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Raymond Queneau

Né le 21 février 1903 au Havre. Après des études secondaires dans sa ville natale, il vient à Paris en 1920 pour faire sa licence de philosophie en Sorbonne. 1924 : entre au groupe surréaliste, collabore à la Révolution surréaliste. « Raymond Queneau a été longtemps surréaliste. En 1929, au moment de la crise la plus grave qui ait secoué le groupe, il est des fidèles qui approuvent les exclusions annoncées par André Breton dans le Deuxième Manifeste du Surréalisme. Pourtant, quelques mois plus tard il rompt avec Breton. » (Maurice Nadeau, in Le roman français depuis la guerre). De 1925 à 1927, il avait fait son service militaire dans les Zouaves en Afrique du Nord. En 1933, il obtient le prix des Deux Magots pour son premier roman Le Chiendent. Mais il lui faudra attendre une vingtaine d’années avant de connaître le succès public. En 1936, Queneau entre au comité de lecture des éditions Gallimard dont il deviendra le secrétaire général en 1941. 1944-45 : membre du comité directeur du Comité National des Ecrivains. 1951 : Queneau entre à l’Académie Concourt. 1954 : collabore au scénario de Monsieur Ripois, le film de René Clément, affirmant ainsi tout l’intérêt qu ’il porte au cinéma. De même, en 1956, il écrit les dialogues du film de Luis Bunuel, La mort en ce jardin. La même année paraît le premier volume de L’Encyclopédie de la Pléiade dont Queneau assure la direction. 1959 : Zazie dans le métro remporte le prix de l’humour noir Xavier Fomeret et est porté à l’écran par Louis Malle. Tout au long de ces années, Queneau ne cesse d’écrire romans, poèmes, nouvelles, essais, traductions etc. En 1971, il démissionne de l'Académie Concourt pour protester contre l’élection de Bernard Clavel. Revenant ensuite sur sa décision, il se contentera jusqu’à sa mort de bouder les réunions de l’Académie et de voter par correspondance pour la désignation du Prix. Raymond Queneau est décédé le 25 octobre 1976 à Paris, à l’âge de 73 ans. Un substantiel Cahier de l’Herne venait, peu auparavant, de rendre hommage à celui qui demeurera l’un des grands inventeurs de langage de notre temps. L’œuvre de Raymond Queneau a longtemps subi un statut singulier et ambigu : célèbre tout en étant méconnue dans sa diversité et sa complexité, elle a donné lieu à toutes les interprétations, souvent contradictoires. Les jeux de langage, la fantaisie argotique de la fameuse Zazie l’ont trop vite fait ranger parmi les simples humoristes, quelque peu sacrilèges et légers. Mais comme dit Gabriel dans Zazie, «y’a pas que la rigolade, y’a aussi l’art. » Et quel art ! Mesuré, concerté, calculé par un amateur de linguistique et de mathématique qui applique les mêmes règles, les mêmes techniques à la science et à l’art. D’où le second contresens : Queneau serait, pour certains, un moderne « grand rhétoriqueur ». Certes, il y a de cela, mais pas seulement... Car ce qui frappe, ce sont les contradictions sur lesquelles le poète a sans cesse « joué ». Le très sérieux directeur de L’Encyclopédie de la Pléiade, le lecteur d’ouvrages de mathématiques savants, n’a-t-il pas été également Grand Satrape du collège de Pataphysique, maître-ès-canular, fils de Jarry et frère de Boris Vian ? Ces interprétations multiples, et toujours superficielles, — Queneau est un écrivain qui se laisse difficilement cerner —, tiennent toujours au fait que cette œuvre a toujours été à contre-courant. Maurice Nadeau le notait dans l’hommage qu’il rendait à l’écrivain disparu dans La Quinzaine Littéraire du 16 novembre 1976 : « A 30 ans, l’auteur du Chiendent marche déjà à contre-courant ». Et Jacques Bens, l’un des fidèles amis de Queneau et auteur d’une étude importante, remarquait dans Les Nouvelles Littéraires qu’en plein surréalisme, Queneau s’intéresse à la réforme de l’orthographe, qu’en plein néo-romanesque, il rêve d’une fillette traversant Paris, et qu’en pleine décomposition du langage, il fonde avec François Le Lionnais l’Ouvroir de Littérature Potentielle (L’Oulipo). Le Chiendent, qui appartient à la période autobiographique de l’auteur, trouble déjà les pistes. Roman-poème, égocentrique et circulaire (on se retrouve à la fin dans la situation du début, et c’est une structure privilégiée chez Queneau, puisqu’on la retrouve dans Zazie dans le métro ou Les Fleurs bleues), Le Chiendent est caractérisé par une très grande rigueur formelle. « J’ai donné une forme, un rythme à ce que j’étais en train d’écrire. Je me suis fixé des règles aussi strictes que celles du sonnet. » nous dit Queneau. Rigueur formelle à un point que l’on n’imagine pas et que l’on découvre dans l’article publié avant-guerre dans la revue Volontés : « Le Chiendent se compose de 91 (7 x 13) sections, 91 étant la somme des treize premiers nombres et sa somme étant 1, c’est donc à la fois le nombre de la mort des êtres et celui de leur retour à l’existence, retour que je ne concevais alors que comme la perpétuité irrésoluble du malheur sans espoir. En ce temps-là, je voyais dans 13 un nombre bénéfique parce qu’il niait le bonheur; quant à 7, je le prenais, et puis le prendre encore, comme image numérique de moi-même, puisque mon nom et mes deux prénoms se composent chacun de sept lettres et que je suis né un 21 (3 x 7. » On ne s’étonne plus que ce roman soit placé sous le signe du Discours de la Méthode. Queneau est l’un des rares écrivains à avoir dit des choses souvent essentielles sous une apparence badine. Toute son œuvre tend vers une quête du bonheur que le « jeu » formel masque et trahit tout ensemble. Queneau ne fait pas que jouer avec les mots, et son goût invétéré des calembours et autres contrepèteries tient autant à sa volonté de désacraliser le langage que de le soumettre à un travail linguistique pour en tirer de nouvelle possibilités d’expression. « La chair chaude des mots me passionne » écrit-il dans Le Chien à la mandoline (1958). Cette passion, loin de relever d’un intellectualisme froid et rigide, tient donc d’un engagement total en écriture, où la virtuosité voisine avec la plus grande émotion. Il est remarquable, à cet égard, qu’après sa période autobiographique qui va du Chiendent à Un rude hiver (1939) en passant par Chêne et Chien et Les Enfants du Limon, et où s’affirmait déjà, à travers ces anti-romans, le souci de nouveaux modes d’expression {Chêne et chien relate en vers une cure psychanalytique) il est remarquable que Queneau se soit orienté vers une réflexion toujours plus poussée sur la langue et l’écriture. Sous la quadruple influence des mathématiques, de la linguistique, de Joyce et des Pieds Nickelés, Queneau s’est mis à malaxer, triturer, exposer, le vocabulaire, l’orthographe et la syntaxe. Doukipudonktan ? dira Gabriel dans Zazie. L’orthographe fixée par Vaugelas ne relève que d’un système de signes parmi d’autres. La linguistique aura appris à Queneau l’arbitraire du signe, arbitraire qu’il explore dans Bâtons, Chiffres et Lettres en inventant des pictogrammes, sorte de rébus à l’image de ceux « dessinés » ou « écrits » par les Indiens d’Amérique du Nord. Mais le plus grand travail de Queneau sur le langage aura consisté à revaloriser le langage parlé par rapport au langage écrit. Ici, Queneau reconnaît sa dette envers Céline : pour lui, Le Voyage au bout de la nuit est le « premier livre d’importance, » avec un « français parlé moderne, tel qu’il est, tel qu’il existe ». Cette prise de conscience des « niveaux de langue » qui place Queneau à l’avant-garde tant sur le plan de l’écriture que de la réflexion linguistique va de pair avec le goût pour les chiffres et les jeux. Il est symptomatique que ce soit avec Exercices de style que l’écrivain ait, en 1947, commencé à s’imposer comme un artisan de la modernité. Il s’agit de la répétition (99 fois et non pas 100 !) de la même anecdote, au demeurant banale, mais interprétée ici sur tous les tons, tous les styles. Cet art de la fugue dévoile combien les mots sont relatifs. Et cette relativité implique, à terme, que l’acte d’écriture soit remis en cause, contesté. C’est le sens du livre-gadget Cent mille milliards de poèmes (1961) où le lecteur peut, à la demande, fabriquer, presque à l’infini, le poème qu’il désire en tournant les bandes qui découpent chacun des vers de dix sonnets. Pourtant, et cela montre une fois de plus combien Queneau est inclassable, irrécupérable, cette démarche n’exclut pas que l’auteur use aussi des formes traditionnelles (octosyllabes, alexandrins) comme, par exemple, dans Petite cosmogonie portative. Ici, la dérision vient du vocabulaire et de la syntaxe. « Le monde ne subit point de déformation/Très conforme en est la représentasillon/Des choses à ces mots vague biunivoque/Bicontinue et translucide et réciproque/Choses mots choses mots et des alexandrins/ Ce petit prend le son comme la chose vient/Modeste est son travail fluide est sa pensée/Si pensée il y a. » Pensée modeste, en effet, et qui n’a jamais prétendu aux vérités universelles et aux découvertes rédhibitoires, que celle de ce philosophe fantaisiste. Certes, il y a les réflexions mathématiques de Bords, il y a le sérieux de l’Encyclopédiste, mais l’œuvre de Queneau a toujours su garder un côté bon enfant, l’humour venant corriger la rigueur et l’angoisse. Cette curiosité pour l’analyse combinatoire, pour les « opérations » sur les structures, se perpétue jusqu’au dernier livre : Morale élémentaire (1975), au titre significatif. C’est un recueil composé de trois volets dont le premier est constitué de 51 poèmes à forme identique, mouvante et fixe à la fois. Cette alternance formelle correspond à un ton lui-même fluctuant, à la fois joyeux et grave, trait caractérique de l’œuvre entière qui balance entre l’amertume, le pessimisme et une gaieté sereine. Cette dualité, cette ambiguité, on la trouve dans Saint Glinglin (1948), roman en prose et en vers. La série de jeux de mots sur « existence » (aigue-sistence, ogresistence, hainesistence etc.), y est teintée d’une angoisse, d’un désarroi très contemporains. De même, pour les tendres et curieux romans que sont Pierrot mon ami et Le Dimanche de la vie, avec des personnages et des décors typiques de Queneau : être bizarres, marginaux, poésie du quotidien et des banlieues. Mais le côté « lunaire », conte « bleu » des romans de Queneau fait qu’ils échappent à la sphère existentialiste à laquelle ils appartiennent chronologiquement. Gaëtan Picon a parlé à leur sujet de « mise en question formelle du roman » ; Queneau apparaît alors comme un ancêtre du Nouveau Roman. Mais chacune des facettes de son œuvre nous projette vers une nouvelle catégorie : Queneau figure bien au centre de notre modernité. Pourtant, l’image qui risque de passer à la postérité est plutôt celle d’un poète humaniste et philosophe du quotidien. Et il est vrai que les poèmes de L’Instant fatal (1948) tirent une leçon d’existence pleine d’acceptation, de sagesse, et d’humour. On a quelque plaisir à lire des vers qui perpétuent le souvenir d’un écrivain qui savait, tout bonnement, qu’au bout du compte, il y a la mort. Dans le poème Vieillir, Queneau écrit : « Me voilà qui grisonne / me voilà qui bedonne / je tousse et je déconne / déjà déjà déjà ». Lui, grand manipulateur de mots n’ignore pas que ces mots nous ont toujours « au tournant », qu’il ne connaîtra jamais le bonheur car il est « bien trop con » et qu’il faut s’en aller « en philosophant ». « Je crains pas ça tellement la mort de mes entrailles/Et la morts de mon nez et celle de mes os/Je crains pas ça tellement cette moustiquaille/ Qu’on baptisa Raymond d’un père dit Queneau ». Quelle plus jolie épitaphe concevoir pour l’auteur de ce Carpe diem moderne qu’est le célèbre Si tu t’imagines popularisé par Juliette Gréco : « Si tu t’imagines / xa va xa va xa / va durer toujours / (...) / ce que tu te goures. » Enfin ultime dérision, pour celui qui n’a cessé toute sa vie de travailler à un « art poétique » de notre temps, le poème Pour un art poétique :

« Ce soir si j’écrivais un poème pour la postérité ? à la postérité j’y dis merde et remerde et reremerde. »

Queneau n’a cessé de s’interroger sur la signification des rêves qu’il a créés (Zazie et les Fleurs bleues sont des songes), ainsi que sur le langage de tous les jours. « Tu causes, tu causes, et c’est tout ce que tu sais faire » dit le perroquet Laverdure de Zazie dans le métro. Mais paradoxe des paradoxes, cette remise en cause du langage et de l’écriture a débouché sur une perpétuelle invention de formes nouvelles. Queneau a conclu lui-même qu’il s’agit de « questions en fait très simples et immédiates», à savoir « l’homme », « la vie de l’homme contemporain », « la vie contemporaine ».

► Bibliographie :

La plupart des livres de R. Queneau ont été publiés chez Gallimard. Seuls les autres éditeurs sont indiqués ici.

Romans :

Le chiendent, 1933 ; Gueule de Pierre, 1934 ; Les Derniers Jours, 1936 ; Odile, 1937; Les Enfants du limon, 1938 ; Un rude hiver, 1939 ; Les Temps mêlés, 1941 ; Pierrot mon ami, 1942 ; Loin de Rueil, 1945 ; On est toujours trop bon avec les femmes,par Sally Mara, 1947, Editions du Scorpion; Saint Glinglin précédé d'une nouvelle version de Gueule de Pierre et de Temps mêlés, 1948, Editions du Scorpion; Journal intime de Sally Mara, 1951, Editions du Scorpion; Le Dimanche de la vie, 1952 ; Zazie dans le métro, 1959 ; Les œuvres complètes de Sally Mara, Journal intime. On est toujours trop bon avec les femmes, Sally plus intime, 1962, Editions du Scorpion; Les Fleurs bleues, 1965; Le Vol d'Icare, 1968;

Nouvelles :

A la limite de la forêt, 1947, Fontaine; Une trouille verte, 1947, Editions de Minuit; Le Cheval troyen, 1948, G. Visat;

Poésie :

Chêne et chien, 1937, Denoël; Les Ziaux, 1943; Bucoliques, 1947 ; Exercices de style, 1947 ; L'Instant fatal, 1948; Monuments, 1948, Editions du Moustié; Petite cosmogonie portative, 1950 ; Si tu t'imagines, 1952 ; Le Chien à la mandoline, 1958, Verviers; Sonnets, 1958, Editions Hautefeuille; Cent mille milliards de poèmes, 1961; Courir les rues, 1967 ; Battre la campagne, 1968 ; Fendre les flots, 1969 ; Morale élémentaire, 1975 ;

Essais :

En passant, 1944, Éditions Barbezat, Joan Miro ou le Poète préhistorique 1949, Skira; Maurice de Vlaminck ou le vertige de la matière, 1949, Skira ; Bâtons, chiffres et lettres, 1950; Entretiens avec Georges Charbonnier, 1952; Texticules, 1951, Éditions Temps Mêlés; Bords, 1963, Hermann; Une histoire modèle, 1966; Mécano ou l'analyse matricielle du langage, 1966, Éditions Sergio Tosi, Milan; De quelques langages animaux imaginaires, 1971, Éditions de l'Herne; Bonjour, Monsieur Prassinos, 1972, Éditions Parisod; Voyage en Grèce, 1973;

Cinéma :

Rendez-vous de juillet, en collaboration avec Jean Queval, 1949, collection Le Cinéma en marche, Chavane;

Etudes :

Jacques Bens : Raymond Queneau, Gallimard Jacques Bens : Raymond Queneau, Seghers, Poètes d'aujourd'hui.) Claude Simonnet : Queneau déchiffré, Julliard, collection les Lettres Nouvelles). Revue l'Arc (n° 28, 1976) : Raymond Queneau; Cahier de l'Herne, 1976, Raymond Queneau;

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