Databac

VERITES ET VALEURS SONT-ELLES RELATIVES ?

VÉRITÉS ET VALEURS SONT-ELLES RELATIVES ? (Cours de spécialité d’humanités, littérature et philosophie)

 

INTRODUCTION :

 

  1. Les arguments des sceptiques grecs.

LE SCEPTICISME

La fin du XVIe siècle est une période marquée par un ébranlement des certitudes et des valeurs les mieux établies : la ruine du géocentrisme, la remise en question des principes d'Aristote, la découverte du continent américain sont autant d'éléments qui bouleversent la vision médiévale de l'univers. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre le scepticisme que Montaigne oppose à la raison : exercice constant d'une faculté de juger, c'est-à dire de nier, l'acte de pensée s'identifie chez lui, comme plus tard chez Descartes, avec celui de douter. La raison est pour Montaigne une puissance de négation qui se découvre dans cette négation même; faculté souveraine, elle peut se remettre en question et aboutir à son propre désaveu lorsqu'elle outrepasse ses limites (comme chez Pascal).

 

2. Critique logique du scepticisme.

Rappel:

LES 4 principes de la logique.

  1. Principe d'identité : «Ce qui est, est», «A est A». Une chose est ce qu'elle est => A= A
  2. Principe de non-contradiction : Forme négative du principe d'identité. «Un même attribut ne peut pas être affirmé et nié d'un même sujet en même temps et sous le même rapport.» On ne peut pas dire à la fois d'une plante qu'elle est verte et qu'elle n'est pas verte. (A n'est pas non A). Une pomme n'est pas un cheval. De même, il est impossible qu'en même temps le cheval d'Henry IV soit à la fois blanc et ne soit pas blanc => A ≠ ⌐ A

  3. Principe du tiers-exclus : (A ou non A, pas de troisième solution possible). C'est une pomme ou pas une pomme ! Si une proposition est vraie, alors sa contradictoire est fausse => A = ⌐ ⌐ A
  4. Principe de causalité : tout fait a une cause, et les mêmes causes produisent les mêmes effets. (Ce principe s'appelle aussi : principe du déterminisme).

 

Peut-on soutenir une telle thèse, qui revient à dire que tout est vrai ? Affirmer l'égale vérité des opinions individuelles portant sur un même objet et ce malgré leur diversité, revient à poser que « la même chose peut, à la fois, être et n'être pas » (Aristote). C'est donc contredire le fondement même de toute pensée logique : le principe de non-contradiction, selon lequel « il est impossible que le même attribut appartienne et n'appartienne pas en même temps, au même sujet et sous le même rapport ». Or, un tel principe en ce qu'il est premier est inconditionné et donc non démontrable. En effet, d'une part, s'il était démontrable, il dépendrait d'un autre principe, mais un tel principe supposerait implicitement le rejet du principe contraire et se fonderait alors sur la conséquence qu'il était sensé démontrer ; on se livrerait donc à une pétition de principe ; et d'autre part, réclamer la démonstration de toute chose, et donc de ce principe aussi, c'est faire preuve d'une « grossière ignorance », puisqu'alors « on irait à l'infini, de telle sorte que, même ainsi, il n'y aurait pas démonstration ». C'est dire qu' « il est absolument impossible de tout démontrer », et c 'est dire aussi qu'on ne peut opposer, à ceux qui nient le principe de contradiction, une démonstration qui le fonderait, au sens fort du terme.

Mais si une telle démonstration est exclue, on peut cependant « établir par réfutation l'impossibilité que la même chose soit et ne soit pas, pourvu que l'adversaire dise seulement quelque chose ». Le point de départ, c'est donc le langage, en tant qu'il est porteur d'une signification déterminée pour celui qui parle et pour son interlocuteur. Or, précisément, affirmer l'identique vérité de propositions contradictoires, c'est renoncer au langage. Si dire « ceci est blanc », alors « blanc » ne signifie plus rien de déterminé. Le négateur du principe de contradiction semble parler, mais en fait il « ne dit pas ce qu'il dit » et de ce fait ruine « tout échange de pensée entre les hommes, et, en vérité, avec soi-même ». En niant ce principe, il nie corrélativement sa propre négation ; il rend identiques non pas seulement les opposés, mais toutes choses, et les sons qu'il émet, n'ayant plus de sens définis, ne sont que des bruits. « Un tel homme, en tant que tel, est dès lors semblable à un végétal. »

Si la négation du principe de contradiction ruine la possibilité de toute communication par le langage, elle détruit aussi corrélativement la stabilité des choses, des êtres singuliers. Si le blanc est aussi non-blanc, l'homme non-homme, alors il n'existe plus aucune différence entre les êtres ; toutes choses sont confondues et « par suite rien n'existe réellement ». Aucune chose n'est ce qu'elle est, puisque rien ne possède une nature définie, et « de toute façon, le mot être est à éliminer » (Platon).

La réfutation des philosophes qui, comme Protagoras, nient le principe de contradiction a donc permis la mise en évidence du substrat requis par l'idée de vérité. Celle-ci suppose qu'il existe des êtres possédant une nature définie ; et c'est cette stabilité ontologique qui fonde en définitive le principe de contradiction dans la sphère de la pensée. C'est donc l'être qui est mesure et condition du vrai, et non l'opinion singulière. « Ce n'est pas parce que nous pensons d'une manière vraie que tu es blanc que tu es blanc, mais c'est parce que tu es blanc qu'en disant que tu l'es nous disons la vérité » (Aristote).

Puisque, s'il est vrai que tout est vrai, le contraire de cette affirmation ne saurait être faux, le relativisme trouve sa vérité dans le scepticisme. Dire que tout est vrai, c'est dire tout aussi bien que tout est incertain et que rien ne peut être dit vrai. Le subjectivisme et le relativisme dissolvent l'idée de vérité et mènent au scepticisme.

Il apparaît que le scepticisme comme le relativisme est une position intenable. Dès qu'il se dit il se contredit. Le scepticisme comme le relativisme sont auto-contradictoire. Montaigne aimait citer Michel de L'HospitalNotre esprit erre dans les ténèbres, aveugle il ne peut discerner le vrai. ») ou XénophonNul homme n'a su ni ne saura rien de certain.») = Formules tout à fait illogiques puisqu'elles affirment qu'on ne peut affirmer, elles rappellent qu'on ne peut rien savoir ! C'est pourquoi Aristote pouvait dire avec raison que la seule attitude cohérente du sceptique ne pouvait qu'être celle de garder le silence. Platon, de son côté, contre Protagoras = si vous admettez l'idée selon laquelle toutes les opinions se valent, alors admettez l'idée selon laquelle toutes les opinions ne se valent pas puisque c'est une opinion !

3. Critique morale du relativisme

 

Contre de nombreux dogmatismes, le relativisme est une arme critique précieuse. Il incite l'homme à ne pas prendre pour universelles et absolues ses moeurs, ses coutumes, ses formes esthétiques, ses opinions, ses idéologies politiques, ses valeurs morales. Toutes les croyances et certitudes familiers qui constituent notre culture, sont en réalité « relatives » à notre histoire, à notre civilisation. Le relativisme nous invite à nous décentrer de nous-mêmes, à nous ouvrir aux autres cultures, à en reconnaître la légitimité, la dignité et la valeur, à adopter la tolérance (notamment politique et religieuse). Le relativisme est un garde-fou contre toutes les déviations (impérialistes et colonialistes) de l'ethnocentrisme.

Ethnocentrisme : Tendance universelle des individus à prendre leur propre culture ou société comme modèle de référence - et à rejeter toutes les autres comme inférieures. Lévi-Strauss : « Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les sauvages (ou tous ceux qu'on choisit de considérer comme tels) hors de l'humanité, est justement l'attitude la plus marquante et la plus distinctive de ces sauvages mêmes. (...) En refusant l'humanité à ceux qui apparaissent comme les plus "sauvages" ou "barbares" de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. » in « Race et histoire ». Comme le dit Lévi-Strauss, « l'attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu'elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. « Habitudes de sauvages », «cela n'est pas de chez nous », «on ne devrait pas permettre cela », etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. » Ce qui s'impose désormais à toute personne cultivée, dès lors qu'elle a pris conscience de l'importance qu'il y a non seulement à reconnaître la diversité culturelle des hommes, mais à la respecter, consiste donc à ne pas juger les us et coutumes des autres cultures, voire des autres catégories sociales, afin d'éviter cette barbarie que dénonce avec raison, entre autres, Lévi-Strauss, et qui est de privilégier ses propres manières d'être, en dévalorisant pour cela l'autre qui n'est plus considéré que comme « un sauvage ». Les conséquences éthiques qui découlent des prises de conscience ethnologiques et philosophiques sur la réalité humaine sont, nous le voyons, de nature à permettre un plus grand respect de la diversité culturelle. Cette diversité culturelle n'apparaît donc plus sous le mode d'une dichotomie entre monde civilisé (le nôtre) et monde sauvage (celui des autres), mais sous le mode d'une richesse à préserver. L'uniformité culturelle qui tend à imposer partout le mode d'être occidental, et plus particulièrement étasunien, est considérée par les philosophes et penseurs actuels comme un appauvrissement incontestable de l'humanité, et on voit un peu partout s'organiser des modes de défense des traditions et expressions culturelles particulières.

 

Cependant, le relativisme est lui-même dangereux s'il devient... absolu. Dire « tout est relatif » est un jugement risqué parce que lui-même absolu et dogmatique. Tout n'est pas relatif, tout n'est pas égal en matière de morale humaine et de culture. Prétendre que « tout se vaut » conduirait à admettre les sacrifices humains, l'infanticide ou tolérer l'excision, l'esclavage ou la torture. A tout tolérer, on en vient à tolérer l'intolérable : « À force de tout voir l'on finit par tout supporter… A force de tout supporter l'on finit par tout tolérer… A force de tout tolérer l'on finit par tout accepter… A force de tout accepter l'on finit par tout approuver ! » Saint Augustin. Les mêmes remarques pourraient être formulées à l'égard du « relativisme esthétique » pour lequel « tout est beau ». Le relativisme moral est un bon garde-fou, mais il ne dispense pas l'homme de se construire une éthique, de fonder sur un humanisme minimal le progrès possible de l'Humanité. Le relativisme politique ne dispense pas l'homme de garantir des droits fondamentaux et inaliénables à l'Humanité.

Un tel relativisme est de plus contradictoire (suicidaire) : sous prétexte de tout admettre, il ne peut contester ce qui chercherait à le détruire.

Si ce relativisme culturel permet de rejeter toute dérive ethnocentriste, il s'en tient qu'au simple et pauvre constat des différences. Par là toute culture peut être considérée comme valide et ne pourra être jugée qu'au nom de ses propres normes. Mais, alors, comment ne pas voir que si tout se vaut, l'idée même de valeur, en ce qu'elle a d'absolu et d'universel, perd tout son sens ? Ne sombrons-nous pas ici dans un relativisme paresseux qui veut se dispenser de penser l'idée d'une norme universelle, relativisme qui pourrait tout aussi bien constituer l'autre visage de la barbarie ?

Il est, en effet, barbare d'abandonner l'idée même de valeur sachant que l'humain prend son sens que par rapport à elle (l'homme est un être qui obéit à un système de valeurs). A partir de là, toutes les valeurs se valent aussi, ce qui n'est pas sans incidence sur le plan moral. Indifférence à l'égard d'exigences universelles. Mort de la tradition humaniste. Tolérance de l'intolérable.

D'autre part, il est barbare, au nom de l'idée que tout se vaut, d'exalter la différence et l'altérité ? On oublie alors ce qui fait l'unité du genre humain en ne mettant en valeur que ce qui fait nos différences. Le relativisme culturel conduit au repli sur ses différences car il est absolutisation des différences culturelles. Ainsi devrons-nous voir en un individu non pas un homme mais un sénégalais, un juif, un Papou. Enfermement des individus sur une identité communautaire particulière. Retour à la barbarie car méconnaissance de ce qui fait la dignité de chacun.

Le relativisme culturel est tout aussi barbare que l'ethnocentrisme. Comme le montre Jacques Bouveresse dans un article « La philosophie et son histoire » in Le Noroît, février 1986, il ruine tout repère universel, toute exigence absolue et inconditionnelle, il fait le jeu des communautés violemment identitaires, qui ne revendiquent leur prétendu « droit à la différence » que pour enfermer leurs propres membres dans une logique hétérophobe (qui hait toute altérité) et fanatique, foulant aux pieds les droits de l'homme et du citoyen. Aussi, en refusant la barbarie ethnocentrique, on sombre dans le culte barbare de la différence.

Comme toute attitude systématique, une telle défiance à l'égard du jugement humain et une telle relativisation des moeurs humaines nous semblent comporter leurs propres limites. Le dénigrement systématique de tout jugement de valeur sur les manières d'être, les coutumes et usages relève donc d'une forme de terrorisme idéologique. Et nous pensons, au contraire, que c'est précisément au nom d'une certaine idée de l'homme que certaines coutumes doivent tomber, même si elles ont une signification historique, et que toutes les coutumes ne sont pas « bonnes » parce qu'elles sont ethnologiquement justifiées (homophobie, transphobie, misogynie). Ainsi, les relations de l'homme aux autres êtres vivants doivent faire l'objet d'un examen. L'exercice du jugement qui est, en effet, à la fois le devoir de l'homme et son privilège, le conduit donc à juger en fonction d'un critérium, qui consiste bien en une certaine idée de l'homme et de son essence, et à juger de ses relations, non seulement aux autres hommes, mais à l'ensemble des êtres vivants. Ainsi apparaît pour nous, par exemple, l'excision, qui ne peut pas avoir de justification.

-    Le relativisme culturel affirme que les comportements s'enracinent dans des cultures (histoires et justifications idéologiques) différentes. Cela ne signifie pas que tout est justifié. Doivent demeurer intolérables les pratiques (de quelque culture qu'elles soient) qui mettent en cause l'intégrité de la personne humaine. => Pas de liberté aux ennemis de la liberté. Pas de démocratie pour les ennemis de la démocratie. Pas de liberté religieuse pour les intégristes. Pas de tolérance pour les intolérants. Faire de djihad aux djihadistes. Ne pas confondre l'esprit de tolérance et le « tolérantisme » qui aboutit à la négation de ses propres valeurs au nom de celle des autres. => Attachement aux valeurs humanistes de la culture chrétienne. Héritage des valeurs millénaires de notre culture que la religion a pu véhiculer à des moments de l'Histoire. Pas de haine de soi et de sa propre culture. Pas d'ethnomasochisme, ni ethnocentrisme.  

 

Liens utiles