une conférence, une lecture). C’est donc par hasard que les œuvres d’Aristote que nous possédons aujourd’hui ont été à l’origine des notes de cours retravaillées pendant de longues années et non destinées à être lues par le public. Il est possible qu’elles aient été mises en ordre après la mort du Stagirite par son collègue Eudème de Rhodes et son fils Nicomaque. Une tradition rapporte que Théophraste légua ces manuscrits à un certain Nélée de Scepsis et que les héritiers de ce dernier les cachèrent dans une cave afin qu’ils échappent aux razzias de livres organisées par les rois de Pergame (pour un exemple de la collectomanie durant la période hellénistique. On ignore quel en fut l’usage au IIIe et au IIe siècle, mais ils ne peuvent avoir été totalement ignorés : il existe des listes de titres en circulation, faites par ou pour les conservateurs de la bibliothèque d’Alexandrie, et quelques philosophes stoïciens semblent avoir eu connaissance de la logique d’Aristote. Il est encore possible, hypothèse fragile, que ces fameux manuscrits aient été vendus et soient parvenus à Athènes, d’où Sylla les a embarqués pour Rome en les incluant dans son butin de guerre à l’issue de la campagne contre Mithridate (89-85 av. J.-C.). Ils y furent alors édités par Andronicus de Rhodes, qui dirigeait à l’époque le Lycée à Athènes, et cette édition est la base de tous les manuscrits que nous avons conservés d’Aristote, que ce soit en grec ou en tout autre langue. Cette édition circula, elle fut étudiée de près et abondamment commentée. Les commentateurs ayant trouvé ces livres plus profonds et plus originaux que ceux qui avaient déjà été publiés, ces derniers tombèrent de ce fait progressivement en désuétude et c’est ce qui explique peut-être leur disparition.
3. Les œuvres d’Aristote peuvent être divisées en trois genres :
I. Les premiers travaux de philosophie populaire, qui sont pour la plupart des dialogues et qui ont été publiés par Aristote lui-même. De tonalité platonicienne, ces premiers travaux sont aujourd’hui perdus, à l’exception des fragments qui en ont été conservés par l’intermédiaire des auteurs postérieurs qui s’y réfèrent. Le Protreptique (« exhortation à la philosophie ») en faisait partie et servit de modèle à Cicéron pour l'Hortensius, œuvre qui eut une influence considérable sur le jeune Augustin, mais qui est aujourd’hui également perdue.
Il. D’imposants catalogues de faits historiques ou scientifiques pour la plupart aujourd’hui perdus. Aristote les rassemblait souvent avec ses collaborateurs. Les listes des vainqueurs aux jeux Olympiques et Pythiques ainsi que les didascalies (enregistrements des jeux dramatiques à Athènes) en faisaient partie; il nous reste quelques traces de ces dernières dans les scholies des pièces grecques qui nous sont parvenues. Le seul travail de cette nature qui ait entièrement survécu est la Constitution d’Athènes (Athenaiôn politeia), premier titre d’un catalogue de 158 constitutions grecques, retrouvé sur un papyrus égyptien en 1890.
III. Œuvres philosophiques et scientifiques dont bon nombre nous ont été transmises. Nous n’avons que très peu d’indications nous permettant de dater les œuvres d’Aristote ou de les assembler dans un ordre de composition (en raison de leur nature, beaucoup ne doivent leur forme actuelle qu’au fait d’avoir été retravaillées durant de longues années). Globalement, ces œuvres semblent indiquer une rupture progressive avec Platon, bien que certaines de celles qui manifestent une franche opposition à Platon puissent dater des premières années d’Aristote à l’Académie. Aristote ne croyait pas à l’existence séparée des Idées immobiles (ou Formes), pas plus qu’il ne les acceptait comme une explication suffisante du changement et du mouvement, explication qu’il cherchait encore dans ses derniers travaux. Il n’a pas senti, contrairement à Platon, que la science physique était fondée sur les mathématiques ; c’est pourquoi, en l’absence de toute mesure effective, il est souvent conduit dans ses œuvres physiques à argumenter en se fondant sur des hypothèses plausibles mais erronées. Il fit beaucoup d’erreurs en astronomie et son influence sur la pensée ultérieure fut négative car elle freina le développement de celle-ci. Cependant, sa contribution fut de premier plan en biologie, science qu’il créa, car, l’exactitude de la mesure y étant moins cruciale, il sut y combiner une solide observation et de fins raisonnements. Il considérait la politique de la même façon, c’est-à-dire comme une étude qui dépend de l’observation et dont la fonction est de découvrir les lois générales de la naissance et de la chute des systèmes politiques, le tout toujours dans une perspective pratique. Un sens commun bien inspiré, qui compose une bonne part de sa pensée, lui permet d’en écarter les positions extrémistes. Cela ne signifie pas qu’il accepte les compromis de demi-mesure, mais plutôt qu’il reconnaît toujours équitablement les rôles respectifs joués par les sens et l’intellect, les droits du corps et de l’esprit; c’est dans ce sens qu’il se fit le défenseur de la classe moyenne parce qu’elle lui apparaissait être l’élément le plus stable de l’État. L’esprit d’ordre et de système constitue son autre trait marquant et c’est de cette tournure d’esprit que nous sommes grandement redevables pour la classification des sciences qui est toujours la nôtre. Il en est de même pour la majorité de notre terminologie philosophique puisque la plupart des termes qu’il introduisit pour la première fois — universel et particulier, prémisse et conclusion, sujet et attribut, forme et matière, puissance et acte — sont toujours communément utilisés en philosophie et ailleurs.

4. Œuvres conservées. On peut classer comme suit les traités qui nous sont parvenus :
I. Logique, ensemble nommé plus tard Organon («outil» ou «instrument ») et composé de six traités : les Catégories (Categoriae), De l'Interprétation (De Interpretatione), Premiers et Seconds Analytiques (Analytica priora et posteriora), Topiques (Topica) et Réfutations sophistiques (De sophisticis elenchis). Aristote, en se fondant sur sa découverte du syllogisme, fut le premier à explorer la science du raisonnement, aussi bien formel (dans les Premiers Analytiques) que scientifique (dans les Seconds Analytiques). Son analyse, aussi loin qu’elle aille, est admirable et reste encore valide. Les maîtres du Moyen Âge résumèrent son enseignement sur ce point à l’aide des fameuses lignes mnémotechniques commençant par «barbara, celarent, darii, ferioque prioris... » où les voyelles indiquent la nature des prémisses majeures et mineures ainsi que la conclusion des différents modes de syllogisme. A représente une universelle affirmative (« tout S est P»), E, une universelle négative («aucun S n’est P»), I, une particulière affirmative («un S est P») et O une particulière négative («un S n’est pas P»). Aristote utilisait lui-même des lettres pour remplacer les termes des propositions.
Il. La Métaphysique. C’est un mélange de traités et de notes de cours de différentes périodes rassemblés par Andronicus de Rhodes (voir 2, supra) et par lui appelés Metaphysica parce que, dans son édition, ces livres venaient «après la physique» (meta ta physica). Telle est l’origine du nom de cette branche de la philosophie encore aujourd’hui appelée métaphysique, mais le nom d’Aristote pour cette matière était prôtê philosophia, « philosophie première». Les quatorze livres, désignés par les lettres de l’alphabet grec, couvrent des sujets concernant les principes fondamentaux parmi lesquels l’«être» des choses (to on, à comparer au français ontologie), la matière, la forme, la substance et l’essence. La «forme» aristotélicienne, soit la nature intelligible d’une chose, diffère de l’«idée» platonicienne, du moins telle qu’Aristote la concevait, immanente : elle n’a pas d’existence séparée. Aristote conclut que l’Univers doit avoir une cause finale, unique et immobile, un « moteur immobile» engagé dans l’activité éternelle de la pensée pure, ou contemplation (theôria), donnant le suprême bonheur. Ce « moteur immobile », qui peut être appelé Dieu, ne s’intéresse pas à l’Univers, mais ce dernier en dépend fondamentalement puisque l’éternel mouvement circulaire des astres, qui est la cause du changement des saisons et du rythme de la naissance, de la reproduction et de la mort, est une imitation de l’activité divine. Grâce à notre possession de l’intellect (nous), nous pouvons imiter Dieu en nous engageant dans la pensée pure, telle est notre plus haute activité, mais nous ne pouvons y parvenir que de façon brève et intermittente.
III. Sciences de la nature (physique, biologie, psychologie). On trouve dans cet ensemble : (a) La Physique (Physica). C’est un examen des éléments constitutifs des choses qui existent «par nature» (est «nature» ce qui «possède en soi le principe de son mouvement»). Aristote y analyse des notions comme la matière et la forme, le temps, l’infini, le lieu, le mouvement. Il y présente sa théorie des quatre causes : la cause matérielle ( ce à partir de quoi une chose vient à être), la cause formelle (la nature intelligible d’une chose, ce en vertu de quoi une chose est ce qu’elle est), la cause motrice ou efficiente (l’origine immédiate du changement) et la cause finale (la fin ou le but du changement), (b) Le traité Du ciel ( De caelo) qui porte sur le mouvement des corps célestes et terrestres (Aristote savait que la Terre était sphérique, mais il la situait au centre de l’Univers). (c) Le traité De la génération et de la corruption (De ge-neratione et corruptione). (d) Les Météorologiques (Meteorologica) qui portent principalement sur les phénomènes atmosphériques, (e) Un ensemble de traités sur la zoologie : les neuf livres de l’Histoire des animaux (Historia animalium) qui sont un recueil d’observations particulièrement fines sur la vie des animaux (Aristote savait par exemple que les baleines étaient des mammifères) et une série de traités concernant la classification des animaux, leur reproduction, l’adaptation et l’évolution de leurs organes (Aristote relève les problèmes soulevés par le recours aux causes finales dans l’explication de la vie organique), soit Les parties des animaux (De partibus animalium), le traité De la génération des animaux (De generatione animalium) et les petits traités de la Marche des animaux (De incessu animalium) et du Mouvement des animaux (De motu animalium). (f) Le traité De l'âme (De anima), en trois livres, où Aristote soutient que l’âme et le corps sont les deux aspects d’un même être vivant et qu’il existe entre eux une relation de la forme à la matière. L’âme, qui est la force vitale, ne survit donc pas après la mort du corps, bien qu’Aristote semble aussi penser que l’âme humaine possède une partie de l'« intellect agent » (nous poiêtikos : intellect ou esprit productif) qui est éternel et immortel en tant qu’il est peut-être semblable à Dieu, (g) Plusieurs brèves monographies rassemblées sous le titre général de Petits traités d'histoire naturelle (Parva naturalia) portant sur la sensation, la mémoire, le sommeil, les rêves, la divination et sur les conditions physiologiques générales de la vie.
IV. Ethique et politique. Aristote écrivit deux traités d’éthique qu’il nomma Êthika («ce qui concerne le caractère ») : l’Éthique à Nicomaque et l’Éthique à Eudème. Ils couvrent tous deux le même champ, mais on y remarque de notables différences et la relation entre ces deux traités est encore aujourd’hui une question controversée. L’Éthique à Nicomaque, qui est principalement l’étude de la fin en vue de laquelle nos actions doivent être dirigées, est la plus connue. Aristote reconnaît que le «bonheur» ou la « vie heureuse », eudaimonia, assure la réussite d’une vie dès lors que, poursuivi à bon escient, il est posé comme la fin de la vie humaine, et il entend montrer aux hommes comment y parvenir. Pour être heureux, on doit bien faire les choses qui sont proprement humaines, or les humains se distinguent des autres animaux en ce qu’ils possèdent l’intellect, le «divin en nous ». Le bonheur qui est proprement humain est donc «achevé» par l’activité intellectuelle (la «vie contemplative»). Toutes les vertus humaines ne sont pas intellectuelles et il y a aussi les vertus morales. Aristote définit ces dernières comme la disposition à choisir une certaine moyenne, telle que la déterminerait «l’homme doué de sagesse pratique» (phronimos, le «prudent ») entre deux attitudes extrêmes et opposées ; un milieu ou une moyenne, par exemple, entre l’ascétisme et la débauche cédant aux impulsions incontrôlées. Aristote insiste sur la notion d’intention morale, mais les vertus du caractère sont tout aussi importantes. L’individu solitaire ne peut pas mettre en pratique la vertu : « l’homme est par nature un animal politique» (c.-à-d. qu’il est dans notre nature de vivre dans une cité, polis). Dans les huit livres de sa Politique (Politica), Aristote traite de la science politique à partir du point de vue de la cité-État, point de vue dont il soutient qu’il est le plus favorable à l’épanouissement total du citoyen. Aristote pense que l’État s’est formé grâce à un premier regroupement des familles en villages, puis de ces derniers en une cité, afin d’assurer aux citoyens une vie bonne et autosuffisante. Puisque cette fin morale, et non pas matérielle, est la caractéristique essentielle de l’État, il est naturel que le pouvoir revienne non aux riches ou à l’ensemble des citoyens, mais aux meilleurs. Dans ces traités, il traite donc de la citoyenneté, de la classification des constitutions effectives et de leurs différentes espèces, de leurs troubles et des moyens d’y remédier. Le Stagirite reconnaît les avantages de la démocratie, mais soutient que la monarchie est la forme la plus haute de constitution s’il se trouve un roi éminemment parfait, or comme l’on n’en trouve généralement pas, il préfère encore l’aristocratie des hommes vertueux et éclairés. Mais, étant donné que cela aussi est difficile, il considère globalement qu’une démocratie limitée est ce qui convient le mieux aux conditions effectives de la Grèce de son temps. Aristote considère l’esclavage comme une institution naturelle, du moment qu’il est fondé sur l’infériorité naturelle de l’esclave et non sur le droit de conquête. Toutefois, le maître ne doit pas abuser de son autorité, et les esclaves doivent pouvoir espérer être affranchis. Telle qu’elle nous est parvenue, cette œuvre n’est ni uniforme ni complète, ses différentes parties pouvant fort bien avoir été composées à des époques différentes. Les livres VII et VIII, qui contiennent la discussion sur l’État idéal, semblent appartenir à un texte primitif suivant la méthode purement constructive de Platon. Les livres IV-VI, consacrés aux États historiques tels qu’ils existaient et où l’on trouve une allusion à la mort de Philippe II de Macédoine, doivent avoir été écrits plus tard, quand Aristote avait à sa disposition le catalogue des 158 constitutions, duquel seule la Constitution d'Athènes a survécu. Ce dernier ouvrage retrace l’évolution de la Constitution d’Athènes, des premiers temps (les premiers chapitres manquent) jusqu’à la chute des Trente Tyrans (404), puis il décrit la démocratie évoluée contemporaine d’Aristote.
V. Rhétorique et poétique. La Rhétorique étudie les moyens de persuasion, qu’Aristote divise entre ceux par lesquels l’orateur engendre chez son auditoire une appréciation favorable de son propre caractère, ceux par lesquels il suscite les passions de ses auditeurs et enfin ceux qu’il appelle les arguments logiques, exemples ou enthy-mèmes (gr. enthymema, l’équivalent rhétorique du syllogisme, fondé sur le vraisemblable). Puis il traite du style (ses principales qualités en sont la clarté, le choix approprié des termes et la convenance) et de Tordre des parties : il s’agit de montrer comment composer un bon discours (voir rhétorique). Voir aussi poétique pour le traité d’Aristote du même nom.


5. L'influence d'Aristote. L’influence exercée par Aristote sur les futures générations de philosophes et de scientifiques fut immense grâce à l’impulsion qu’il donna aux études ultérieures, aux instruments de recherche qu’il inventa et à ses contributions effectives au domaine de la connaissance. En Europe occidentale, au début du Moyen Âge, plus précisément du haut Moyen Âge jusque vers 1200 apr. J.-C., on connaissait et étudiait principalement ses écrits de logique, quoique pas tous (d’où le nom de Logica vetus), et ils exerçaient une rigoureuse influence sur les disputationes entre les savants scolastiques. La logique aristotélicienne, plus que tout autre, exerça son influence sur l’esprit européen. Cependant les écrits scientifiques et philosophiques d’Aristote connurent une fortune différente. Ce n’est qu’à partir de 800 apr. J.-C. qu’ils furent traduits et diffusés par les Arabes, d’abord en Orient, puis, à la suite de leurs conquêtes, en Espagne. Les versions arabes furent alors traduites en latin et, au début du xiiie siècle, ces traductions latines furent diffusées à partir de l’Espagne dans le reste de l’Europe, qui ignorait tout de ces œuvres auparavant. L’étude de ces nouveaux écrits fut d’abord proscrite, mais, grâce à Albert le Grand (1206-1280) et à Thomas d’Aquin (v. 1225-1274), ils devinrent vite la base d’une nouvelle philosophie chrétienne, mélange de théologie et d’aristotélisme. Quand, à la fin du xiiie siècle, les traductions latines à partir de l’arabe furent remplacées par des traductions plus précises directement issues du grec, l’autorité d’Aristote était devenue absolue dans quasiment tous les domaines du savoir. Ce fut particulièrement malheureux pour l’astronomie, qui, avec l’alchimie, représentait l’intérêt scientifique majeur du Moyen Âge, puisqu’en effet, dans ce domaine, Aristote s’était fourvoyé, soutenant que la Terre était une sphère stationnaire et l’Univers géocentrique. Dante et Chaucer, par exemple, bien qu’ils aient eu tous deux une connaissance approfondie de l’astronomie, partageaient encore ce point de vue aristotélicien. Quand Galilée (1564-1642) remit en question sa véracité, c’était donc contre un christianisme aristotélicien qu’il péchait. Le contemporain britannique de Galilée, Francis Bacon (1561-1626), bien que contempteur des anciens philosophes en général, conserve encore la division aristotélicienne des quatre causes et intitule une partie essentielle de son œuvre, le Novum Organum. On ne remarque aucune tendance semblable chez Descartes (1596-1650), dont un des signes les plus probants de sa rupture avec la scolastique médiévale est que son premier ouvrage imprimé, le Discours de la méthode (1637) — titre lui-même déjà polémique, en ce qu’il annonce son intention de rompre avec l'Organon — fut publié en français et non en latin, afin de se séparer nettement de l'École.
 

ARISTOTE, philosophe grec (Stagire, en Macédoine, 384 - Chalcis, en Eubée, 322 av. J.-C.). Fils du médecin du roi Philippe, élève de Platon pendant vingt ans, il est le fondateur de l'école péripatéticienne. Les traités d'Aristote sont des notes de cours, réunies en une vaste encyclopédie et réparties en quatre groupes : 1° la logique (les Analytiques), dont l'influence fut considérable au Moyen Age, où elle suscita la scolastique. C'est Aristote qui a posé les définitions de la « déduction » et de I'« induction », qui a dégagé les notions de « concept », de « jugement » et de « raisonnement », telles que nous les utilisons couramment aujourd'hui; 2° les ouvrages de philosophie de la nature (la Physique), qui développent une philosophie vitaliste dont Leibniz, Schelling et même Bergson se sont réclamés; 3° une Métaphysique, qui explique l'origine du mouvement dans le monde à partir de Dieu, « acte suprême ». C'est un problème non résolu de savoir si Dieu est, chez Aristote, immanent ou transcendant au monde; 4° une morale pratique (Ethique à Nicomaque, Politique), qui allie les vues rétrogrades de l'Antiquité (nécessité de l'esclavage, notions de races inférieures) à des vues novatrices et modernes (rôle du milieu géographique, économique et social sur les individus, idée d'une politique fondée sur l'expérience). C'est autour de la doctrine d'Aristote, en particulier de sa logique et de sa théorie de la connaissance, que s'est développée toute la philosophie du Moyen Age, dont elle fut l'oracle et l'inspiratrice.

ARISTOTE Aristote, célèbre philosophe grec, né à Stagyre vers 384, mort à Chalcis (Eubée) vers 322, est fils d'un médecin, Nicomaque, qui lui inspire le goût des études naturelles. Précepteur d'Alexandre le Grand, Aristote est l'un des génies les plus remarquables de l'Antiquité. Il traite les genres les plus divers : histoire naturelle, philosophie, poésie, rhétorique... Il est le créateur de la physiologie et de la zoologie. Disciple de Platon, il abandonne bientôt la doctrine de son maître et fonde à Athènes l'école péripatéticienne ou Lycée, qui pose l'expérience comme base de nos connaissances. Instaurateur de la philosophie expérimentale et du syllogisme, par ses méthodes et ses classifications, Aristote a fourni le moule dans lequel s'est accompli, jusqu'aux temps modernes, tout le travail philosophique et scientifique de l'humanité. Connue au Moyen Âge, mais imparfaitement, par l'intermédiaire des Arabes, sa logique domina toute la scolastique. Cette logique, bannie des sciences par Bacon et Galilée, écartée de la philosophie par Descartes, a été aussi critiquée par Hegel. La sagesse Tous les hommes ont un désir naturel de connaître ; nous aimons, même intérêt à part, les perceptions de nos sens, surtout celles de la vue, parce que c'est le sens par lequel nous apprenons davantage, et qui nous montre le plus de différences. Tous les animaux sont doués de sensation, et plusieurs de mémoire ; ceux qui, de plus, ont l'ouïe peuvent apprendre ; mais ceux-ci mêmes ne sont guère capables d'expérience. L'homme seul a l'art et le raisonnement : la mémoire lui donne l'expérience ; l'expérience, l'art et la science. La sagesse est indépendante de l'utilité ; elle est même d'autant plus haute qu'elle est moins utile, et elle a pour objet des principes et des causes. Voyons de quelles causes s'occupe la sagesse. Si nous nous en rapportons à l'opinion générale, le sage est celui qui sait tout, sans savoir les choses particulières ; c'est celui qui sait les choses les plus difficiles, et qui peut démontrer avec rigueur ; enfin, la science la plus haute est celle qui n'a d'autre but qu'elle-même et la connaissance pure. Or, les choses les plus difficiles à connaître pour les hommes, ce sont les plus éloignées des sens, c'est-à-dire les plus générales ; les sciences les plus rigoureuses sont celles qui remontent aux principes ; les plus démonstratives, celles qui considèrent les causes ; la science qui se donne comme fin à soi-même, c'est celle du connaissable par excellence, c'est-à-dire du primitif et de la cause ; enfin, la science souveraine, c'est celle du but et de la fin des êtres, qui est le bien dans chaque chose, et dans toute la nature le bien absolu. Cette science est la seule libre, puisque seule elle n'est qu'à cause d'elle-même ; elle est donc la moins utile, et, par cela même, la plus excellente de toutes les sciences. C'est à la fois la science la plus divine, et celle qui considère les choses les plus divines et Dieu Lui-même. L'ignorant s'étonne que les choses soient comme elles sont, et cet étonnement est le commencement de la science ; le sage s'étonnerait au contraire que les choses fussent autres qu'il ne les sait. (Métaphysique, 1I.)