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xixe siècle).

Publié le 08/12/2021

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xixe siècle). On a compris l'importance de l'enjeu. D'une certaine façon, au partage de Verdun de 843 s'est joué un
millénaire d'histoire européenne.
Le centre du commerce
Comme dans tous les bons livres, donc, on pourrait en rester là et passer au chapitre suivant. On aurait alors
négligé un aspect des choses qui nous éloigne de la construction de l'histoire politique européenne, mais nous
éclaire sur de lents mécanismes trop souvent occultés bien que essentiels.
Reprenons notre affaire sous un autre angle. Ce fameux traité de 843 est conclu à Verdun. La ville acquerra une
célébrité internationale lors de la Première Guerre mondiale. En donnant son nom à la sinistre bataille de 1916,
tombeau de 300 000 soldats, elle devient le symbole sanglant de la haine entre la France et l'Allemagne. De
chaque côté du front, alors, la propagande ne cessera de raviver le souvenir du partage des temps carolingiens : ne
prouvait-il pas l'ancienneté millénaire de la détestation entre les fils de Charles et ceux de Louis ? Aujourd'hui, on
aurait plutôt tendance à faire jouer cet événement lointain à l'inverse : il nous rappelle les racines communes de
notre histoire.
Rares sont ceux qui poussent plus loin leur curiosité : à part le fait qu'on y a conclu ce fameux « partage », que
faisait-on donc à Verdun au ixe siècle ? Voilà où apparaissent nos surprises. L'endroit, on l'a dit, est situé au coeur
même de l'Empire et aux confins des trois futurs royaumes, c'est pour cela qu'il convient à chacun des trois frères.
C'est d'ailleurs de cette excellente position géographique que le lieu tire sa richesse : comme il est fort bien placé
sur les voies de passage, il est un grand centre commercial où l'on achète et vend toutes sortes de denrées. Et
surtout, ajoute-t-on parfois, on y trouve un « important marché d'esclaves ».
Vous avez bien lu. Verdun, ixe siècle, son traité, son commerce, sa traite des êtres humains. Voilà la découverte à
laquelle on ne s'attendait pas : en plein chapitre traitant du haut Moyen Âge, on croise encore des marchés aux
esclaves. Tous les spécialistes connaissent cette réalité, bien évidemment. Hormis eux, qui l'a en tête ?
Dans l'esprit commun, les fers, les chaînes, les gencives que l'on inspecte, les marchandages infâmes auxquels se
livre l'acheteur pour une jambe trop courte ou un bras trop maigre, ce sont des images que l'on place
spontanément à Rome au temps de Spartacus, à la Martinique au temps du Code noir de Louis XIV, en Virginie
avant la guerre de Sécession. Qui les associe au temps de Charlemagne ?
En fait, lorsque l'on consulte les historiens de la période1, on comprend que ce système, florissant sous l'Antiquité,
est finissant : les nobles, plutôt que d'avoir à entretenir ces cohortes de gens fort utiles au moment des récoltes
mais très chers à l'entretien aux mortes saisons, préfèrent désormais « caser » les hommes, c'est-à-dire les
attacher avec leur famille à une terre qu'ils cultivent contre du travail, des corvées. On voit poindre un autre
système, qui cadre mieux avec l'idée que nous nous faisons du Moyen Âge : le servage. Les latinistes savent bien
que le mot « serf » n'est jamais qu'un dérivé du mot servus - c'est-à-dire l'esclave - mais précisément, il n'en
est qu'un dérivé.
À propos, quelle est la racine de ce mot d'esclave ? La philologie est bonne pédagogue. Le mot nous conduit sur
la voie où nous voulons aller. « Esclave », en français, comme son équivalent anglais slave, ne renvoie pas à une
condition sociale, mais à un peuple : les Slaves. Cela remonte précisément à cette période. C'est alors là-bas, à l'Est
de l'Europe, dans ces immenses terres encore païennes, au cours de campagnes de chasse à l'homme, que l'on va
rafler cette marchandise de prix qui transite ensuite à travers l'Empire pour être revendue le plus souvent fort au
sud : il s'agit en particulier, nous explique l'Histoire des étrangers et de l'immigration en France2, de
fournir les émirs de l'Espagne musulmane qui ont une grosse demande de ces grands blonds robustes. Souvent ce
sont des marchands syriens ou juifs qui s'occupent de ce commerce - comme de beaucoup d'autres - parce que
eux seuls connaissent assez les deux mondes pour voyager entre le Sud et le Nord et parce qu'ils possèdent un
avantage devenu appréciable : ils ne sont pas chrétiens. À l'époque carolingienne, ces derniers sont supposés
renoncer à l'esclavage. Les rois tentent d'en freiner la pratique, Pépin interdit la « vente » de gens baptisés aux
païens, Charlemagne exige que la traite se passe en présence d'un évêque. Et les moines rachètent tous ceux qu'ils
peuvent, dont ils feront parfois des prêtres et même des membres de l'épiscopat. C'est que l'Église, en ces viiie
ou ixe siècles, commence à trouver ces moeurs antiques peu en accord avec sa morale. On remarquera qu'elle y
aura mis le temps.

Avant de quitter cette période que certains historiens appellent le « haut Moyen Âge », d'autres encore
« l'Antiquité tardive » - pour indiquer précisément à quel point les traits du monde ancien y sont encore présents
-, profitons donc de cette étape de hasard à Verdun pour nous arrêter sur un phénomène sur lequel les livres
d'histoire traditionnels ne s'attardent que trop rarement : l'infinie lenteur avec laquelle le christianisme s'est

implanté en Europe. Dans les manuels, le basculement du monde païen au monde chrétien se passe à la vitesse
d'un coup de grâce : l'onction d'un front royal par le saint chrême suffit. « En 496, par le baptême de Clovis, les
Francs se convertissent au christianisme. » Le dossier est clos, on peut passer au chapitre suivant.
Dans la profondeur des choses, il fallut des siècles pour passer d'un monde à l'autre. Plus exactement, comme on
vient de le voir pour l'esclavage, il y eut des siècles durant lesquels les deux mondes n'en finirent plus de se
chevaucher.
La conversion des Barbares est un épisode fascinant de l'histoire. On a déjà parlé de cette configuration rare qui
voit le vainqueur se convertir à la foi du vaincu. C'est ce qui se passe quand les Francs embrassent le dieu qui est
alors celui de Rome. Le brillant médiéviste Bruno Dumézil a étudié de près les mécanismes de ce phénomène, ils
sont d'une grande complexité3. L'historien explique par exemple comment l'aristocratie gallo-romaine, exclue des
cours princières des premiers envahisseurs qui étaient ariens (les Wisigoths, par exemple), se replie sur la grande
structure de pouvoir qui reste à sa portée, l'Église, pour lui donner ses évêques, ses prélats. Une des raisons qui
poussent les Francs à devenir catholiques est qu'ils peuvent ainsi s'appuyer sur une structure existante, ce qui a
permis aux deux mondes de se fondre peu à peu. Dumézil explique aussi combien tout cela a pu varier selon les
régions et les moments. On a vu des allers et retours spectaculaires d'un culte à l'autre : selon les caprices, les
stratégies, les intérêts ou les choix de tel ou tel roi, certains peuples ont pu ainsi changer de religion trois ou quatre
fois en une génération.
La rage de détruire les idoles
Sauf exception sanglante - on se souvient de la rage de Charlemagne dans sa guerre « évangélisatrice » contre les
Saxons -, tout cela s'est produit sans persécution de masse, ce qui est assez rare dans l'histoire pour être souligné.
La doctrine, constamment reformulée par les papes, est qu'il faut convertir par l'exemple et la persuasion plutôt
que par la force. Rome a moins d'égards pour le patrimoine et la culture des religions antérieures. Les temples, les
statues, les monuments sont détruits sans ménagement, ou rechristianisés. Dans les régions celtiques, on pose,
par exemple, des croix sur les menhirs. Partout on profane les autels où les gens venaient se recueillir depuis des
siècles ou on les convertit en église. Les livres pieux sont pleins de saints admirables des premiers temps du
christianisme qui passent leur vie à courir les temples et les sanctuaires pour « briser des idoles », c'est-à-dire pour
faire disparaître un patrimoine d'une richesse extraordinaire, qui est, par leur faute, à jamais perdu. Évidemment,
cela est moins cruel que d'assassiner les prêtres qui y officiaient ! Au moment de la Révolution française, au nom
de la lutte contre un catholicisme alors détesté, on verra s'abattre pareille rage contre les symboles du
christianisme, on verra les églises pillées, les objets du culte vendus ou détruits. Ce « vandalisme révolutionnaire »,
comme on l'appelle, est resté un des griefs majeurs de certains catholiques contre la grande tourmente issue de
1789. Sans esprit de polémique, on peut rappeler ici qu'en s'en prenant avec violence aux insignes d'une religion
qu'elle espérait dépasser, la Révolution n'a fait que reproduire ce que le catholicisme en s'implantant avait fait à
l'égard des dieux qui l'avaient précédé.
Au moment de l'effondrement de Rome - vers le ve siècle -, l'Europe occidentale est encore partagée. À
l'intérieur de ce qui était l'Empire, des terres majoritairement chrétiennes parsemées de poches de paganisme.
Au-delà des frontières, d'immenses espaces priant les dieux des Barbares. Quelques siècles plus tard, c'est partout
la chrétienté, c'est-à-dire un univers uniformément chrétien, sinon quelques rares minorités, comme les Juifs
dont nous reparlerons. Seulement il ne faut pas oublier la lente subtilité avec laquelle le phénomène est devenu
réalité. Des signes runiques retrouvés dans le Jura, nous explique l'Histoire des étrangers4, prouvent que les
peuplades germaniques qui y étaient installées continuaient à sacrifier à leurs anciens dieux jusqu'au viie siècle,
soit deux siècles après la conversion de Clovis, leur chef mythique. Comment ne pas voir aussi que bien des
pratiques religieuses apparemment nouvelles recouvrent fort mal des réalités plus anciennes ?
Songeons au culte des saints, par exemple. En Gaule, il s'est développé à partir du ve siècle, autour de saint
Martin de Tours, d'abord. On vient en pèlerinage jusqu'à sa chapelle, c'est-à-dire le monument où l'on garde
une partie du fameux manteau qu'il a partagé avec un pauvre, la chape - c'est l'origine du mot. Et le
martyrologe - la liste de tous les canonisés - et les lieux de pèlerinage qui vont avec grossiront bien vite. D'un
point de vue catholique, les saints ont une grande importance théologique : ils font don au monde de l'exemple de
leurs vertus, et comme on est sûr qu'ils sont au paradis, ils peuvent servir aux fidèles d'intercesseurs auprès de
Dieu. D'autres historiens, comme l'Israélien Aviad Kleinberg, ont sur le phénomène un regard un peu différent : le
culte des saints est fort commode pour une autre raison, il sert de substitut au polythéisme que l'on demande aux
populations d'abandonner, alors qu'il était pratiqué depuis des millénaires5. Dès le moment où le christianisme est
devenu la seule religion autorisée, partout dans les sanctuaires de l'Empire romain, le Christ a remplacé Jupiter, la
Vierge a remplacé Athéna ou Héra, les statues des saints inventés les uns après les autres sont venues prendre la
place des dieux mineurs qui y siégeaient, et les évêques en grande tenue sont allés placer les sources magiques, les
arbres bénits où les peuples venaient chercher la guérison ou les miracles, sous la protection nouvelle de tel autre

saint, de telle autre sainte parfaitement à la hauteur de leur fonction : la preuve, la source et l'arbre continuaient à
faire autant de miracles et de guérisons qu'ils en faisaient depuis la nuit des temps.
Oui, le temps est long, en histoire, et ni le peuple ni les grands n'aiment qu'on change leurs habitudes.
Charlemagne est bon chrétien et il est polygame, comme les Germains l'ont toujours été. Laurent Theis nous
explique6 que si les clercs multiplient à l'époque carolingienne les traités sur le mariage, c'est simplement que
cette pratique moderne n'est absolument pas entrée dans les moeurs. Trois siècles après la fin de Rome, quatre
après la conversion de Constantin, on chôme encore le jeudi, jour de Jupiter (comme nous le dit toujours
l'étymologie du mot). On jette des graines dans le feu pour conclure un marché. On lit l'avenir dans les excréments
d'animaux. Et le calendrier que l'on dit chrétien ne finit par s'imposer qu'en se calant soigneusement sur les
découpes du temps qui préexistaient. La fête des morts de novembre est plaquée sur celle, celtique, de Samain. La
date de naissance du Christ est fixée vers le ve siècle, c'est-à-dire un demi-millénaire après l'événement qu'elle est
censée célébrer : ainsi Noël peut se substituer au culte oriental du Sol invictus (le soleil invaincu) mais aussi au
solstice d'hiver, essentiel chez les Celtes. La bûche du réveillon est une vieille réminiscence de cette célébration
païenne. On peut y songer quand on en mange : sous la crème au beurre et le petit sapin en plastique, ce sont des
dieux que l'on croit morts depuis deux millénaires qui nous contemplent encore.
1 Par exemple
Georges Duby.

Histoire du monde médiéval, Larousse ou chez le même éditeur, l'Histoire de France, sous la direction de

2 Sous la direction d'Yves Lequin, Larousse, 2006.
3

Les Racines chrétiennes de l'Europe, Fayard, 2005.

4

Op. cit.

5

Histoire de saints, « NRF», Gallimard, 2005.

6

Nouvelle Histoire de la France médiévale. L'héritage des Charles, t. 2, « Points », Le Seuil, 1990.

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