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Rabelais, Gargantua, V. Comment Gargantua nasquit en faczon bien estrange. (Pocket, pages 74 et 76) (depuis – Couraige, couraige ! jusqu'à leurs enfants par l'aureille.)

Publié le 02/12/2021

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Ci-dessous un extrait traitant le sujet : Rabelais, Gargantua, V. Comment Gargantua nasquit en faczon bien estrange. (Pocket, pages 74 et 76) (depuis – Couraige, couraige ! jusqu'à leurs enfants par l'aureille.). Ce document contient 1 mots soit pages. Pour le télécharger en entier, envoyez-nous un de vos documents grâce à notre système gratuit d’échange de ressources numériques. Cette aide totalement rédigée en format PDF sera utile aux lycéens ou étudiants ayant un devoir à réaliser ou une leçon à approfondir en: Echange.


 

Questions : a) La structure du passage (début narratif : conn. temporels, passé simple, dialogue ; fin intrusion d’auteur : présent de vérité générale et d’énonciation, conn. logiques)

b) Le registre comique (révisions : comique de farce, de situation, de caractère, de mœurs, verbal)

 

I. Première partie : le récit de la naissance de Gargantua.

1) La parodie du roman de chevalerie.

La naissance d’un héros épique fait toujours intervenir des éléments miraculeux ; ces éléments sont ici en décalage par leur nature comique (les circonstances de la naissance de l’enfant, son premier cri : à boyre !). Le « merveilleux « n’est pas ici d’origine divine, mais la plus grossièrement animale : c’est sous le signe de la tripe, de la merde et de l’ivrognerie que naît le héros !

⇒ Détournement burlesque.

 

2) La verve du conteur.

a) Enonciation : à la manière du conteur oral traditionnel, le narrateur intervient dans sa narration pour la commenter (dont avons parlé cy dessus), solliciter l’imagination de son public en l’impliquant dans la scène (vous les eussiez eslargiz), ou pour souligner certains effets (un restrinctif si horrible ; chose bien horrible à penser).

b) Un vocabulaire pittoresque. Proverbes ( laissez faire aux quatre bœufs de davant = image de lenteur et de force) ; régionalismes (veguade = un coup à boire, mot gascon) ; expression populaires (huschant en paulme = héler en mettant ses mains en porte-voix ; le fondement qui luy escappoit, expression récurrente chez Rabelais pour désigner la diarrhée) ; onomatopées (Mies ! Mies !). La platitude de la « traduction « de notre édition fait bien ressortir la saveur du texte original…

c) Des allusions satiriques traditionnelles.

- l’égoïsme masculin : malgré ses assurances répétées, Grangousier ne se dérange pas lorsque Gargamelle commence à lamenter et cryer !

- le bavardage féminin : allusion à l’histoire traditionnelle des deux Gualoises.

⇒ Procédés traditionnels du conteur oral qui cherche à soutenir l’attention de son auditoire et à le faire réagir.

 

3)  Un humour de carabin.

a) La compétence médicale.

Vocabulaire technique de la médecine (un restrinctif ; ses larrys) et de l’anatomie (les cotylédons de la matrice ; la vene creuse ; le diaphragme) : le docteur Rabelais semble décrire une opération chirurgicale, et rappelle son infériorité au simple lecteur en « traduisant « d’un air dégoûté certains termes en langage profane (lequel vous appelez le boyau cullier). Par ce vocabulaire spécialisé, en décalage avec l’impossibilité physique de ce qu’il raconte, Rabelais obtient un effet comique supplémentaire.

b) La satire de l’incompétence des sages-femmes du Moyen-âge.

En tant que médecin, Rabelais règle ses comptes avec les sages-femmes traditionnelles, dont il montre l’empressement intéressé (à tas, de tous coustez), la vieillesse, la laideur, l’absence de formation (il n’y a pas de faculté de médecine à Brizepaille d’auprès de Sainctgenou !) et l’incompétence :

- leurs méthodes : elles tâtent, elles goûtent, mais elles se trompent d’endroit !

- leur diagnostic : elles prennent ce qu’elles trouvent pour un nouveau-né !;

- leur traitement : dans l’état de Gargamelle, ce restrinctif est une aberration médicale.

c) La scatologie.

Il est traditionnel que les étudiants en médecine s’épaississent le cuir et soulagent leur « stress « en plaisantant – entre eux ! – avec les misères physiques qu’ils côtoient. Rabelais s’amuse ici à choquer délibérément le lecteur et à obtenir de lui une réaction de dégoût. Ainsi, il suggère deux fois une liaison buccale avec les saletés dont il est question : les sages-femmes trouvent les pellauderies assez de maulvais goust (elles les ont donc portées à la bouche !) ; le lecteur est invité à essayer d’élargir l’anus de Gargamelle avecques les dentz ! (et d’insister à plaisir : chose bien horrible à penser !)

⇒ Une scène d’accouchement fantaisiste, mais rédigée par un véritable médecin.

 

Conclusion. Tout est fait pour que le lecteur s’amuse et ne prenne pas au sérieux cette étrange nativité ; loin de chercher à créer « l’illusion romanesque «, Rabelais semble vouloir à tout prix lui rappeler que ceci n’est qu’un conte…

II. Seconde partie : une intrusion d’auteur.

1) Un passage argumentatif. Surprise : après avoir tout fait pour que le lecteur n’y croie pas, Rabelais argumente à présent pour qu’il y croie ! Stimulation du lecteur par des insolences (je ne m’en soucie pas), des questions pressantes (Ne dict pas Salomon.. ? Pourquoi ne le croyriez-vous ? Est-ce contre.. ? Diriez-vous qu’il ne l’eust peu fayre ?), des impératifs (Ha, pour grace, ne emburelucocquez jamais vos esprits…), des modalisateurs catégoriques (Je vous dicz que, pour cette seule cause, vous le debvez croyre… ; Car je vous diz que…).

⇒ Un dialogue avec le lecteur (dictez vous // je vous dicz), sommé de croire l’invraisemblable.

 

2) Une réflexion sur la naissance de Jésus ?

Le mot « nativité « (au lieu de « naissance «) est traditionnellement utilisé à l’occasion de Noël, et une croyance avait eu cours au Moyen-âge sur la conception de Jésus par l’oreille de la Vierge le jour de l’Annonciation : c’est en entendant le message de l’archange Gabriel qu’elle aurait conçu l’enfant-Jésus. Le missel contient les vers

Gaude, Virgo Mater Christi

Quae per aurem concepisti

(« Réjouis-toi, Vierge mère du Christ, qui par l’oreille a conçu « (source : R. de Gourmont, cité in Dictionnaire des Symboles, article « oreille « Seghers 1974). L’Eglise, ne désirant pas approfondir ce sujet scabreux, n’avait jamais condamné formellement cette croyance. Or, ayant conçu par l’oreille, pourquoi n’aurait-elle pas accouché par la même voie ?

⇒ Même Rabelais recule devant ce qui serait un blasphème scandaleux, rapprocher explicitement la naissance de Gargantua de celle de Jésus, mais le lecteur est implicitement invité à réfléchir à une autre impossibilité physique : la mise au monde de Jésus par une vierge. Invraisemblable, mais article de foi pour Rabelais !

 

2)  Une controverse sur l’expression foy est argument des choses de nulle apparence (Saint Paul).

a) La Sorbonne pense qu’il s’agit là d’une définition de la foi, et que celle-ci consiste donc à croire des choses invraisemblables (« de nulle apparence « de réalité).

⇒ Absence d’esprit critique, qui fait du croyant un simple naïf, prêt à croire n’importe quoi (citations ironiques des « Ecritures «, confondues à dessein avec ce qu’il trouve par écrit ).

b) Erasme pense qu’il ne s’agit là que d’une analyse des pouvoirs de la foi, qui nous permet de croire en des choses qui ne se voient pas, qui n’apparaissent pas (« de nulle apparence «). Erasme insinue que cette erreur d’interprétation provient de l’ignorance du grec par les théologiens de la Sorbonne ! (source : G. Milhe-Poutingon, Gargantua, coll. « L’œuvre au clair «, Bordas, 2004)

⇒ Moquerie contre la Sorbonne, et élans de confiance en Dieu, jusqu’à la fin du passage.

 

Conclusion

Une réflexion sur la foi, qui ne doit pas être machinale mais consciente, motivée, raisonnée. Le but de Rabelais n’est pas, bien sûr, de nous faire croire en la naissance burlesque de Gargantua, mais de nous faire prendre conscience des pouvoirs de la foi religieuse qui fait admettre au croyant une autre « nativité « aussi peu « naturelle «. Le moine Rabelais fait ainsi réfléchir son lecteur sur la différence entre foi et crédulité.

Trop polémique envers la Sorbonne, le passage (depuis Ne dict pas Salomon… jusqu’à foy est argument des choses de nulle apparence) sera supprimé dès 1537.

 

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