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PREVERT Jacques

PREVERT Jacques 1900-1977
Peu après la naissance, à Neuilly-sur-Seine, du fils aîné, Jacques, la famille Prévert vient s’installer à Paris, rive gauche, où l’on vivra d’expédients. Très tôt le gamin se frotte à la vie en faisant des paquets au magasin du Bon Marché. Après la guerre, et son service militaire, il s’intègre, en 1925, au groupe surréaliste qu’il quittera en 1930 pour former un groupe dissident (où le rejoindront Queneau et Leiris). Son premier poème paraît en 1930, année où il commence à écrire (saynètes, sketchs, monologues) pour le groupe Octobre, un groupe de théâtre militant. Parallèlement, à partir de 1932, il écrira pour le cinéma. Il collaborera ainsi à plus de trente cinq films, et notamment à Drôle de Drame, Quai des Brumes, Le Jour se lève, Les Visiteurs du Soir, Les Enfants du Paradis, Les Portes de la Nuit, dont les dialogues sont demeurés inoubliables. Pendant tout ce temps il continue d’écrire des poèmes qui ne seront édités qu’après-guerre, en 1946, dans un recueil intitulé Paroles. Ce sera un immense succès de librairie, le seul recueil de poésie à être un «best-seller» après guerre. Vont suivre Spectacle (1951), Le Grand Bal du printemps, La Pluie et le Beau Temps (1955), Fatras (1966) et Hebdomadaires (1972). L’œuvre poétique de Prévert est celle qui a connu le plus grand succès populaire de l’après-guerre, ce qui s’explique par sa facilité d’accès, son caractère satirique directement en prise sur le réel, son souci, justement, du populaire. Mais, comme le dit J. Rousselot, «les mérites et les limites de la poésie de Prévert, c’est qu’elle a vulgarisé jusqu’à les rendre inoffensives, les propositions subversives des surréalistes» tant il a parfois répété et étiré ses procédés. Et, tandis que de Prévert on admire un poème devenu une chanson, la porte s’ouvre à toutes les facilités, aux chansons qui — pourquoi pas? — seraient des poèmes et s’amorce le piège du «tout culturel». En allant vers le grand public, Prévert a-t-il donné à ce grand public une clef pour une poésie plus exigeante ou a-t-il seulement dévoyé la poésie? La question demeure posée.
PRÉVERT Jacques. Poète français. Né le 4 février 1900 à Neuilly-sur-Seine, mort le 12 avril 1977 à Omonville-la-Petite (Manche), près du cap de la Hague. Son père était breton et sa mère auvergnate (ils eurent un second enfant, l’excellent cinéaste Pierre Prévert). Il grandit à Paris où il fréquenta l’école communale. Son père vivotait de petites combines, parfois à la périphérie des « bonnes œuvres ». Peut-être peut-on y déceler en partie les sources de ce ridicule dont Jacques Prévert ne cessera d’affubler la religion catholique, ses dogmes, ses pompes et ses desservants. Le même père l’emmenait au théâtre grâce à des « billets de faveur », et il n’oublia jamais ce monde agrandi, lyrique et simplifié qu’offre la scène. Il fut aux « Grands Magasins du Bon Marché » un employé peu modèle. Mobilisé en 1918, l’armée française l’envoya, la guerre finie, au Proche-Orient. Après guerre, il dit son mot chez les surréalistes, à sa façon plus indépendante que marginale, dans le groupe dit de la rue du Château, aux côtés de Marcel Duhamel, du peintre Yves Tanguy, de Raymond Queneau et de Georges Sadoul. En. un certain sens, il sera le plus pur des surréalistes : d’abord par ce sens du « dépaysement » que très naturellement il introduisit dans sa poésie, et dont il n’y a pas lieu de donner d’exemples puisqu’il est partout, et parce qu’il s’exprima toujours au plus près de lui-même, dans une très profonde indifférence aux systèmes critiques et au qu’en-dira-t-on. Mais aussi par la rigueur de sa morale (de sa contre-morale) : car il ne manifesta aucun goût pour les appartenances, à plus forte raison pour le prosélytisme des idées ; il voulut aimer seulement les élus de son propre choix, et n’entendit rien aux alliances et aux sectes, aux récriminations et alternances d’un pouvoir, fût-il révolutionnaire. « Excellent musicien, il joua pendant un certain temps du luth de classe sous les fenêtres du parti communiste, reçut des briques sur la tête, et repartit déçu maître chanter dans les cours d’amour... » Il était d’une discrétion entêtée. Hormis quelques intimes, personne ne sut pour qui ou quoi il alla aux Etats-Unis. Il alla aussi en URSS, ce fut avec le « Groupe Octobre » qui mit en scène et joua ses textes et, sur les déceptions et étonnements causés par ce séjour il n’écrivit rien. Nombre de textes de Jacques Prévert ont été dispersés aux quatre vents. Raymond Bussières sait encore par cœur des poèmes qui n’ont jamais été publiés, et ceux qui le furent en édition — après avoir connu la fortune d’une diffusion ronéotée bénévole — ne l’auraient jamais été sans l’obstination fervente de René Bertelé. Dès leur publication, Jacques Prévert apparut comme l’un de nos grands poètes populaires. Comme il avait la passion des énigmes lyriques que proposait le cinéma, il écrivit des scénarios pour ce moyen d’expression encore dans sa fraîcheur, et le fit avec sa fertilité habituelle. Il vécut dans le Midi pendant la guerre, puis un temps s’installa à Saint-Paul-de-Vence. Plus tard, à Paris, il habita un somptueux capharnaüm au premier étage sur un boulevard proche de l’ancien « Moulin-Rouge ». Dans la première pièce, il se tenait à une grande table, tout seul : un poème écrit au crayon feutre traînait là, ou bien c’étaient les matériaux d’un futur collage — de belles filles nues, le pape, des dorures, des verdures... Il travaillait et ne travaillait pas, accueillant un visiteur ou un autre, qu’il écoutait (il écoutait bien), et encore il parlait et parlait. Un monologue plutôt qu’une conversation. Tout de suite, le visiteur était précipité loin de toute trivialité commune. Prévert, lui, se tenait droit comme un I. Son regard bleu, on ne peut le décrire, on en peut dire seulement ce qu’il écrivit de celui de Vincent Van Gogh : « Le regard bleu et doux / Le vrai regard lucide et fou / De ceux qui donnent tout à la vie. » Faisons tout de même un correctif : il y avait aussi de la dureté dans le regard de Prévert sur le monde. Plus tard, il choisit de vivre dans la campagne normande, somptueuse et marine où il devait finir ses jours. Maurice Saillet a dit de Prévert qu’il fut un maître de la parole et rien n’est plus vrai. Il parlait, donc écrivait, en Parisien, un français du nord de la Loire, insoucieux de domestiquer les e muets, de sorte que, dans la perspective d’une métrique enseignée, on compterait chez lui un bon nombre de faux alexandrins, souvent beaux, comme : « les roues de vos carrosses savaient où vous alliez », ou de versets païens faits pour l’oreille : « aussi vrai qu’il y a une fanfare poissons dans chaque vague de la mer ». Il n’avait aucun souci de la corrélation entre l’oral et l’écrit. Il se louait de sa langue de « certifié d’études » (et un jour s’excusa auprès de ses lecteurs d avoir donné deux f à la girafe), mais c’est dans cette langue qu’il écrivit ses dépaysements : « ... un singe avec ses employés / un jardinier avec son sécateur / un jésuite avec une phlébite ». Autant que la religion enseignée par les pères des écoles chrétiennes, il exécrait l’intellectualisme, et toute prétention en général. Il avait fait du mot « grand » sa bête noire, disant à Fernand Léger, à Picasso : « Vous n’êtes pas de grands peintres, vous êtes de bons peintres. » L’approche comparative lui était odieuse, il refusait toute définition de la poésie, de l’humour, etc. — il faisait parler un conférencier de la façon suivante : « J’ai des vestiges / Je ne suis pas quiconque / J’ai des références », et interpellait ses semblables en ces termes : « hommes à la tête d’éponge / hommes aux petits corridors ». Utiles antidotes dans une époque trop abandonnée aux charlatans de l’abstrus. Il faut souhaiter bon vent à qui voudra fixer la bibliographie de Jacques Prévert. Il se proclamait paresseux et a travaillé sa vie entière — à son rythme, à sa main. Les premiers grands recueils — Paroles (1946), Spectacle (1951), La Pluie et le beau temps (1955) — ont eu des lecteurs innombrables, mais la totalité des textes publiés — dispersés au gré des amitiés et des circonstances dans les revues littéraires, les catalogues d’exposition, les ouvrages préfacés, etc. — défie le recensement. A titre indicatif seulement, voici quelques titres : Contes pour enfants pas sages (1947), Lettre des îles Baladar (1952), L’Opéra de la lune (1953), Tour de chant (1953), Lumières d’homme (1955), Histoires ( ) (1963), Fatras (I960). Ce poète n’écrivit jamais que ce qui lui vint en tête d’écrire, pourvu que ce fût avec assez de force, d’authenticité ; et toujours il s’est refusé à des renoncements, a des révisions, des seconds choix — dans le même esprit radical de non-carrière qui s’imposait à lui comme une évidence. Jacques Prévert nous fit du bien, le temps de son passage, et il fut un humain plus unique que les autres. Bel et bien, il ne ressemblait à personne.

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