Taïwan (1991-1992)

« Taïwan (1991-1992) Les relations avec l'"autre rive", cette "entité politique hostile" reconnue de facto depuis mai 1991, et connue ailleurs sous le nom de République populaire de Chine (RPC), ont dominé la scène taïwanaise.

Quoique Taipeh n'autorise toujours pas les relations économiques directes avec le continent, on estimait fin 1991 que 2500 entreprises au moins y avaient investi quelque trois milliards de dollars, la moitié environ s'étant implantées dans la province du Fujian, d'où proviennent 85% des Taïwanais.

Leur taux de profit moyen s'élevant à 24%, contre 15% à Taïwan, le mouvement a semblé devoir continuer, malgré les craintes des autorités de l'île quant aux effets politiques d'une trop grande "dépendance": un "plafond" de 10% a été fixé pour la part des échanges avec le continent dans le commerce extérieur de l'île.

Avec 4,2% (5,8 milliards de dollars) pour 1991, on en était encore loin, mais l'augmentation par rapport à 1990 a été de 43%. Effet bénéfique indirect des délocalisations: le surplus commercial avec les États-Unis - premier partenaire - est passé de 19 milliards de dollars en 1987 à 9,8 milliards en 1991 (celui de la RPC a crû d'autant...), ce qui a éloigné les menaces de représailles, et permis d'obtenir le soutien américain à la candidature de Taïwan au GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce).

Cependant, en avril 1992, l'électronique taïwanaise, fer de lance de l'industrie (18% des exportations), a été accusée à Washington de "piratage de copyright et de contrefaçon de marques déposées", et l'île placée sur la liste des "pays étrangers prioritaires" causant le plus grand tort aux États-Unis. L'annonce en novembre 1991 du rachat partiel de la firme américaine McDonnell-Douglas par Taiwan Aerospace et de la construction d'une partie du futur avion MD-12 à Taichung n'y a pas été étrangère.

Il s'agissait pourtant surtout d'assurer les transferts de technologie nécessaires à l'aéronautique militaire et, par là, de conforter la défense d'un petit pays privé de reconnaissance internationale.

C'est sans doute ainsi qu'il a fallu comprendre l'achat discret, fin 1991, aux États-Unis de pièces essentielles des missiles sol-air Patriot, et les beaucoup plus retentissantes acquisitions de matériel français: 16 frégates de 3200 tonnes vendues désarmées en septembre 1991 pour 4,8 milliards de dollars, et 80 Mirage 2000.

Paris hésitait à donner son accord pour ces derniers, tant la colère de Pékin était grande. Celle-ci s'alimente de tout ce qui pourrait aller dans le sens d'une indépendance formelle de Taïwan, jusqu'à proférer, à l'occasion, des menaces non voilées d'invasion armée.

Cela n'a pu que contribuer au triomphe du Kuomintang (au pouvoir depuis le repli des dirigeants nationalistes dans l'île, en 1949), lors des élections du 21 décembre 1991 pour la nouvelle Assemblée nationale, enfin débarrassée des "députés âgés" élus en 1948 sur le continent.

Par rapport à 1989, le parti au pouvoir est passé de 60,8% à 71,9% des voix, cependant que le Parti démocratique progressiste, qui s'était prononcé en octobre 1991 contre le dogme de la réunification, et avait organisé de vastes manifestations indépendantistes, a régressé de 28,3% à 23,9%.

Mais les partisans de l'indépendance n'en gagnent pas moins en influence dans la nouvelle génération du Kuomintang.

Les excuses tardives et embarrassées du pouvoir pour les massacres de 1947 - qu'un rapport officiel a évalués entre 18 000 et 28 000 morts - n'ont pu que les conforter.

A travers ces péripéties un fait essentiel est apparu: la démocratisation en douceur amorcée en 1987 a semblé l'avoir durablement emporté.. »