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variation

La variation est analysable selon deux axes : soit comme exercice, soit comme pratique stylistique. L’un et l’autre ont bien sûr la même racine, qui tient sans doute à l’exigence, à l’aiguillon de plaire. Comme exercice, la variation est peut-être celui de base. C’est en tout cas le principe de l’enseignement scolaire de la rhétorique, de l’Antiquité aux Temps Modernes, dont dépendent tous les autres exercices. On propose une formule qu’il s’agit de modifier, par transformations élémentaires de type grammatical, portant sur les désinences et sur les systèmes d’accord ou de changements morphologiques des noms, des pronoms, des adjectifs et des verbes. On peut aussi prendre un court récit, simple et clair (les historiens rappellent que l’un des stocks le plus largement utilisés est fourni par les fables ésopiques), auquel on fait subir le même type de modifications formelles, grammaticales, systématiques. C’est donc la variation comme procédé consistant à jouer sur un ensemble de cases linguistiques, et à exploiter toutes les possibilités hiérarchisées de transformations verbales. Ce n’est pas le tout de la variation. Car la seconde étape consiste à exprimer différemment la même information (seconde étape qui a été souvent confondue avec la précédente). On joue cette fois sur des classes d’équivalences sémantico-logiques, qui tiennent plutôt au lexique, et moindrement à la syntaxe, ainsi qu’aux moyens figurés. On en arrive enfin au troisième degré de variation : le développement d’un élément central par l’ensemble des procédures d’amplification, soit par redoublements informatifs, soit par détails et sous-monnayage des composantes et des conséquences liées à la base, et moyennant le recours à toutes les figures macrostructurales. On aboutit ainsi à la plus vaste arborescence possible, quasi indéfinie, des variations sur un thème, par élaboration mécanique et dynamique de diverses thèses. Ce sont là les ressources de l’abondance, qui est le ressort majeur de l’art oratoire. Mais il faut aussi concevoir le processus d’orientation inverse, comme mise en œuvre de la variation : c’est-à-dire l’ensemble des opérations de réduction, de raccourcissement et de condensation, d’ordre thématico-formel, qui supposent l’acquisition d’un talent analytique et synthétique supérieur. La variation emporte donc aussi la technique de la brièveté. La variation est ainsi consubstantielle à l'institution oratoire; comme l’univers rhétorique est un monde de culture et d’intelligence, il ne saurait y avoir solution de continuité entre l’apprentissage et l’exercice : apprendre la musique, c’est d’abord en faire ; la technique d’acquisition élémentaire de la virtuosité rhétorique met en œuvre exactement le même principe que celui qui régit la pratique oratoire de pleine action. La variation modère l’ensemble du jugement stylistique. Le problème, on le sait, tient à la hiérarchie des niveaux et des genres, qui organise, selon le rangement le plus répandu, un classement en trois rangs, avec un privilège exorbitant accordé, explicitement ou implicitement, au rang élevé : celui-ci est souvent considéré comme récapitulant et emblématisant la totalité des vraies excellences, des qualités absolues de l’art oratoire. Cette vue, on le sait aussi, n’est pas sans entraîner d’inextricables contradictions dans le jugement de goût, au fil de l’histoire et des esthétiques. Mais justement, il existe vraisemblablement un principe régulateur qui permet de déplacer le problème : la perfection réside dans le dynamisme de la variation, dans l’acte de variation. La variation est sans doute sentie d’abord comme une exigence, assez technique, liée à la subordination du style au sujet et aux circonstances (il faut toucher, ce qui implique adaptabilité et manières appropriées) ; elle est aussi engagée par le besoin, analogue, de ne point lasser : l’élevé continu, voire le sublime permanent, sont aussi peu supportables que facilement pensables. Une ruse de ce mouvement se détecte dans l’idée que le vrai style élevé, le plus haut, le plus fort, enferme la variation : serait intégrée dans ce niveau la totalité des différenciations stylistiques. C’est un peu la même manipulation que l’on a vue avec le concept d’abondance ; la variation serait alors plutôt prise comme une capacité de variété, dont seul serait vraiment plein le niveau élevé. Il n’empêche qu’il y a bien là une vue qui coïncide assez mal avec l’idée même de la hiérarchisation des niveaux. Allant plus loin, on rencontre la théorie selon laquelle la variation étant elle-même le plus précieux joyau de l’éloquence, on doit reconnaître une excellence authentique à chaque création verbale de quelque niveau que ce soit (y compris dans le bas), pourvu que soient sauvegardées certaines exigences de décorum et de dignité. Dans ce sens, la perfection vraiment charmante et captivante risque de ne se voir concrètement reconnue que dans les discours ou dans les écrits non uniformes, mélangés, hétérogènes, dont l’unité réside précisément dans l’insaisissabilité et l’instabilité. Un exemple particulièrement excitant pour nous pourrait en être donné par Le Songe de Vaux, de La Fontaine, œuvre sibylline pour cette charnière des xxe-xxie siècles, pour les ignorants de la grande tradition européenne de la culture rhétorique : ce serait l’œuvre-phare dans l’esthétique rhétorique moderne. S’y remarque surtout un mystérieux mélange de prose et de vers, de types de vers, de récit et de discours, de troisième et de première personne, d’objet et de thème apparents, de totalités semblant achevées et de possibles fragmentations. On voit bien où peut conduire de la sorte l’esthétique de la variation. L’ultime position rhétorique à cet égard affiche la variation comme singularité, comme différence, comme subjectivité, comme génie à la fois inspiré et individuel, dans une pratique toujours vivante et toujours imprévue, mais selon une imprévisibilité forcément mesurable à des étalons stylistiques balisés et codifiés. Il est donc intéressant de penser la variation comme un devoir-être ou comme un appel, inhérents au caractère social de la rhétorique, et révélateurs de cette vertu essentielle qu’est l’attention à autrui : le discours n’est mesurable que par celui qui le reçoit, et l’on ne reçoit rien avec plus d’intérêt, ou même de fascination, que l’un-multiple.

=> Éloquence, oratoire; style, niveau, genre; exercice, thèse; bas, élevé, sublime; qualités; abondance, brièveté, variété, convenant, décorum, dignité; figure, macrostructurale, amplification; toucher, plaire.

VARIATIONS CONCOMITANTES (MÉTHODE DES —) Méthode destinée à rechercher les relations causales entre les phénomènes et reposant sur l’idée que, si, quand un phénomène varie, un autre varie de façon part., alors il y a entre les deux une relation causale (cf. J. S. Mill).

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