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RUTEBEUF

RUTEBEUF (vers 1230-vers 1280). Nous savons peu de choses de ce probable Champenois qui fit ses études à Paris et y demeura dans le cadre de l’université. Peu reconnu à son époque, du moins pour sa veine lyrique qui le fait apprécier aujourd’hui (ainsi ses complaintes, dont la très fameuse Pauvreté Rutebeuf), il s’adonna avec beaucoup de virulence à la veine satirique (avec un roman, Renart le Bestourné, et divers poèmes, dont Le Dit des Ribauds de Grève), s’en prenant aussi bien aux moines mendiants (Complainte de maître Guillaume de Saint-Amour) qu’aux religieuses (Le Dit des Béguines) ou aux entreprises hasardeuses du roi Louis IX (Les Croisades). Rutebeuf fut également l’auteur d’hagiographies (récits de la vie de saints).

De la vie de l'un des premiers poètes français, on ne connaît que ce qu'il a bien voulu en dire et ce que l'on en a retrouvé. Il serait né vers 1230. Après des études qui n'assurent pas son avenir, Rutebeuf, sans doute champenois d'origine, réussit à survivre comme jongleur et trouvère, tout en étant le poète favori des grands seigneurs sous le règne de Saint Louis. Il chante les événements de son temps, se moque des moines comme des bourgeois, mais reste surtout célèbre pour la sincérité poignante et l'humour pathétique avec laquelle, marié deux fois, accablé d'enfants, il décrit ses soucis domestiques, sa misère morale et physique, sa passion du jeu, sa triste situation de poète à gages, ses remords, sa pénitence enfin. Il meurt vers 1285. Il est l'auteur de quelques fabliaux, d'un monologue, Le Dit de l'herberie, du Miracle de Théophile et de nombreuses pièces satiriques dirigées contre les femmes, l'Université, les moines (Le Dit des règles), etc. On connaît aussi un roman de lui : Renart le bestoumé, ainsi que sa Dispute du croisé et du décroisé où il se fait le prédicateur de la croisade de Saint Louis.

RUTEBEUF. Poète et auteur dramatique français du XIIIe siècle, d’environ 1230 à 1285, sans aucune certitude. L’âme immortelle de Rutebeuf ne peut pas trop se plaindre de l’oubli : au XIXe siècle, une édition en trois volumes de ses Œuvres complètes par Jubinal et une étude en un volume de mon maître de Lyon, Léon Clédat. Cependant, il a fallu le second quart du XXe siecle, pour que fût mise en valeur l’œuvre dramatique, en des représentations, par mes étudiants de Sorbonne, ainsi que ses poésies personnelles et politiques, en leurs récitations. Sa biographie, toutefois, est incertaine, quant aux origines, aux événements, aux dates, et doit être déduite des termes d’une poésie méritant vraiment le nom de lyrique, de ses dédicaces, de ses sujets et de ses aveux qui touchent le tréfonds de la vie et de l’être, premier cas de ce genre et qui ne se retrouvera plus, avec la même sincérité émouvante, que deux siècles plus tard, au XVe, chez un François Villon, dont il semble la préfigure. Le nom, d’abord, est difficile, Rustebuef, qu’il traduit lui-même par rude bœuf, traçant son sillon avec patience. Les origines ? douteuses aussi, champenoises probablement, d’après le Dit de l’herberie, et certains traits dialectaux, mais il est Parisien par son habitat, ses relations, son activité, ses études peut-être, dans l’Universitas magistrorum et scholarium, alors en pleine poussée, avec ses quelque cinquante collèges, rien que pour la Faculté des Arts (Lettres). Il sait du latin, au moins celui de l'Eglise. Mais il n’a pas la vocation de l’enseignement et n’aspire pas à la licentia docendi, pas même au baccalauréat, qui en est le premier grade. Il a des notions de la rhétorique, telle que l’enseignent les Arts Poétiques, qu’a étudiés Edmond Fatal. La profession qu’il a choisie est celle, aventureuse et vagabonde, de jongleur, dont il a pu s’instruire dans l’une des écoles qui les forment, où, mieux que dans les collèges qui ne dégoisent que la « verbocination latiale », il peut apprendre, sans grammaire ni dictionnaire, en lisant seulement et écoutant les poèmes récités par cœur, le vocabulaire, la syntaxe et la prosodie, dont il sent les mètres, les rythmes et les rimes au point d’en créer un qui est bien à lui : le tercet, suivi d’un demi-vers qui impose sa rime aux suivants. Il a dû apprendre aussi la musique, sans laquelle la poésie des trouvères ne se conçoit pas, mais pour laquelle il est moins doué que son successeur, à un siècle de distance, Guillaume de Machaut, champenois aussi, fondateur de l’Ars nova ou « nouvelle forge ». La vielle en sautoir, il se présente dans les salles des châteaux et des hôtels seigneuriaux de Paris, pour y chanter de geste (les Chansons de Geste), mais bientôt il n’aura plus pour répertoire que ses propres œuvres, où il raconte sa vie et blasonne ses confrères ménestrels, comme Chariot le Juif, et lui-même. On peut le croire quand il clame aux échos et, surtout, aux oreilles du roi Louis IX et de ses frères, comme Alphonse de Poitiers, sa misère, car ses récitations ne lui procurent pas d’argent, mais parfois un manteau, une robe, à l’occasion un cheval. La cause de cette misère ? la dureté des temps, la vie chère et Le Mariage Rutebeuf, une lamentable union de deux misères, avec une femme qui « n’est ni gente ni belle — / Cinquante ans a en l’écuelle — / Est maigre et seche. » Pas si vieille qu’elle ne puisse être « blessée d’enfants », comme on dit encore en certaines campagnes, et l’enfant vient braire dans l’aître, ou « veut de l’argent la nourrice ». La Complainte Rutebeuf dit encore qu’il a perdu l’œil droit, que son cheval s’est brisé les jambes : au temps d’hiver, le malheur est pire : « Et froid au cul quand bise vente. » Du feu, il n’y en a point dans l’âtre, mais on va chercher la chaleur au cabaret où l’on joue aux dés. Mais à tant de malheurs, il y a des consolations suprêmes, d’abord celle de l’artiste : la poésie, son vrai métier : « Je ne suis ouvrier des mains... / L’espérance du lendemain, / Ce sont mes fêtes. » Et puis, il y a la gloire, dont bien avant Ronsard, il a eu la prescience et l’orgueil, qu’on n’attend point de l’humilité médiévale : « L’on penserait que je suis prêtre / Car je fais plus signer de têtes / Que si je chantais l’Evangile / On se signe parmi la ville / De mes merveilles. » Ainsi donc, il existait, dans les rues tortueuses du vieux Paris, ce geste du passant désignant admirativement le poète, comme Dante dans les rues de Florence. La poésie, la gloire, la foi. C’est le troisième terme qui domine, réduisant, parfois exaltant les deux autres. Il y vient surtout en pensant à La Mort Rutebeuf . Mais c’est surtout sur la scène qu’il l’exprime, car on doit à Rutebeuf le premier Miracle de Notre-Dame de notre littérature : le Miracle de Théophile que ma troupe d’étudiants de Sorbonne, qui en tirent leur beau nom de Théophiliens, a rendu célèbre, en le représentant à la salle Louis Liard, le 7 mai 1953, et, depuis, en maint pays du monde, jusqu’au Brésil. J’avais fait suivre celle-ci du Dit de l’herberie, monologue comique, ou parfois, de l’éloquent Débat du Croisé et du Décroisé, par lequel, s’appropriant un autre genre de théâtre profane, notre Rutebeuf, transformé de poète vagabond en poète national, favorisait la propagande du roi Louis IX, pour la Croisade d’Orient. Rutebeuf, dont il faudrait rappeler encore les pièces satiriques contre les moines mendiants, où il fit preuve d’une rare indépendance, appuyant ainsi l’action du recteur de l’Université de Paris, Guillaume de Saint-Amour, apparaît en pleine lumière comme la figure la plus représentative de la poésie française au grand siècle, le XIIIe. . ♦ « Pour la première fois, nous rencontrons dans l'Histoire de notre littérature une individualité fortement caractérisée. » G. Lanson. ♦ «... la poésie parisienne de Rutebeuf (mort vers 1280) à moitié populaire de forme, et plus intéressante que toute autre par le sujet et l'inspiration. Le plus souvent, il expose, dans des vers d'un relief parfois admirable, et dont les pointes, trop prodiguées, n'empêchent pas toujours de goûter l’esprit réel, sa misérable situation de clerc déclassé, marié, vivant de la protection des grands ou des libéralités du public, vrai bohème comme le fut plus tard Villon, comme le furent tant d'autres poètes, à toutes époques, sur le pavé de Paris. » G. Paris.

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