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SÉNÈQUE, Lucius Annaeus Seneca

Homme politique et philosophe romain. Il fut exilé en Corse (41/49), alors qu'il était questeur, par l'empereur Claude, poussé par les intrigues de son épouse Messaline. En 49, Agrippine, la nouvelle femme de Claude, rappela Sénèque, le fit nommer préteur et lui confia l'éducation du jeune Néron. Sénèque fut nommé consul en 57, mais tomba en disgrâce en 62, peut-être pour avoir voulu tempérer le despotisme de l'empereur. Néron, le soupçonnant de conspiration, lui ordonna de se suicider, et Sénèque se fit ouvrir les veines, illustrant dans la mort la pensée stoïcienne qu'il avait exprimée par ses écrits.



Sénèque (Lucius Annaeus Seneca). 1. «Le Père», ou «l'Ancien», ou «le Rhéteur », né à Cordoue (Corduba, Espagne) vers 55 av. J.-C. d'une famille italienne et élevé à Rome. Il mourut entre 37 et 41 apr. J.-C., avant que son fils et homonyme ne fût envoyé en exil. De son mariage avec Helvia, une compatriote, il eut trois fils : Annaeus Novatus, qui prit le nom de Gallio Annaeanus après avoir été adopté par L. Junius Gallio (le proconsul d'Achaïe qui déclara l'apôtre Paul innocent des accusations portées contre lui par les Juifs de Corinthe; voir Actes des Apôtres, XVIII, 12); Sénèque (2) le Philosophe; et M. Annaeus Mela, père du poète Lucain. Sénèque le Père se voua à l'étude de la rhétorique ; devenu vieux, il rassembla à l'usage de ses fils une collection de Controverses (débats) et de Suaso-riae (discours destinés à persuader). Ce sont des modèles d'exercices sur les thèmes utilisés dans les écoles de rhétorique. Les Controverses couvrent les discours tenus au tribunal et prennent la forme de débats sur des problèmes imaginaires qui pourraient être portés devant une cour de justice civile ou pénale, par exemple celui-ci : un soldat qui, ayant perdu ses armes, combat courageusement avec des armes qu'il a prises dans la tombe d'un héros a-t-il commis un sacrilège? Les Sua-soriae sont des exercices de discours «délibératif» (politique); elles exami nent par exemple si, aux Thermopyles , les Spartiates doivent combattre ou fuir. Tous les exemples, qui s'échelonnent depuis le temps de Cicéron jusqu'à la vieillesse de l'auteur, sont empruntés aux rhéteurs que Sénèque avait entendus au cours de sa longue vie ; ils témoignent de sa mémoire extraordinaire, dont il nous dit lui-même qu'elle n'était à nulle autre comparable; ils constituent une précieuse source d'informations pour l'histoire littéraire. Les préfaces des Controverses sont particulièrement intéressantes: Sénèque y évoque différents orateurs, leur plan (divisiones) et leur approche (colores) dans le débat qui va suivre, ajoutant toutes sortes de digressions et d'anecdotes. Nous n'avons conservé que cinq des dix livres de Controverses et un seul livre de Suasoriae. 2. « Le Jeune », ou « le Philosophe » (vers 4 av. J.-C.-65 apr. J.-C.). 1. Deuxième fils de Sénèque le Père (voir supra), il est né à Cordoue (Corduba) en Espagne. Tout enfant, il fut amené à Rome, où on lui enseigna la rhétorique et la philosophie. Engagé dans la carrière sénatoriale, il fut avocat, questeur et sénateur, et acquit une brillante réputation d'orateur et d'écrivain, au point de susciter la jalousie de l'empereur Caligula : en 39, il échappa de peu à une condamnation à mort. Sous Claude, Sénèque occupa un poste à la cour. En 41, il fut banni en Corse, pour avoir, prétendaient ses accusateurs, commis l'adultère avec Julia (parfois appelée Livilla), fille cadette de Germanicus et d'Agrippine l'Aînée, et soeur de Caligula. La soeur de Julia, appelée elle aussi Agrippine (la Jeune), mère de Néron, le fit rappeler d'exil en 49, et en fit le précepteur du jeune Néron. En 51, Burrhus, qui devait devenir l'ami et le collègue de Sénèque, fut nommé préfet du prétoire. Lorsqu'en 54 Néron devint empereur, Sénèque fut son conseiller politique; pendant les huit années qui suivirent, Rome et l'Empire furent sagement gouvernés, principalement par Sénèque et Burrhus. Mais Néron changeait, son comportement devenait de plus en plus obstiné ; après la mort de Burrhus (62), la facilité avec laquelle les autres membres de l'entourage s'accommodaient des extravagances de l'empereur précipita la disgrâce de Sénèque : il demanda la permission de se retirer. Il quitta Rome et consacra les trois années qui suivirent à la philosophie et à l'amitié. En 65, il fut impliqué dans la conspiration des Pisons et forcé de se suicider. Tacite (Annales, XV, 54) décrit ses derniers instants, sa fermeté et son courage. On a beaucoup spéculé sur les contradictions entre les principes moraux de Sénèque, sa carrière politique et les excès de son élève; on l'a parfois sévèrement jugé. Apparemment, il ne s'insurgea pas contre les meurtres de Claude, de Britannicus et d'Agrippine; il est certain aussi qu'il acquit une fortune énorme, et que la Cour, où il professait ses principes moraux, les méprisait totalement. Lorsque enfin il ajusta sa vie à sa philosophie, il était trop tard pour sauver sa réputation. Ce fut pourtant un homme généreux et tolérant, un homme d'Etat dont l'influence bienfaisante s'exerça pendant plusieurs années, et un écrivain au talent considérable et varié. 2. Sénèque a beaucoup écrit. Outre les oeuvres qui ont survécu, nous avons les titres ou les fragments d'ouvrages traitant notamment de géographie, d'histoire naturelle et de morale. Parmi les oeuvres en prose qui nous sont parvenues, on compte, tout d'abord, les dix traités de morale appelés Dia-logi (« Dialogues ») : De la providence, De la constance du sage, De la colère (en trois livres), la Consolation à Marcia, De la vie heureuse, De l'oisiveté, De la tranquillité de l'âme, De la brièveté de la vie, la Consolation à Polybe, la Consolation à Helvie. Ces ouvrages furent écrits, semble-t-il, entre 37 et 43. La Consolation à Marcia est adressée à la fille de Crémutius Cordus, un historien victime de Séjan, après la mort de ses fils. La Consolation à Helvie (envoyé en exil en 41, Sénèque réconforte sa mère) montre du courage et de la dignité. La Consolation à Polybe s'adresse à un affranchi de l'empereur Claude : par ce morceau dépourvu d'intérêt, écrit vers 43, l'écrivain cherche à obtenir son retour d'exil (ce Polybe avait, semble-t-il, traduit Homère en prose latine et Virgile en grec). Les traités De la constance du sage, De la tranquillité de l'âme et De l'oisiveté (De otio) sont adressés à Annaeus Serenus, préfet des vigiles sous Néron. Dans le premier, l'auteur montre que le sage ne saurait être atteint ni par l'injustice ni par l'insulte. Le deuxième traite de la recherche de la paix de l'âme; le troisième est une apologie du loisir et du repos, de la spéculation et de la méditation philosophiques. Outre cette série de dialogues, Sénèque a écrit d'autres traités moraux (De la clémence, Des bienfaits), ainsi que les Epistulae morales, regroupant 124 lettres adressées à son ami Lucilius, divisées en vingt livres. Ces Lettres à Lucilius sont elles aussi des traités de morale (la fiction d'une correspondance réelle n'est que très sporadiquement maintenue) ; elles s'inscrivent dans la tradition de la lettre philosophique, ou de la diatribe. La nature des sujets traités — le bonheur, le souverain bien, la richesse, la peur de la mort, etc. —, le charme et la simplicité du style en ont fait l'oeuvre de Sénèque la plus lue. Ces lettres cherchent à persuader, leur ton n'est pas dogmatique; elles nous fournissent quantité de détails intéressants sur l'auteur ainsi que sur la vie du temps. Les premiers écrivains chrétiens les appréciaient et les ont utilisées. Au Moyen Âge, on a pris Sénèque pour un chrétien; saint Jérôme et d'autres ont cru qu'il avait correspondu avec l'apôtre Paul. Ses traités furent étudiés par Pétrarque (1304-1374); Chaucer (v. 1343-1400) les connaissait, Montaigne les citait fréquemment. 3. Les sept livres des Questions naturelles, Quaestiones naturales, appartiennent à un genre différent ; dédiés à Lucilius, ils furent écrits pendant les années où Sénèque s'était retiré de la Cour, vers la fin de sa vie. C'est une enquête sur les phénomènes naturels, menée non pas du point de vue de la science, mais dans la perspective du stoïcisme (voir stoïciens). Ce n'est pas un travail systématique mais un classement des faits naturels. Les phénomènes sont regroupés selon le rapport qu'ils ont avec tel des quatre éléments, la terre, l'air, le feu et l'eau, le tout saupoudré de réflexions morales. Apparemment, ce que Sénèque se propose par cette enquête, c'est de trouver dans la nature un fondement pour la morale stoïcienne. Malgré son peu de valeur scientifique, l'ouvrage fut utilisé au Moyen Âge comme manuel de sciences naturelles. L'Apocoloquintose du divin Claude («Métamorphose en citrouille») est une pièce intelligente et originale, une satire burlesque sur la mort de l'empereur Claude, mélange de prose et de vers à la façon des satires de Ménippe. La plus grande part de l'oeuvre en prose de Sénèque est donc philosophique : c'est une source précieuse pour l'histoire du stoïcisme. Sa nuance personnelle de stoïcisme est dépourvue de dogmatisme et tempérée par l'expérience et le sens commun. Pour lui, il s'agit moins de faire l'exposé systématique de sa doctrine que de s'en servir pour fonder l'exhortation morale. Son style est vivant, rhétorique; il saisit immédiatement l'attention, mais fatigue par un excès de brillant et un manque de profondeur; «du sable sans chaux» (c.-à-d. un ciment qui ne prend pas) : c'est ainsi que l'empereur Caligula caractérisait le style de Sénèque. 4. En poésie, les oeuvres les plus importantes de Sénèque sont ses neuf tragédies sur des modèles grecs : Hercule furieux, Médée, Les Troyennes, Phèdre (fondées au moins en partie sur Euripide), Agamemnon (qui a envers Eschyle une dette probable mais difficile à déterminer), oedipe, Hercule sur l'oeta (la première pièce est très so-phocléenne, la seconde, qui n'est peut-être pas de Sénèque, ressemble assez peu à son modèle présumé, Les Tra-chiniennes de Sophocle), Les Phéniciennes (tragédie qui doit quelque chose à l'oedipe à Colone de Sophocle), et Thyeste (histoire terrifiante pour laquelle on ne connaît pas de modèle). Une dixième tragédie attribuée à Sénèque (« Pseudo-Sénèque »), Octavie, n'est manifestement pas de lui (voir les entrées à chacune de ces pièces). Ces tragédies sont écrites selon le schéma grec, c'est-à-dire qu'elles comportent des épisodes dramatiques (en sénaires iambiques) séparés par des odes chorales (en mètres lyriques, le plus souvent en anapestes) ; il est probable que Sénèque destinait ses tragédies à la récitation privée plutôt qu'au théâtre. Sénèque surenchérit sur le style d'Euripide; il montre de la perspicacité psychologique, mais il est très rhétorique et s'étend volontiers sur les éléments les plus horribles et les plus macabres de l'intrigue. Sa stichomythie, cependant, est souvent plus efficace que celle de l'original grec, et la fin de sa Médée est plus dramatique que chez Euripide. Il y a de belles descriptions, quantité de passages moralisateurs et quelques épigrammes bien frappées. On retrouve dans les tragédies de Sénèque le sentiment euripidien de l'individu comme victime. Les pièces de Sénèque ont exercé une très profonde influence sur la théorie et la pratique théâtrale de la Renaissance, notamment en Italie, et en Angleterre au temps des Tudors et des Stuarts ; c'est par leur intermédiaire que nous ont été transmis certains rôles de répertoire venus du théâtre grec qu'on trouve dans les pièces romantiques de Shakespeare, tels que la nourrice, le méchant barbare, le spectre. Racine connaissait bien la Phèdre de Sénèque et s'en est discrètement inspiré. L'Anthologie latine comprend un certain nombre de courts poèmes de Sénèque, dont certains font référence à sa vie et à sa famille.

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