Qui est le je ?
Publié le 15/05/2020
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Qui est le je ? Ce sujet pose la question de l'identité du "je" lorsque nous l'utilisons dans un énoncé.
Grammaticalement, "je" est unpronom personnel sujet.
En posant la question "qui", nous sommes invités à répondre en assimilant le je à unepersonne.
Nous verrons en quoi cela est discutable.
1) "Je", c'est moi.
Descartes, seconde méditation : "je suis une chose qui pense" Le "je" renvoie à un "moi".
"J'ai faim", "je suis né à Königsberg", le je désigne l'individu qui s'exprime.
Je, sujet d'unénoncé, renvoie vers un référent tenu pour évident : la personne qui parle ou qui écrit.
Tout énoncé ayant je poursujet dit quelque chose de la personne qui s'exprime, sensations, émotions, pensées.
Pour Descartes et pour lesphilosophes qui ont écrit après lui, le "je pense" nous conduit nécessairement à concevoir le sujet de la penséecomme une réalité empirique assimilable à une conscience ou à une âme : le je est avant tout une personnespirituelle distincte de toute autre réalité par son rapport privilégié à ses pensées.
2) "je" est une forme du langage Kant, critique de la raison pure : "Le "je pense" doit nécessairement pouvoir accompagner toutes mesreprésentations." Critiquant la conception cartésienne, Kant nie le rapport d'identité qu'établit Descartes entre le sujet de la penséeet de l'énonciation, et le moi, c'est à dire la personne humaine.
Selon lui, la subjectivité, le sentiment que toutesnos pensées et énonciations nous appartiennent en propre, sont distincts des caractéristiques particulières de notrepersonnalité, notre histoire individuelle, etc.
La conscience de soi est une forme particulière de connaissance quivise notre être individuel, mais elle n'est pas la même chose que la conscience comme simple rapport au monde.Ainsi, le "je" comme point fixe de la pensée et de l'expérience, ne renvoie pas directement à un moi, à une personnedont on pourrait dire les caractères.
Le je est la forme de la pensée et une forme du langage, avant d'être uneréférence à une personne.
"Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l'hommeinfiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre.
Parlà, il est une personne; et grâce à l'unité de la conscience dans tous leschangements qui peuvent lui survenir, il est une seule et mêmepersonne, c'est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et ladignité, de choses comme le sont les animaux sans raison, dont onpeut disposer à sa guise ; et ceci, même lorsqu'il ne peut pas encoredire le Je, car il l'a cependant dans sa pensée.Il faut remarquer que l'enfant, qui sait déjà parler assez correctement,ne commence qu'assez tard (peut-être un an après), à dire Je; avant, ilparle de soi à la troisième personne (Charles veut manger, marcher,etc.) ; et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand ilcommence à dire Je; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l'autremanière de parler.
Auparavant il ne faisait que se sentir; maintenant ilse pense."
Emmanuel Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique (1798),trad.
M.
Foucault, Vrin, 1984.
Ce que défend ce texte:
Ce texte de Kant situe très exactement la frontière qui permet de séparerl'homme de l'animal et ce, en posant entre eux une barrière infranchissable.Les animaux ont-ils une conscience? Certes, le monde animal n'est pas homogène, et entre l'abeille, qui manifestel'instinct le plus aveugle, et les mammifères, qui paraissent exprimer une certaine intelligence, les différences sonttelles que la question ainsi posée, dans sa généralité, n'a pas vraiment de sens.Toutefois, l'homme, et lui seul, possède le « Je dans sa représentation», c'est-à-dire la capacité de se représenterlui-même et de se penser comme un «moi», par-delà la multiplicité et la mobilité de ses contenus de conscience etde ses sensations.
Capacité que ne possède aucun autre animal, car l'homme seul a conscience de soi.Telle est la thèse que Kant cherche à défendre ici, et qui a pour conséquence de poser que ce pouvoir « élèvel'homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre ».Les animaux sont en effet soumis à la puissance des stimuli, c'est-à-dire des stimulations sensorielles vis-à-visdesquelles ils ne se distinguent pas.
Ils sont pris dans le stimulus, et sont pour cela comme dans un présent absolu,celui de son actualité.L'homme, au contraire, ordonne ses sensations autour de la représentation de son moi, ce qui le place non plus dansle monde, mais face au monde.
Dans le premier cas, il aurait fait un avec le stimulus; dans le second, il se distinguede lui et l'objet perçu devient précisément à ce moment-là «ob-jet », c'est-à-dire une réalité placée (jectum).
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