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Toutes les cultures se valent-elles ? (Les représentations du monde – Découverte du monde et pluralité des cultures)

Toutes les cultures se valent-elles ? (Cours de spécialité d’humanités, littérature et philosophie)

Introduction

Si tous les hommes et tous les peuples possèdent une culture, il est évident que toutes les cultures ne se ressemblent pas ; elles sont multiples et non identiques. Toutes les cultures se valent t'elles revient à réfléchir à l'aspect qualitatif d'une culture et à une hiérarchie entre elles.

Peut-on dire qu'une culture en vaut une autre, comme on dirait "un homme en vaut un autre" ?

Mais que signifie le mot culture ? La culture est ce qui s'oppose à la nature c'est l'artificiel, c'est ce qu'on peut appeler un ordre symbolique qui fait sens. Ici culture a un sens collectif. Mais a sens sociologique et anthropologique c'est l'ensemble des sciences, des faits sociaux, des croyances, de l'art...

Pour comparer les cultures et pouvoir préciser éventuellement en quoi elles ne se valent pas, il faut dans un premier temps dégager une hiérarchie puis montrer que toutes les cultures se valent et enfin qu'une hiérarchisation objective des cultures est impossible.

  1. Toutes les cultures ne se valent pas
     
    1. Chaque culture est singulière et dispose d'une valeur qui lui est propre

Il est impossible de poser l'idée que les cultures se valent. En effet, pour qu'elles se valent toutes, encore faut-il qu'elles partagent toutes quelque chose de commun. Or, ce qui caractérise une culture, c'est sa singularité qui lui donne une valeur unique. En quoi chaque culture pourrait présenter quelque chose sur lequel pourrait se fonder l'idée d'une valeur partagée par d'autres si elle se caractérise par sa différence et son caractère autre ? Il existe des peuples primitifs et sauvages, comme les indigènes, opposés à des populations plus civilisées mais ce jugement se base sur l'ethnocentrisme en considérant notre culture comme supérieur ainsi lors de la conquête de l'Amérique les peuples indiens avaient un langage différent des occidentaux et ont donc été considéré comme inférieur.

b)    Toutes les cultures ne se valent pas parce qu 'elles ne conduisent pas l'homme au même degré de civilisation

Néanmoins, si chaque culture dispose d'une valeur propre, n'y a-t-il pas moyen de les différencier ? Pour différencier la valeur d'une culture, encore faut-il disposer d'un critère. Quel critère ? Pour le trouver, distinguons culture et civilisation. Une culture désigne l'ensemble des manifestations et productions spécifiques à un groupe humain déterminé, c'est à dire l'ensemble des techniques, savoirs, institutions et traditions et coutumes d'un groupe. La civilisation se détermine à partir de l'aptitude propre à une culture à humaniser l'homme. A partir de là, si un homme civilisé est le produit d'une culture, toute culture ne permet pas de porter l'homme au même degré de civilisation. A partir de là, nous disposons d'un critère permettant de juger la valeur des cultures : l'aptitude à civiliser l'homme, c'est-à-dire à conduire l'homme au-delà de la nature, aptitude qui se laisse reconnaître à partir du degré du développement technique, scientifique par exemple. Pour certaine population le cannibalisme est naturel pourtant il choque les occidentaux.

Il est normal que les cultures se différencient puisqu'elles reflètent l'expérience vécue de peuples séparés géographiquement, n'ayant pas les mêmes besoins et impératifs de survie. Ainsi l'ethnologie révèle des différences notables dans les structures de parenté (monogamie, polygamie...), dans les rites de politesse ou l'expression des sentiments amoureux, etc. Cette diversité n'est pas un hasard : les cultures « cultivent » leurs différences. Lévi-Strauss a révélé que plus la proximité géographique est grande, plus la différenciation culturelle augmente : affirmation d'une identité collective qui passe par la rupture avec le modèle culturel voisin...

Transition : S'ils existent des cultures, existent-ils néanmoins des cultures supérieures à d'autres ? Du constat de leurs différences, il faudrait s'interdire de passer à tout jugement introduisant l'infériorisation de certaines au profit d'autres. En effet, dans quelle mesure le critère les différenciant n'est pas impartial et déterminé culturellement ? Ne juge-t-on pas les autres cultures à partir des critères définis par notre propre culture ? Contre la hiérarchisation des cultures, ne faut-il pas plutôt défendre un relativisme respectueux des différences ?

2. Toutes les cultures ont une égale valeur
    1. Il est barbare de considérer que certaines cultures sont plus civilisées que d'autres

Il est ethnocentriste de considérer que sa culture est supérieure à une autre sachant que toute culture a tendance à dévaloriser et inférioriser tout ce qui ne lui appartient pas. D'ailleurs selon Claude Lévi-Strauss dans Race et Histoire le premier mouvement propre à chaque culture mise en contact avec une autre est de rejeter hors de la culture. Chaque société a donc toujours tendance à confondre sa propre culture avec la culture. Ainsi les Grecs appelaient « barbares » les hommes qui ne parlaient pas le latin. Il en ira de même plus tard lorsque les Occidentaux qualifieront d'« incultes » et de « sauvages » les sociétés indiennes. Ainsi, comme le dit pertinemment Lévi-Strauss : « Derrière ces épithètes se dissimule un même jugement ; il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l'inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animal, par opposition à la culture humaine. Dans les deux cas, on refuse d'admettre le fait même de la diversité culturelle. On préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit » (Race et histoire). Par conséquent, c'est l'ethnocentrisme qui conduit à considérer les autres cultures comme « barbares » et à introduire une échelle de valeur et des critères visant à les hiérarchiser. Or, au nom de quoi un point de vue culturel particulier peut être érigé en critère universel ? Comme le soulignait déjà Montaigne dans les Essais, « Chacun appelle barbare ce qui n'est pas de son usage ». Ainsi, considérer que certaines cultures valent moins que d'autres, c'est les rejeter du côté de la barbarie. Comme l'affirme Lévi-Strauss, c'est bien plutôt le mépris des autres cultures : « Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croît à la barbarie », dit-il dans Race et histoire.

2. Il n'y a pas de cultures inférieures à d'autres : réponse de Lévi-Strauss à Lévi-Bruhl

En effet, chaque culture représente un ensemble d'adaptations à un milieu donné et de réponses aux interrogations de l'homme. Chacune correspond à des exigences et des projets spécifiques. Chacune civilise l'homme à sa façon, c'est-à-dire que chacune permet à l'homme d'accomplir son humanité dans une structure déterminée. Toute culture, en effet, est un monde de rapports symboliques qui a sa cohérence culturelle propre donnant à l'activité humaine une forme, un sens et un contenu déterminés. Ainsi Lévi-Strauss met en garde contre les effets pervers de toute conception linéaire et univoque du devenir historique de l'humanité. Une telle perspective conduit à la consécration de la domination d'une culture unique que l'on érige en modèle culturel de référence, en norme absolue à partir de laquelle les autres cultures sont jugées. Une telle perspective n'est qu'une expression de l'ethnocentrisme des sociétés dominantes qui sert de prétexte à toutes sortes d'idéologies dangereuses comme le racisme et l'eugénisme par exemple. Ainsi on peut néanmoins noter certaines valeurs communes à toutes les sociétés Parmi toutes les règles et les normes édictées par culture, on peut citer la prohibition de l'inceste comme étant la plus universelle. Toutes les cultures rejettent cette pratique d'essence animale pour lui substituer une codification des échanges (amoureux aussi qu'économiques) permettant à la communauté de se développer. Le trait commun à toutes les cultures est la présence d'une Tradition. Intégrer la mémoire d'un peuple, pérenniser son identité, transmettre les symboles et les savoir-faire : telles sont les que l'on peut assigner à la culture en tant que Tradition.

3. Chaque culture a une valeur propre déterminée par son histoire propre

Le langage est le premier élément de culture selon Lévi-Strauss le langage est un fait culture par excellence en effet il est une partie intégrante de notre culture puisqu'il est un élément que l'homme a ajouté à son état de nature. Le langage ne se transmet pas biologiquement, c'est pourquoi le langage est un moyen privilégié d'assimilation de la culture. Les règles du groupe sont d'abord des mots. Par exemple les interdits sont transmis par le biais d'interdiction verbale

Transition : Néanmoins, cette idée que tout se vaut ne conduit-elle pas un relativisme vide et barbare ? Peut-on soutenir que ce qu'on pourrait appeler la « culture nazie » puisse valoir la culture humaniste des Lumières ?

3. N'est-il pas barbare de considérer que toutes les cultures se valent ?
    1. S'en tenir au constat d'une équivalence des cultures n 'est-il pas tout aussi barbare ?

Défendre l'idée que les cultures s'équivalent toutes ne conduit-il pas à sombrer dans un relativisme tout aussi barbare que l'ethnocentrisme ? Revenons à Herder. Ce dernier pose l'égalité de valeur des diverses cultures en rejetant toute perspective universaliste qui vise à déterminer un modèle achevé de culture devant servir de norme. Pour Herder, en effet, aucun principe ne permet de transcender la pluralité des identités culturelles : on ne peut en effet juger les cultures à partir de ce devrait être la culture comme on ne peut juger les hommes particuliers à partir de ce que devrait être un homme.

Cette perspective conduit à nier l'idée que l'on puisse juger une culture et l'évaluer ; en effet, il n'existe pas de norme transcendante permettant de le faire sinon des normes factices, imaginaires qui servent la promotion de la culture qui la conçoit. Ainsi ne peut-on juger la valeur de la culture d'un homme à partir d'un modèle absolu et ce la en vertu du fait que les hommes sont ce qu'ils sont en vertu de leur appartenance à une communauté culturelles déterminées, qui leur donne leur façon de parler, de penser et d'agir. Par-là, nous dit Herder, il y a culture là où apparaît de la raison, un plan, une intention et aucune culture ne peut prévaloir sur une autre car toute culture exprime un plan, de la raison et une intention, car toute culture exprime à sa façon une réalité toute autre que naturelle.

Or, si cette perspective interdit d'envisager l'homme autrement qu'au travers de sa propre culture, il n'y aurait sas moyen alors d'évaluer la culture d'un homme à partir d'une idée abstraite de ce que doit être l'humanité de l'homme, à partir d'un idéal d'humanité. De là, une perspective « multiculturaliste » concevant l'homme comme un être dont l'identité la plus profonde ne s'exprime que dans une communauté et une culture déterminée, perspective conduisant à l'idée que toutes les cultures se valent. Néanmoins, si ce relativisme culturel permet de rejeter toute dérive ethnocentriste, il s'en tient qu'au simple et pauvre constat des différences. Par là toute culture peut être considérée comme valide et ne pourra être jugée qu'au nom de ses propres normes. Mais, alors, comment ne pas voir que si tout se vaut, l'idée même de valeur, en ce qu'elle a d'absolu et d'universel, perd tout son sens ? Ne sombrons-nous pas ici dans un relativisme paresseux qui veut se dispenser de penser l'idée d'une norme universelle, relativisme qui pourrait tout aussi bien constituer l'autre visage de la barbarie ?

2. Critique du relativisme culturel

Il est, en effet, barbare d'abandonner l'idée même de valeur sachant que l'humain prend son sens que par rapport à elle (l'homme est un être qui obéit à un système de valeurs). A partir de là, toutes les valeurs se valent aussi, ce qui n'est pas sans incidence sur le plan moral. Indifférence à l'égard d'exigences universelles. Mort de la tradition humaniste. Tolérance de l'intolérable.

D'autre part, il est barbare, au nom de l'idée que tout se vaut, d'exalter la différence et l'altérité ? On oublie alors ce qui fait l'unité du genre humain en ne mettant en valeur que ce qui fait nos différences. Le relativisme culturel conduit au repli sur ses différences car il est absolutisation des différences culturelles. Ainsi devrons-nous voir en un individu non pas un homme mais un sénégalais, un juif, un Papou. Enfermement des individus sur une identité communautaire particulière. Retour à la barbarie car méconnaissance de ce qui fait la dignité de chacun.

Le relativisme culturel est tout aussi barbare que l'ethnocentrisme. Comme le montre Jacques Bouveresse dans un article « La philosophie et son histoire » in Le Noroît, février 1986, il ruine tout repère universel, toute exigence absolue et inconditionnelle, il fait le jeu des communautés violemment identitaires, qui ne revendiquent leur prétendu « droit à la différence » que pour enfermer leurs propres membres dans une logique hétérophobe (qui hait toute altérité) et fanatique, foulant aux pieds les droits de l'homme et du citoyen. Aussi, en refusant la barbarie ethnocentrique, on sombre dans le culte barbare de la différence.

3. A quelle condition pouvons-nous poser que toutes les cultures se valent sans sombrer dans la barbarie ?

Pourquoi se tourner vers des philosophes tels que Taylor. Ce dernier, en effet, dans le prolongement de Herder, considère que toutes les cultures se valent. Néanmoins, il tente d'allier à ce relativisme un certain universalisme. Pour lui, « Nous devons un égal respect à toutes les cultures », affirmant par là que la reconnaissance de la différence culturelle doit conduire à la reconnaissance de l'égale dignité de toutes les cultures. Ainsi Taylor défend-il un universalisme hospitalier à la différence, à la différenciation culturelle. Il défend, en effet, un multiculturalisme soutenu par un certain universalisme (l'humanité de l'homme s'exprime universellement dans une culture déterminée sachant qu'il ne peut y avoir, pour cette raison, une représentation normative de ce qu'est l'humanité de l'homme en soi). De là l'idée selon laquelle chacun a à se représenter l'autre comme un être porteur de mêmes droits que les siens. Son universalisme s'exprime donc ainsi : si nous sommes différents, nous avons tous les mêmes droits.

Néanmoins, si toutes les cultures peuvent se valoir et que tous les hommes, quel que soit leur appartenance culturelle respective, ont les mêmes droits, toutes les cultures ne considèrent pas les autres comme ayant une valeur équivalente à la leur. Par conséquent, on ne peut se contenter d'affirmer naïvement le respect des différences. Quelle position adopter alors ?

D'une certaine façon, l'universalisme de Taylor est un universalisme incomplet. Toute culture doit jouir d'un droit égal au respect du moment où elle considère qu'il est dans son devoir de respecter toutes les autres. Ainsi le relativisme culturel peut-il être soutenu par un authentique universalisme, à savoir par celui qui pose comme une exigence absolue et universelle le devoir de respecter toute autre culture. Les cultures se valent du moment où elles partagent cette même exigence, celle-ci constituant la norme par laquelle on peut juger la valeur d'une culture. Cette exigence universaliste propose un principe de réciprocité sans lequel aucune égalité n'est viable. C'est donc l'exigence éthique qui doit être la norme permettant de juger de la valeur des différentes cultures.

Conclusion

D'un point de vue strictement ethnologique, on ne peut s'autoriser à comparer et à hiérarchiser les différentes cultures sans sombrer dans une illusion ethnocentrique. Toutefois, la prudence nous interdisant de considérer que certaines cultures valent mieux que d'autres a souvent pour corrélat un culte de la différence culturelles qui met tout sur le même plan et interdit tout jugement de valeur. Or, ce relativisme culturel n'est-il pas tout aussi barbare que l'ethnocentrisme ? Afin d'éviter l'exaltation de sa propre culture ainsi que celle des différences culturelles tout aussi préjudiciable, il est nécessaire de suspendre l'affirmation de l'équivalence culturelle et le droit au respect pour chaque culture à la reconnaissance de la nécessité absolue de respecter toutes les autres cultures. Autrement dit, une culture peut prétendre valoir la même chose qu'une autre qu'à la condition qu'elle considère qu'il n'y en a aucune qui puisse valoir moins qu'elle. Le droit au respect exigé par chaque culture doit être suspendu à un principe de réciprocité.

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