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textes antiques, transmission des.

textes antiques, transmission des. I. Les premiers ouvrages de la littérature grecque, les poèmes homériques, furent d'abord composés et transmis oralement (voir homère). Même lorsque l'alphabet phénicien fut adopté pour transcrire le grec, au viiie siècle av. J.-C., la tradition orale survécut. Ce serait, d'après les sources, le tyran athénien Pisistrate qui aurait ordonné, au milieu du VIe siècle av. J.-C., de transcrire par écrit le premier texte homérique. Les poèmes lyriques d'Ar-chiloque, Alcée et Sapho semblent également avoir circulé sous forme écrite. Dès la fin du viie siècle av. J. -C., les ouvrages en prose, plus difficiles à mémoriser que la poésie et qui auraient difficilement survécu par transmission orale, ont dû être transcrits. Le philosophe Héraclite (qui vécut v. 500 av. J.-C.) aurait déposé son traité De la Nature dans un temple (où il devait pouvoir être consulté). Les textes écrits ne commencèrent à se répandre que vers le Ve siècle av. J.-C., époque à laquelle se diffusèrent les oeuvres des philosophes et historiens primitifs, des poètes étudiés dans les écoles et peut-être des poètes tragiques. Au cours de la seconde moitié du Ve siècle av. J.-C., les textes des sophistes semblent avoir été recherchés. C'est également l'époque où le commerce des livres vit le jour, rendant possible la constitution de bibliothèques par des particuliers. La bibliothèque d'Aristote au Lycée fut le modèle qui servit, au iiie siècle av. J.-C, à la fondation de la bibliothèque d'Alexandrie. C'est aux travaux des bibliothécaires et érudits alexandrins, en particulier à Callimaque, Zé-nodote, Erastothène, Aristophane de Byzance et Aristarque, que l'on doit de posséder aujourd'hui nombre de textes et commentaires (scholies) de la littérature grecque classique. Les manuscrits qui parvenaient à Alexandrie provenaient de copies effectuées avec plus ou moins de soins, si bien que beaucoup d'entre eux recélaient des erreurs et des modifications des textes originaux. La tâche des érudits alexandrins était de restituer, dans la mesure du possible, les textes dans leur forme originale, de les classer par catégories (la poésie lyrique, p. ex., était subdivisée en plusieurs branches) et de rédiger des commentaires portant sur les caractéristiques linguistiques, littéraires ou sur le contexte antique. La restitution d'un texte selon l'original posait des problèmes de conventions : l'orthographe notamment différait selon l'alphabet grec utilisé dans la ville de l'auteur et les textes devaient souvent être transcrits en alphabet ionique, le plus répandu en Grèce à partir du IIIe siècle av. J.-C.. Des erreurs manifestes de lecture dans des textes du Moyen Âge sont dues à de mauvaises transcriptions au IIIe siècle av. J.-C. Les manuscrits posaient également un problème d'interprétation. Les textes étaient rédigés en continu, sans séparations. Il en fut ainsi bien au-delà de l'époque hellénistique, puisque ce n'est qu'au Moyen Âge que fut introduite une séparation nette entre les mots. Les accents, invention hellénistique, ne furent de même couramment utilisés qu'à partir du Moyen Âge. La ponctuation était rudimentaire et très peu usitée ; dans les pièces de théâtre, par exemple, les changements d'interlocuteurs étaient indiqués par un trait horizontal placé au début du vers ou par un comma, source de nombreuses erreurs. La poésie était écrite, comme la prose, en continu. C'est à Aristophane de Byzance que l'on attribue l'invention de la coupure entre les différents membres de phrase métrique ou côla, innovation qui permit de transcrire les vers comme dans la poésie moderne. Les sources d'erreurs dans l'interprétation ou dans la division des mots ou des vers étaient donc nombreuses. Le but des érudits alexandrins fut de rassembler des copies de l'ensemble de la littérature grecque antique connue. Il est probable que les oeuvres de certains poètes primitifs avaient déjà dû disparaître ; il paraît douteux, par exemple, qu'ils aient eu entre les mains un poème d'Arion ou de Ter-pandre ou qu'ils aient connu plus d'un ou deux des célèbres poèmes, ou fragments de poèmes, d'Éumélos de Corinthe ou de Lasos d'Hermione. Ils dressèrent, à l'intérieur de chaque genre littéraire, une sélection des meilleurs auteurs grecs, favorisant ainsi la transmission de leurs oeuvres au détriment d'ouvrages mineurs. Les symboles placés en marge des textes par les érudits alexandrins sont, pour certains, encore en usage aujourd'hui. Les vers que l'on jugeait modifiés ou douteux étaient signalés dans la marge gauche par un trait horizontal, l'obélos; le diplé > indiquait un vers particulièrement remarquable ; l'astériskos signalait un vers transcrit ailleurs de façon inexacte; le sigma et l'antisigma, (C et D) placés devant deux vers se suivant révélaient qu'ils devaient être intervertis. C'est ainsi que les érudits alexandrins réalisèrent un important travail critique et de codification. Pour eux, la priorité était de déceler et d'éliminer toute interpolation (c.-à-d. toute adjonction apocryphe) ; en second lieu, et avec un soin majeur à mesure qu'augmentaient les connaissances, de remplacer ce qu'ils jugeaient erroné par ce qu'ils considéraient comme la bonne interprétation. Ils avaient cependant un profond respect pour les manuscrits et ce n'est qu'avec d'extrêmes précautions qu'ils opéraient le moindre changement. Leurs travaux furent poursuivis par des grammairiens tels que Di-dyme. 2. À l'époque romaine, le grec était une langue étrangère pour la plupart des lecteurs. Les textes originaux et critiques étaient donc infiniment moins recherchés que les éditions populaires annotées, les grammaires ou les commentaires hors textes. C'est ce qui assura la préservation des travaux des Alexandrins; leurs commentaires se trouvent encore aujourd'hui, bien que parfois condensés et déformés, dans les notes inscrites en marges (scho-lies) des manuscrits du Moyen Âge. Ces notes renferment souvent des citations (lemmata) qui permettent de retrouver, dans des ouvrages largement remaniés, les textes fixés par les Alexandrins. Le début du IIe siècle apr. J.-C. marqua le déclin des connaissances et la disparition presque totale de lecteurs s'intéressant aux classiques grecs ou susceptibles de les comprendre. Cependant, des érudits travaillaient encore à préserver et à perpétuer la tradition des recherches alexandrines : en grammaire, Apollonios Dyscole et Hérodien, en versification Héphes-tion et pour la compilation des lexiques, Harpocration et Hesychius. Mais l'intérêt pour les anciens auteurs se limitait à quelques grands noms et à un nombre d'oeuvres encore plus limité. Les sélections et anthologies, comme celle de Stobée, s'imposèrent au détriment des oeuvres complètes. Au IIe siècle, le regain d'intérêt pour le grec attique classique (voir sophistique, seconde), allié à l'importance accordée à la rhétorique dans l'enseignement, assura la transmission des grands modèles, Platon, Xénophon et Démosthène, ainsi que celle des poètes tragiques et d'Aristophane, grâce à leurs pièces les plus célèbres; en revanche les oeuvres de Ménandre, fréquemment citées dans les anthologies, furent jugées indignes de figurer dans les sélections scolaires, leur langue n'étant pas d'un attique assez pur. La disparition de nombreux manuscrits à cette époque découla de l'abandon des rouleaux de papyrus pour les codex en parchemin, à plusieurs feuilles comme dans les livres modernes. La fragilité des papyrus avait été sans doute aussi à l'origine de pertes importantes; mais le passage aux codex de parchemin entraîna une copie sélective au cours des IIe, IIIe et IVe siècles de l'ensemble de la littérature antique. Certains ouvrages furent estimés trop peu intéressants pour être recopiés, d'autres ne le furent que de façon incomplète quand des papyrus manquaient. Rien n'autorise à croire que les premiers chrétiens se livrèrent dans l'Empire romain d'Orient (de langue grecque) à la destruction systématique de la littérature grecque. Les ouvrages classiques restèrent le fondement de tout système éducatif, chrétien comme païen, en l'absence de textes chrétiens susceptibles de les remplacer. Toutefois la plupart des chrétiens, une fois leur éducation terminée, cessaient de lire les textes antiques. Les incitations à recopier les textes furent insuffisantes pour assurer la transmission au milieu des guerres et des bouleversements du IVe siècle et des suivants. C'est en ce sens que l'on peut dire que la montée du christianisme hâta la disparition de la littérature antique. Pourtant, si la fin de l'Empire romain et le début de la civilisation byzantine furent effectivement des époques de perte, on remarque, en comparant les codex avec les papyrus antérieurs (y compris ceux qui sont encore proches dans le temps des érudits alexandrins), que la qualité des transcriptions resta excellente. 3. À la fin du VIe siècle apr. J.-C., le niveau d'instruction avait sensiblement baissé dans l'empire d'Orient et les études classiques subirent une éclipse pendant environ trois siècles. Cette crise culmina au viiie siècle mais fut suivie, au ixe siècle, d'une période de paix accompagnée d'un renouveau de la littérature grecque grâce à de grands érudits tels que Photius et Arethas qui tentèrent de retrouver un maximum d'ouvrages antiques. Deux changements advinrent au même moment : de matériau et de caractère. Les papyrus commençaient à manquer, leur culture étant moins répandue et les ressources égyptiennes n'étant plus disponibles depuis la conquête de l'Égypte par les Arabes en 641. Les parchemins s'imposèrent donc, malgré leur coût élevé et leurs quantités limitées (on a calculé que le plus ancien manuscrit connu de la Vulgate latine représente environ 1 550 peaux de veaux). Cependant, en 751, les Arabes firent prisonniers, à Samarkand, des Chinois connaissant l'art de la fabrication du papier. Très vite, les Arabes d'Orient et d'Espagne commencèrent à produire de la pâte à papier en quantité suffisante pour l'exporter à Byzance. Le second changement, de caractère, semble être intervenu par mesure d'économie (mais il entraîna également une plus grande vitesse et ai sance d'exécution). Les caractères en onciale furent remplacés par les minuscules, beaucoup plus rapides à écrire et qui nécessitaient moitié moins d'espace. La transcription des manuscrits d'onciale en minuscule, amorcée au IXe siècle, entraîna une nouvelle sélection au détriment des oeuvres jugées mineures : il est clair, par exemple, que Photius à cette époque connaissait et lisait beaucoup plus d'historiens antiques que nous. Mais il est également probable que le fait de recopier les textes assura la transmission à la postérité de nombreux ouvrages : la plupart des textes antiques qui nous sont parvenus proviennent d'un ou deux manuscrits en minuscules de cette époque. Après les pertes des IXe et Xe siècles, les chances de survie de ce qui subsistait des classiques grecs devinrent bien meilleures. Les textes littéraires étaient régulièrement copiés, de même que les ouvrages relatifs à la médecine et aux mathématiques. Tout ne fut cependant pas préservé. Eustathe, archevêque de Thessalonique, un des plus grands lettrés de la fin du XIIe siècle, semble ainsi avoir connu plus d'odes épini-ciennes de Pindare, et son contemporain Jean Tzétzès plus d'oeuvres de Callimaque et Hipponax, que nous n'en possédons aujourd'hui. Le sac de Constantinople par les Francs de la quatrième croisade en 1204 put occasionner de nouveaux dommages mais, aussi sévères qu'ils aient été, ils ne purent interrompre longtemps les progrès de la connaissance. On assista en effet, de la fin du xiiie au xve siècle, à une floraison de l'érudition grecque qui se traduisit par l'apparition d'éditions soignées des textes subsistant. Cette période fertile est principalement associée aux noms de deux érudits : Planude et Triklinios. Ce dernier se mit en quête de manuscrits et découvrit des versions différentes dont nous n'avons plus trace que dans ses notes marginales. Aussi ses propres manuscrits d'auteurs antiques (ou les copies qui en furent faites), bien que tardifs (xive s.), s'avèrent-ils souvent aussi fiables pour l'étude critique d'un texte que les manuscrits les plus anciens : recentiores, non détériorés («plus tardifs, mais pas plus fautifs»), a-t-on pu dire à leur propos. Triklinios eut en particulier la chance de découvrir neuf tragédies d'Euripide, jusque-là pratiquement inconnues car n'ayant pas été sélectionnées pour les programmes scolaires, contrairement aux autres pièces conservées. Le seul ouvrage qui, à notre connaissance, disparut ensuite, lors de la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, fut un recueil complet de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile. Les humanistes italiens, avant même que les savants de Constantinople ne s'enfuient à l'Ouest, avaient réuni un nombre important de manuscrits grecs de l'empire byzantin. La survivance de la littérature antique était donc assurée en Occident au moment de la chute de Constantinople. 4. La littérature latine, apparue vers le IIIe siècle av. J.-C., représentait au milieu du siècle suivant un ensemble déjà volumineux de textes poétiques, tragiques et en prose. Cependant, malgré une bonne circulation des livres à cette époque, notamment entre les Sci-pion et les amis de leur cercle, on sait très peu de choses sur la façon dont les textes, probablement écrits sur des rouleaux de papyrus comme en Grèce, étaient copiés et diffusés. Les épopées de Naevius et d'Ennius, considérés comme les « pères » de la poésie latine, étaient étudiées par les érudits; mais les textes dramatiques, dont les copies étaient distribuées aux acteurs, subis saient de profondes modifications (les manuscrits du Poenulus de Plaute et de l'Andrienne de Térence, par exemple, présentent deux fins différentes). L'influence de Cratès (4), grammairien de Pergame qui s'établit à Rome en 168 av. J.-C., et celle des érudits de l'école d'Alexandrie fut prépondérante dans la recherche de textes authentiques. C'est à cette tâche que s'attaquèrent, jusqu'à l'époque d'Auguste, de nombreux érudits pratiquant les méthodes alexandrines (ainsi, par exemple, les recherches sur Plaute effectuées par Varron). Le regain d'intérêt pour les auteurs anciens, tels que Plaute au Ier siècle av. J.-C., eut un effet pervers. Les textes originaux, avec leur vocabulaire archaïque, souvent obscur et précieux, furent en effet remplacés par des versions populaires, d'une compréhension plus aisée ; c'est ainsi que de nombreuses variantes virent le jour et circulèrent parallèlement aux originaux. Ce procédé s'étendit même à des auteurs plus tardifs et aussi lus que Virgile ; si bien que s'imposa une révision systématique des textes en circulation. Elle fut effectuée au cours des trois premiers siècles de notre ère, avec une solide érudition, à partir des manuscrits disponibles. Asconius réalisa un travail important sur Cicéron, Virgile et Salluste, mais l'érudit le plus remarquable de la fin du Ier siècle fut M. Valerius Probus. Au IIe siècle apr. J.-C., on assista à un regain d'intérêt pour les auteurs romains primitifs, Ennius, Plaute et Caton notamment, et c'est sur les compilations de cette époque (comme celle d'Aulu-Gelle qui comprennent de nombreuses citations), que s'appuient nos connaissances sur Ennius et Caton. Au cours des IIIe et IVe siècles, nombre de textes latins furent abrégés, reprenant ainsi et amplifiant une tendance qui était apparue au Ier siècle pour les textes de Tite-Live. Ce fut la grande époque des commentateurs et parmi eux Donatus et Servius. À la fin du ive siècle, au moment même du triomphe du christianisme sous le règne du pieux Théodose (378-395), un dernier sursaut d'intérêt pour les textes païens se manifesta, attesté par les « subscriptions », notes adjointes à la fin d'un texte par quiconque le révisait et le corrigeait et qui donnaient des détails sur l'époque à laquelle le manuscrit avait été copié et sur son copiste. Ces « subscriptions », souvent reprises textuellement d'un manuscrit à l'autre, servent de références pour l'établissement des familles de manuscrits. En général, les érudits chrétiens de langue latine, tout comme leurs homologues grecs, acceptaient (non sans réserve) que les textes païens en latin constituent encore le fondement du système éducatif (saint Jérôme, tourmenté par son penchant pour la littérature païenne, recourut à la métaphore de la femme captive qui figure dans le Deutéronome, XXI, 10-13, et que son ravisseur peut prendre pour épouse, mais seulement après qu'elle s'est rasé la tête et coupé les ongles). Le vieux système éducatif romain prévalut jusqu'à ce que s'impose celui des écoles monastiques et épiscopales. 5. Les dévastations du vie siècle excédèrent encore celles des siècles précédents et l'empire d'Occident fut anéanti sous les vagues des envahisseurs barbares. Le monde civilisé s'amenuisa encore avec la conquête de l'Afrique du Nord par les Vandales; l'Espagne, qui avait survécu à l'invasion franque du IIIe siècle, à celle des Wisigoths au Ve siècle, transmettant même un résidu de culture romaine grâce à l'évêque de Séville, Isidore, tomba aux mains des Arabes au début du viiie siècle ; et la Gaule, occupée par les Francs, ne put davantage préserver les lettres classiques. Des livres continuèrent néanmoins à voir le jour au cours des IVe et Ve siècles, y compris des copies luxueuses de Virgile. L'Église, bien que fondamentalement hostile à la littérature païenne, n'empêchait nullement les grandes bibliothèques des centres ecclésiastiques de Rome, Vérone ou Ravenne, de conserver quantité de textes païens de l'époque romaine. Au début du vie siècle, il était encore possible d'obtenir des copies de la plupart des auteurs latins classiques et post-classiques, à l'exception de la littérature la plus ancienne qui avait disparu au cours des siècles (pour la copie des textes dans un monastère du vie s.). Du milieu du vie au milieu du VIIIe siècle, une sombre époque dans l'Occident latin comme dans l'Orient grec, tout intérêt pour la littérature classique disparut et les textes cessèrent d'être copiés, alors qu'un nombre important d'ouvrages bibliques et patristiques (des Pères de l'Église) voyaient le jour. En outre, nombre d'ouvrages romains périrent, lorsqu'on réutilisa les vieux parchemins, après les avoir grattés, pour des textes religieux (ces manuscrits remployés prirent le nom de palimpsestes), moins d'ailleurs par défiance que par absence totale d'intérêt pour les classiques. Ce que nous possédons du De Republica de Cicéron nous est parvenu en déchiffrant le texte recouvert par le commentaire de saint Augustin sur les Psaumes. Mais en même temps, dès la fin du VIe siècle, la littérature classique commençait à être sauvée et diffusée par des missionnaires originaires d'Irlande. Épris de savoir et passionnés par les livres, ils essaimèrent dans toute l'Europe en fondant des monastères tels que Luxeuil en Bourgogne, Bob-bio en Italie du Nord ou Saint-Gall en Suisse et en insufflant aux moines leur passion pour les textes. C'est d'ailleurs grâce à l'importation massive de livres en Angleterre que le moine et historien Bède (673-735), qui ne quitta jamais la Northumbrie, put acquérir son savoir encyclopédique. Par la suite, des Anglo-Saxons devinrent à leur tour missionnaires et érudits. Un type d'écriture latine, associée aux premiers érudits des îles Britanniques, est connue sous le nom d'« insulaire ». La fin du viiie siècle engendra une nouvelle soif de connaissances qui fut essentielle pour la préservation de la littérature romaine : la renaissance carolingienne, ayant les monastères pour centres de diffusion, gagna l'ensemble de l'empire romain d'Occident reconstitué par Charlemagne. C'est Alcuin (735-804), parfait exemple de l'homme de culture anglo-latine, qui en fut le principal promoteur. Né et éduqué à York, il rencontra Charlemagne en 781, à Parme, et fut placé par lui à la tête de l'école du palais où il développa le programme de Cassiodore sur les sept arts libéraux. Plus tard, il devint abbé de Saint-Martin de Tours où il demeura jusqu'à la fin de ses jours. Il se consacra à ses moines et leur enseigna entre maintes autres choses à copier les manuscrits. C'est ce qui permit à la France de jouer un rôle essentiel dans la transmission des textes aux ixe et Xe siècles. Les monastères germaniques jouèrent également un rôle important, ainsi que l'abbaye de Bobbio et celle du mont Cassin en Italie, réputées pour le soin avec lequel les manuscrits y étaient copiés ; il en fut de même pour Cluny et Corbie en Bourgogne. Le travail de chaque scribe était revu par le plus grand érudit de chaque monastère qui s'attachait particulièrement à l'or thographe, à la ponctuation et à la comparaison avec les autres manuscrits disponibles du même texte. Un caractère, la minuscule Caroline, apparut en France et fut à l'origine de la minuscule qui s'imposa par la suite en Europe de l'Ouest. Les textes latins les plus sûrs, en dehors des manuscrits les plus anciens, remontent à cette époque. 6. À la fin du IXe siècle, nombre d'ouvrages latins étaient préservés parce qu'ils figuraient dans le progamme scolaire ou étaient étudiés comme textes littéraires; mais beaucoup d'autres étaient plus rarement consultés et certains n'étaient même connus que par une seule copie. La Correspondance de Cicéron, les oeuvres mineures de Tacite, Columelle, Pétrone, Apicius, Valerius Flaccus, Ammien Marcellin ne furent copiées à cette époque que par un scribe ou deux. Plus personne pratiquement ne connaissait Tibulle, Catulle, les tragédies de Sénèque le Jeune, ou Les Silves de Stace; extrêmement rares étaient ceux qui lisaient les poèmes de Properce, les Dialogues de Sénèque, L'Âne d'or d'Apulée, plus de quelques fragments des Histoires et Annales de Tacite, ou Manilius, Cornélius Népos et Velleius Paterculus, dont les oeuvres avaient pourtant été conservées. Les livres 40-45 de Tite-Live furent sauvés grâce à un manuscrit du Ve siècle qui ne fut copié qu'au xvie siècle. La survivance de ces ouvrages était extrêmement précaire, mais ils échappèrent à la destruction. Au XIe siècle, le monastère du mont Cassin, fondé par saint Benoît, contribua largement à la conservation de ces oeuvres, alors même que l'influence culturelle des Bénédictins en Europe déclinait à cette époque. À la fin du xie siècle et au début du xiie, les classiques retrouvèrent soudain la faveur du public et des livres sur le point de disparaître commencèrent à être copiés. C'est grâce à cela que nous furent transmis les textes de Sénèque, d'Apulée et de Tacite que nous avons mentionnés, ainsi que La Langue latine de Varron, Les Aqueducs de Frontin et une trentaine de vers de la sixième Satire de Juvénal, dont il ne subsistait qu'un seul manuscrit. Le centre de la vie intellectuelle se déplaça, au cours du xiie siècle, des monastères aux écoles du haut çlergé séculier. L'enseignement, bien que reposant toujours sur la littérature latine, s'ouvrit à d'autres disciplines telles que le droit, la médecine et la logique. Parallèlement, une nouvelle élite rechercha dans la littérature le reflet de sa propre vie et de ses aspirations. On peut déplorer qu'au moment même où renaissait, après de longs siècles, le désir d'étudier la poésie élégiaque et la satire, Catulle, Tibulle et Properce n'aient pas encore été redécouverts. Ce fut néanmoins une époque de consolidation des connaissances sur la littérature classique, dont les deux principaux érudits furent les historiens Guillaume de Malmesbury, bibliothécaire (mort en 1143), et Jean de Salisbury (v. 1110-1180). 7. L'enseignement des sept arts libéraux, sur l'initiative d'Alcuin, fut essentiel pour ouvrir la voie, au XIIe siècle, à une nouvelle méthode philosophique appliquée à la théologie, un système d'enseignement qui prit le nom de scolastique (de scoïa, école épiscopale). Les scolastiques ne s'intéressaient plus à la littérature classique pour ses qualités littéraires ou stylisques mais y voyaient la matière d'une glose visant à affirmer la foi. On en extrayait des citations plutôt qu'on ne lisait les oeuvres : Ovide et Sénèque dont on pouvait apprécier des morceaux choisis devinrent très popu laires; mais Virgile, pour lequel ce n'était pas possible, fut laissé de côté. L'apport le plus significatif de la scolastique fut de réintroduire la pensée aristotélicienne qui prédomina pendant plusieurs siècles (même si seuls ses ouvrages de logique étaient lus) et d'entraîner un regain d'intérêt pour la littérature grecque classique. Jusqu'à la fin du xiie siècle, Aristote ne fut connu en Occident qu'à travers la traduction latine de quelques-unes de ses oeuvres de logique, commentées par Boëce et d'autres. Platon, lui aussi, n'était connu que par une traduction latine, du ive siècle, de son Timée et par un certain nombre de citations en latin. Ce sont les Arabes qui furent à l'origine de la redécouverte d'Aristote. Dès le milieu du viiie siècle, des traductions, en arabe et en syriaque, des ouvrages philosophiques grecs commencèrent à circuler dans le monde arabe. Les penseurs islamiques s'intéressaient principalement à la médecine antique, mais ils étudiaient aussi Platon, Aristote, Théophraste ainsi que les oeuvres des mathématiciens. Vers la fin du xiie siècle, les traductions et commentaires en arabe des principaux philosophes grecs, effectués par Avicenne (980-1037) et Averroès (1126-1198), les plus grands commentateurs musulmans d'Aristote, furent retraduits en latin, à Tolède en Espagne, et eurent une large diffusion en Europe où ils jouirent d'une grande notoriété. Mais un autre pas en avant fut réalisé au xme siècle, lorsque ces traductions latines de l'arabe furent remplacées par des traductions faites directement à partir des originaux grecs. Robert Grosseteste (v. 1168-1253) traduisit l'Éthique d'Aristote et plusieurs oeuvres de Denys l'Aréopagite (voir néo-platonisme) et Guillaume de Moerbeke (1215-1286) de nombreux commentateurs grecs d'Aristote, souvent à la demande de Thomas d'Aquin (1225-1274). Roger Bacon (v. 1214-1294), élève de Grosseteste, s'insurgeant contre l'ignorance généralisée du grec, rédigea quant à lui une grammaire grecque. 8. La Renaissance, réveil général de l'enthousiasme pour tout ce qui avait trait à la littérature, la philosophie et les arts, suscité par un mouvement connu sous le nom d'humanisme (de l'italien umanista, professeur enseignant les humanités), couvrit une période allant du milieu du xive siècle au milieu du xvie siècle. L'humanisme qui fut d'abord l'étude, l'enseignement et la diffusion de la littérature classique devint par la suite la tentative de reconquête de l'«humanitas» (terme employé par Cicéron pour traduire le mot grec paideia), la «culture humaine » de la Grèce et de la Rome antiques, afin de se pénétrer de ses idéaux. Ce mouvement, qui finit par intéresser toutes les sphères de la vie intellectuelle et artistique, vit le jour en Italie. L'enseignement transalpin ne se limitait pas aux écoles abbatiales et épiscopales, comme c'était le cas pour la plupart des pays septentrionaux ; la permanence d'une élite cultivée non cléricale avait perpétué l'intérêt pour la littérature antique, et ce malgré l'indifférence de T Église à l'égard des classiques et en dépit des invasions et des guerres du vie siècle et des siècles suivants. Les Italiens du xive siècle, stimulés par la résurgence de l'intérêt pour les disciplines intellectuelles en Europe, recherchèrent des textes plus nombreux et meilleurs. Mais les manuscrits étaient rares et les copistes pas toujours capables ; il fallait des érudits pour répondre aux attentes. C'est Pétrarque (1304-1374) qui, le premier, conjugua érudition et enthousiasme, puis Boccace (1313-1375), plus enthousiaste qu'érudit. Pétrarque avait une vénération pour Cicéron, dont il rechercha les oeuvres tout au long de sa vie dans l'Europe entière, si bien qu'il possédait peu avant sa mort pratiquement tous ses écrits philosophiques, ses oeuvres de rhétorique et la plupart de ses discours ; mais ce furent surtout les Lettres de Cicéron à Atticus, à son frère Quintus et à Brutus qui le touchèrent particulièrement (comme tant d'autres avant lui). Il avait essayé, en vain, d'apprendre le grec (auprès du moine Barlaam), mais son immense désir de connaître les oeuvres grecques formant l'arrière-plan de la littérature romaine fit école. Le zèle que mit Boccace à rassembler les oeuvres classiques tourna court lorsqu'il tenta d'améliorer ou de restaurer des textes. C'est cependant à ses recherches que nous devons probablement la redécouverte, entre autres, de Martial, d'Au-sone, du Contre Ibis d'Ovide, de fragments de 1'Appendix Virgiliana et des Priapea. Il contribua à la diffusion des textes de Tacite, d'Apulée, et de Varron dont une seule copie avait subsisté, à la bibliothèque du mont Cas-sin. Pétrarque et Boccace persuadèrent l'élève de Barlaam, Léonce Pilate, de traduire Homère en latin et d'enseigner le grec à Florence. La copie par Pétrarque des oeuvres d'Homère en latin nous est parvenue avec ses annotations interrompues par sa mort, au second volume de L'Odyssée. Les découvertes continuèrent au-delà du xve siècle : l'unique manuscrit rassemblant les lettres de Pline le Jeune à Trajan (liv. X) fut trouvé à Paris en 1500 et celui des Annales de Tacite à Corbie en 1508. Le déclin de l'Empire byzantin, avant même sa chute en 1453, poussa de nombreux lettrés parlant grec à s'établir en Italie. Stimulés par leur nouvelle connaissance du grec, les Italiens tentèrent de rassembler des manuscrits grecs, les oeuvres classiques bien sûr, mais aussi la version grecque du Nouveau Testament. C'est ce qui permit à Bessarion d'affirmer, anticipant ainsi Érasme, que les véritables sources d'interprétation du Nouveau Testament se trouvaient dans le texte grec et non dans la Vulgate latine de saint Jérôme, ce qui suscita un renouveau théologique. La fin du xve siècle qui vit l'apparition de l'imprimerie, marqua une nouvelle étape dans la conservation et la diffusion des classiques.

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