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Victor de l'Aveyron et la nature humaine

  - Exemple de Victor de l'Aveyron découvert par hasard par des chasseurs alors qu'il était âge de 10 ans environ. Il fut l'objet d'une éducation par Jean Itard, médecin de l'Institution des sourds-muets à Paris. Victor finit par perdre son allure bestiale, manger dans une assiette et prononcer quelques mots. - Ce récit montre qu’un enfant élevé loin des hommes ne sont parvenus que très laborieusement à se tenir droit et à vivre en société. On ne peut pas les prendre comme témoins de l'état naturel de l'homme avant l'état de culture. Ils sont en tout cas la démonstration vivante de l'incapacité à s'humaniser hors du contact avec les hommes. Le développement humain n'est possible que par la vie sociale et l'éducation. L’homme n’a pas de caractéristiques innées comme l’animal, sinon Victor les aurait possédées. Lucien Malson: «  ni le langage, ni la technique, ni la station droite ne sont naturelles chez l’homme. L’homme est cet animal étrange qui a besoin du contact de ces semblables pour réaliser sa nature. » (in « Les enfants sauvages »).

    L’enfant sauvage = non civilisé,  être de nature, dépourvu de toute éducation. Éducation = apprentissage de savoirs, clés pour penser le monde et y exercer son libre arbitre. Exercice de sa raison. L’éducation permet la transmission d’un héritage (pratique et théorique) par le langage articulé. Victor de l’Aveyron en est donc dépourvu. Victor fut considéré de deux façons opposées:   Jean Itard voulait démontrer que l’état sauvage de Victor n’était pas irréversible et que le déficit de cet enfant avait pour origine le manque d’un entourage humain et de stimulations appropriées. Itard publiera les différents stades de son évolution dans un premier rapport publié en 1801 suivi d’un deuxième rapport parut en 1806. Afin de pouvoir constater les progrès de Victor = diagnostic du docteur Pinel, repris par la suite par le docteur Itard. «  Procédant d'abord par l'exposition des fonctions sensorielles du jeune sauvage, le citoyen Pinel nous présenta ses sens réduits à un tel état d'inertie que cet infortuné se trouvait, sous ce rapport, bien inférieur à quelques-uns de nos animaux domestiques ; ses yeux sans fixité, sans expression, errant vaguement d'un objet à l'autre sans jamais s'arrêter à aucun, si peu instruits d'ailleurs, et si peu exercés par le toucher, qu'ils ne distinguaient point un objet en relief d'avec un corps en peinture : l'organe de l'ouïe insensible aux bruits les plus forts comme à la musique la plus touchante : celui de la voix réduite à un état complet de mutité et ne laissant échapper qu'un son guttural et uniforme : l'odorat si peu cultivé qu'il recevait avec la même indifférence l'odeur des parfums et l'exhalaison fétide des ordures dont sa couche était pleine ; enfin l'organe du toucher restreint aux fonctions mécaniques de la préhension des corps. Passant ensuite à l'état des fonctions intellectuelles de cet enfant, l'auteur du rapport nous le présenta incapable d'attention, si ce n'est pour les objets de ses besoins, et conséquemment de toutes les opérations de l'esprit qu'entraîne cette première, dépourvu de mémoire, de jugement, d'aptitude à l'imitation, et tellement borné dans les idées même relatives à ses besoins, qu'il n'était point encore parvenu à ouvrir une porte ni à monter sur une chaise pour atteindre les aliments qu'on élevait hors de la portée de sa main ; enfin dépourvu de tout moyen de communication, n'attachant ni expression ni intention aux gestes et aux mouvements de son corps, passant avec rapidité et sans aucun motif présumable d'une tristesse apathique aux éclats de rire les plus immodérés ; insensible à toute espèce d'affections morales ; son discernement n'était qu'un calcul de gloutonnerie, son plaisir une sensation agréable des organes du goût, son intelligence la susceptibilité de produire quelques idées incohérentes, relatives à ses besoins ; toute son existence, en un mot, une vie purement animale. »  Itard avait pour but d’humaniser l’enfant. Victor développa de nombreux progrès grâce aux soins attentifs du docteur et de madame Guérin. L'homme ne réalise son essence, sa nature intelligente, son aptitude au raisonnement, n'accède à la complexité des sentiments, etc., que parce qu'il est porté par une culture, par des acquis.   Les progrès de Victor: Victor apprit à se vêtir, manger proprement, se tenir droit, compris le lien entre les objets et leurs noms, il apprit même les règles simples de l’écriture. Itard le fit pleurer, l’amena à exprimer sa joie et même à développer le sens du juste et de l’injuste (conscience morale). Cependant, il ne fut jamais vraiment adapté et autonome. Il tenta plusieurs fois de s’échapper et fut victime de graves crises (d’épilepsie?) Force est bien de reconnaître qu’il ne s’agissait pas chez Victor d’une idiotie intrinsèque, congénitale ou héréditaire puisqu’il arriva peu à peu jusqu’à l’imbécillité où le sujet se montre capable d’une amorce de vie sociale, d’échanges verbaux avec l’entourage, d’une lecture et d’une écriture approximative. Pourquoi Victor a-t-il atteint très vite son plafond intellectuel? Il y a un âge de la parole, un âge de la marche, comme un âge de la lecture, de l’écriture. Tout devient difficile quand l’heure est passée. Victor mourut quarantenaire. Imbécillité = Degré d’arriération mentale. Age mental compris entre 3 et 7 ans. Entre l’idiotie et la débilité. Au cas malheureux de Victor, on opposera celui d’Helen Keller (1880) aux États-Unis. Sourde, muette et aveugle de naissance mais d’une intelligence intacte, elle parvient à mener une carrière d’intellectuelle: « Mon univers » où elle raconte son expérience singulière => Une institutrice lui fait découvrir le symbolisme en tapant dans une main les coups correspondant au mot « water » en même temps qu’elle versait de l’eau dans l’autre main. A l’inverse, l’intelligence de Victor « tendant sans cesse au repos et sans cesse mue par des moyens artificiels » (Itard) ne parviendra jamais à un tel niveau d’abstraction. Inertie de l’intelligence de Victor. En effet, qu’est-ce que l’intelligence? Sinon la capacité de se défaire de la sensation et de l’intuition immédiate pour s’abstraire dans un espace et dans un temps universels. Contrairement à l’animal, l’homme n’a pas de nature au sens propre. Animal = nature sans liberté. Homme = liberté sans nature. L’animal possède de nombreuses ressources instinctuelles comme fuir devant un bruit, chercher de la nourriture, un partenaire sexuel… L’homme est perfectible, fait d’histoire et non simplement d’évolution. Si, à sa naissance, l’homme ne sait rien, il peut apprendre sans limites. Cette absence de déterminations particulières est parfaitement synonyme d’une présence de possibles indéfinis. Le gland devient un chêne, le chien naît avec les caractéristiques de son espèce, etc. En ce qui concerne l'homme, comme le montre clairement le cas des enfants sauvages, la nature humaine n'est pas naturelle, n'est pas innée. Les caractéristiques essentielles de l'humanité, à savoir le fait de parler une langue, d'avoir des sentiments et des passions qui sont aussi combattues par la raison, d'avoir une intelligence créatrice, etc., qui sont le fait de tous les hommes et qui spécifient l'espèce humaine, ne se réalisent que si l'individu baigne dans une culture humaine dès la naissance. L'homme ne «  naît pas homme  », il me devient. Il a besoin de tout cet apport très complexe que lui donne le milieu humain pour advenir à son humanité. Ce n'est donc ni Dieu, auquel on ne veut plus se contenter de faire référence directement, ni la nature qui génèrent, comme pour les animaux, ce qu'il y a d'humain en l'homme, mais la culture. Le créateur de l'humain en l'homme n'étant pas la nature et ne pouvant plus non plus être renvoyé au mystère de la création divine, c'est la société qui en devint le dépositaire. Or la société est, elle-même, une production de l'homme. La conclusion de la modernité fut logiquement que le créateur de l'homme, c'est l'homme. L'homme doit tout de son humanité aux autres hommes. L’homme naît inachevé. L’homme est un prématuré naturel. C’est ce qu’on appelle le phénomène de «  néoténie  ». A la naissance, il possède la totalité de ses neurones mais encore peu de connexions neuroniques. Elles se mettront en place pour l’essentiel lors des 2 premières années de la vie de l’enfant. Le développement de l’enfant dépend des sollicitations de l’entourage. Le cerveau qui met tant de temps à se développer que l'être humain a besoin d'un second utérus, l'utérus culturel après l'utérus maternel. Victor retrouvé trop tard n’a pas eu les stimulations nécessaires à l’apprentissage de la parole et au développement de ces capacités de représentations. Le cas des enfants sauvage a permis de peser toute l’importance de la différence : celle de l’animal et de l’homme, celle de l’inné et de l’acquis.  
Jean-Marc Itard – « Mémoire sur Victor de l’Aveyron » (1801)
« Jeté sur ce globe sans forces physiques et sans idées innées, hors d'état d'obéir par lui-même aux lois constitutionnelles de son organisation, qui l'appellent au premier rang du système des êtres, l'homme ne peut trouver qu'au sein de la société la place éminente qui lui fut marquée dans la nature, et serait, sans la civilisation, un des plus faibles et des moins intelligents des animaux: vérité, sans doute, bien rebattue, mais qu'on n'a point encore rigoureusement démontrée... Les philosophes qui l'ont émise les premiers, ceux qui l'ont ensuite soutenue et propagée, en ont donné pour preuve l'état physique et moral de quelques peuplades errantes, qu'ils ont regardées comme non civilisées parce qu'elles ne l'étaient point à notre manière, et chez lesquelles ils ont été puisé les traits de l'homme dans le pur état de nature. Non, quoi qu'on en dise, ce n'est point là encore qu'il faut le chercher et l'étudier. Dans la horde sauvage la plus vagabonde comme dans la nation d'Europe la plus civilisée, l'homme n'est que ce qu'on le fait être; nécessairement élevé par ses semblables, il en a contracté les habitudes et les besoins ; ses idées ne sont plus à lui ; il a joui de la plus belle prérogative de son espèce, la susceptibilité de développer son intelligence par la force de l'imitation et l'influence de la société. »
 

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