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RAISON RAISONNABLE RAISONNEMENT

RAISON, n.f. (lat. ratio « calcul », « compte », « faculté de raisonner »). La vieille expression « livre de raison », pour livre de comptes, justificatif de l'emploi des ressources d'une famille, rend bien compte du sens originel. Le philosophe Cournot, pour mettre de l'ordre dans les multiples sens du mot raison propose de distinguer la raison de l'homme et la raison des choses.
I. La raison de l'homme. En ce sens, la raison est la faculté qui permet de définir l'homme par sa « différence spécifique » : l'homme est un animal raisonnable. Ainsi conçue, elle est : ♦ 1° Un instrument de pensée, la faculté discursive qui permet de parvenir à des vérités certaines par un enchaînement logique de propositions. C'est ce qu'on appelle parfois la « raison raisonnante ». Saint Thomas d'Aquin n'en fait pas la perfection de l'homme, mais plutôt une nécessité résultant de son imperfection : « La certitude de la raison vient de l'intelligence, mais la nécessité de la raison vient des limites de l'intelligence » (Somme théologique). « Bien que l'intelligence et la raison ne soient pas des puissances différentes, elles prennent cependant leurs noms d'actes différents. Car le mot d'intelligence se prend de l'intime pénétration de la vérité ; celui de la raison, de la recherche discursive» (Ibid.). ♦ 2° Rectitude du jugement qui sait discerner exactement entre le vrai et le faux, le bien et le mal. En ce sens, la raison permet à l'esprit de voir avec évidence. C’est la conception cartésienne de la raison. Dans le même sens, connaissance a priori des notions premières innées, des « vérités éternelles ». ♦ 3° Faculté de connaître le réel et l'absolu. Ce sens implique une philosophie réaliste qui admet une correspondance entre la pensée et son objet. ♦ 4° Ensemble de principes a priori qui ne sont pas fournis par l'expérience (principe d'identité, principe de causalité). Structures mentales a priori. ♦ 5° Connaissance naturelle par opposition à la connaissance « révélée ». C'est le sens employé par les « philosophes » du xviiie siècle. ♦ 6° Kant a distingué l'entendement de la raison : l'entendement est l'ensemble des catégories qui nous permettent d'établir des relations intelligibles entre les données de l'expérience sensible et de faire la science. La raison aspire à penser l'absolu. Elle a pour idées maîtresses le moi, le monde et Dieu. (Sur l'impossibilité de la raison de parvenir à une connaissance certaine, v. « Kant ».) Kant distingue aussi la raison pure et la raison pratique. La raison pure est celle qui fournit les principes a priori de la connaissance. La raison pratique est celle qui fournit les principes a priori de l'action.
II. La raison des choses. ♦ 1° Principe d'explication. Ce qui rend intelligible, la « raison d'être ». La raison, pour Leibniz, est constituée de deux principes fondamentaux : le principe de contradiction, qui est le ressort du raisonnement déductif, et le principe de raison suffisante. « Rien n'arrive sans qu'il y ait une raison déterminante qui puisse servir à rendre raison a priori pourquoi cela est existant plutôt que non existant, et pourquoi cela est ainsi plutôt que de toute autre façon » (Théodicée) ♦ 2° Ce qui justifie, légitime (j'ai mes raisons, le cœur a ses raisons, la raison d'Etat).
III. Notons aussi les sens usuels suivants. ♦ 1° Avoir raison. Être dans la vérité, dans le bon droit. ♦ 2° Donner raison. Se porter garant de la rectitude d'un jugement ou d'une décision. ♦ 3° Mathématiques. Rapport entre deux quantités variables : en raison directe, ou en raison inverse. — La raison d'une progression, nombre constant de la progression. IV. La raison de l’homme est-elle absolument constituée, ou est-elle en état de devenir ? Dans cette dernière perspective, A. Lalande a proposé de distinguer entre raison constituante et raison constituée, l’une étant un effort vers une intelligibilité de plus en plus parfaite, l'autre un système de principes que nous pouvons légitimement tenir pour des « vérités éternelles » car ils n'évolueront que très lentement et « non pas en détruisant, mais en absorbant ».

RAISONNABLE, adj. ♦ 1° Doué de raison, à tous les sens définis au § I de « Raison ». L'homme est un animal raisonnable. ♦ 2° Affirmation qui n'est pas strictement certaine, mais hautement probable et fondée sur un faisceau de raisons. ♦ 3° Comportement humain qui traduit le gouvernement des désirs, des passions et de toute tendance à l’excès par une volonté de justice, de mesure et de sagesse qui est le fruit de la raison.

RAISONNEMENT. n.m. Opération intellectuelle discursive par laquelle on établit une vérité par un enchaînement de propositions. — On distingue le raisonnement déductif, le raisonnement inductif, le raisonnement hypothético-déductif, le raisonnement par l'absurde, le raisonnement par récurrence, le raisonnement par analogie.

Suite de propositions liées les unes aux autres selon des principes déterminés et aboutissant à une conclusion.

raisonnement, succession logique de jugements, aboutissant à une conclusion. — On distingue différents types de raisonnements selon leur forme et leur degré de rigueur : 1° la déduction, qui consiste à déduire un cas particulier d'un principe général tout homme est mortel, donc un tel est mortel. Ce type de raisonnement, purement logique, est rigoureux mais assez stérile; 2° l'induction, qui consiste à tirer d'un cas particulier (je vois une femme rousse) une loi générale (toutes les femmes sont rousses). Ce raisonnement est très créateur, mais fort peu rigoureux. Il est pratiqué en science physique, avec le plus de rigueur possible, pour passer de l'observation des faits (du plus grand nombre possible de faits) à la définition d'une « hypothèse » ; 3° le raisonnement mathématique, synthèse des deux précédents, qui est à la fois rigoureux et fécond (d'où la double appellation, que lui donne le logicien Goblot, d'« induction rigoureuse » et de « déduction constructive »). Exemple de 2 + 2 = 4 : en pure logique 2 + 2 = 2 + 2 ; la production du nombre 4 est une synthèse constructive. Ce raisonnement a été analysé par Kant comme un raisonnement synthétique a priori (c'est-à-dire une synthèse purement intellectuelle).

Raisonnement. Mode de construction logique d’un discours qui enchaîne des arguments. On distingue deux grands types de raisonnements, le raisonnement déductif et le raisonnement inductif. Le premier, étant donné plusieurs propositions présentées comme non contestables, consiste à conduire à une conclusion nécessaire. Ainsi, dans le syllogisme, des deux premières propositions, les prémisses, on déduit inévitablement la conclusion, qui est la proposition à faire admettre : Tous les hommes sont mortels Or Socrate est homme, Donc Socrate est mortel. Il est rare que dans la pratique les syllogismes se présentent sous cette forme logique et pure. On rencontre le plus souvent des syllogismes d’où sont absentes certaines propositions trop évidentes, y compris même la conclusion qui peut rester implicite, comme dans l’exemple qui suit - on parle alors d’enthymème : Les athées doivent dire des choses parfaitement claires. Or il n’est point parfaitement clair que l’âme soit matérielle. (Pascal, Pensées) ou au contraire des syllogismes dont certaines propositions sont développées, les prémisses par exemple parce qu’elles n’appartiennent pas à la doxa, ou la conclusion parce qu’elle donne lieu à d’autres conséquences -on parle alors A'épichérème : Mais dans l’esprit de finesse, les principes sont dans l’usage commun et devant les yeux de tout le monde. On n’a que faire de tourner la tête, ni de se faire violence; il n’est question que d’avoir bonne vue, mais il faut l’avoir bonne; car les principes sont si déliés et en si grand nombre qu’il est presque impossible qu’il n’en échappe. Or l’omission d’un principe mène à l’erreur; ainsi, il faut avoir la vue bien nette pour voir tous les principes, et ensuite l’esprit juste pour ne pas raisonner faussement sur des principes connus. (Pascal, Pensées) Les propositions de départ sur lesquelles s’appuie la déduction peuvent consister en hypothèses. On parle alors de raisonnement hypothético-déductif. L’hypothèse doit évidemment être soumise à vérification pour que la conclusion soit valable. L’induction consiste à passer du particulier au général ou du particulier au particulier. D’un hiver sans neige en Provence, on conclura ainsi qu’il n’y neige jamais. Le raisonnement par induction prend souvent la forme de l'exemple. illustration concrète d’une vérité abstraite. On rencontre ainsi souvent l’association d’un exemple et d’une sentence ou chrie :

Nous ne pouvons pas seulement voir un avocat en soutane et le bonnet en tête, sans une opinion avantageuse de sa suffisance. L’imagination dispose de tout; elle fait la beauté, la justice et le bonheur, qui est le tout du monde. (Pascal, Pensées) Le raisonnement par l’exemple est fondé sur l’analogie, qui établit des liens non nécessaires entre des domaines que rien n’impose de relier. Aussi est-il plus facile de réfuter un raisonnement par induction que par déduction. On appelle sophisme un raisonnement logique en apparence seulement. Il peut donner pour établies des propositions qui ne le sont pas, s’appuyer sur des extrapolations non justifiées, ou sur des mécanismes qui n’ont que l’aspect de la logique : Les bêtes ont-elles une âme? Pourquoi n’en auraient-elles pas? J’ai rencontré, dans la vie, une quantité considérable d’hommes, dont quelques femmes, bêtes comme des oies, et plusieurs animaux pas beaucoup plus idiots que bien des électeurs. (Alphonse Allais, Ferdinand) Un sophiste est donc celui qui utilise des arguments fallacieux. Dans la Grèce antique le terme désignait les rhéteurs philosophes comme Gorgias ou Protagoras qui voyaient dans la rhétorique la formation complète de l’homme. Platon s’opposa à eux dans plusieurs de ses dialogues, souvent avec injustice.

raison/rationalisme
Le rationalisme est la doctrine qui pose la raison comme source unique de notre connaissance.
Commentaire Le rationalisme, étant fondé sur la seule raison, repousse aussi bien la métaphysique que l'empirisme. Si l'expérience reste un élément d'appréhension important d'une réalité, nos esprits ne doivent pas s'y fier. L'expérience, à la différence de la raison, est trompeuse. Platon, Descartes et Kant s'accordent sur ce point. Ainsi, seule la raison permet d'établir des rapports fiables entre les choses, d'édicter règles et lois, de produire des jugements fondés : elle est une faculté proprement humaine et s'oppose à l'instinct animal. La raison peut même explorer des domaines d'où elle semble bannie : Descartes prétend ainsi prouver l'existence de Dieu par le raisonnement logique. En littérature, la raison permet de former le goût et l'esprit critique. Les classiques en feront découler l'essentiel de leurs règles esthétiques.
Citations La raison peut faire découvrir la faute qui a rendu la sauce mauvaise, mais le goût seul nous assure qu'elle est mauvaise. (Abbé Dubos, Réflexions critiques sur la poésie et la peinture, 1719-1733.) On ne présente du théâtre classique qu'une caricature si, comme on le fait trop souvent, on parle de son rationalisme en oubliant son réalisme. (Jacques Schérer, la Dramaturgie classique en France.) La pensée française dans la deuxième moitié du xviiie siècle n'est ni rationnelle ou philosophique, ni scientifique ou expérimentale, ni sensible ou mystique. Elle est tout cela à la fois, selon les milieux ou les gens, et parfois dans les mêmes milieux et chez les mêmes gens. (D. Mornet, la Pensée française au XVIIIe siècle.)


RAISONNEMENT Opération de la pensée qui, partant d’une ou plusieurs propositions admises (prémisses), aboutit à établir la vérité, la fausseté ou la probabilité de leur conclusion. Le raisonnement est semblable à l’inférence, mais il est en général plus développé.

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