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Photographier, c'est conférer de l'importance, écrit Susan Sontag dans sur la Photographie (1983). Susan Sontag a-t-elle raison aujourd'hui ?

Publié le 09/12/2021

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L'album de photos devient une solution de substitution, qui remplace l'expérience du monde par sa représentation informative. À tel point que la photographie est trafiquée à des fins politiques : rien n'empêche que l'on fasse disparaître d'un cliché tel ou tel personnage dont l'Histoire veut se débarrasser. Pensons à certains sinistres trucages des dictatures. L'on peut y ajouter les images subliminales qui stimulent le cerveau sans que l'oeil même s'en rende compte. Mais comme le disait Lewis Hine : «Ne méprisons pas l'appareil photographique, même si la photographie malhonnête existe. » On a effectivement voulu trop attendre de la photo, la considérer comme une fin en soi, comme un garant d'authenticité, s'attendre à ce qu'elle donne la clef des événements par un message absolu. Or, peu de photographies peuvent prétendre à cette qualité, et il faudrait avant tout reconsidérer la photo dans ce qu'elle a d'artistique, donc de subjectif. Rien n'empêche d'ailleurs la publicité de choisir des photos de qualité pour commercialiser un produit. Les Galeries Lafayette ont ainsi promu leur rayon lingerie au moyen de photographies de Jonvelle. L'originalité est sans doute un critère à retenir, pour éviter le énième coucher de soleil sur la mer et lui préférer tel rayon réfracté sur un corps mi-femme mi-rocher de L.

« Notre environnement contemporain semble fonctionner sur la diffusion d'images mobiles ou fixes qui nousdispenseraient de plus en plus du recours à d'autres moyens d'appréhension du monde.La photographie, art récent s'il en est, s'offre comme expression idéale de notre civilisation et sa banalisationn'empêche pas sa puissance.

Susan Sontag affirme que «Photographier, c'est conférer de l'importance ».Nous verrons d'abord ce que recouvre ce terme et de quels moyens dispose la photographie.

Mais comment conciliercette importance avec la banalisation de l'image? Sans doute en gardant à la photographie son statut d'art.La photographie donne effectivement de l'importance aux objets, êtres et paysages qu'elle fixe sur le papier.

Cetteimportance revêt plusieurs aspects, et d'abord celui de témoignage.

Les photos sont des documents ethnologiquesincomparables et l'Américain Lewis Hine l'avait compris au début du siècle lorsqu'il a élaboré la photographie sociale,avec ses immigrants italiens et ses ouvriers en particulier.

L'on trouve la même volonté de témoigner d'un universmal connu avec Roland et Sabrina Michaud qui, les premiers, ont fait connaître les Afghans aux Européens.

C'estaussi le rôle de la photographie scientifique : météorologie, médecine, géographie, etc.Les reportages photographiques sont souvent, de nos jours, des preuves de l'importance de tel ou tel événement.Ainsi, la révolution chinoise de 1989 a trouvé l'une de ses plus véridiques expressions dans la photo extraite d'unreportage, sur laquelle figure un étudiant immobile face à un char de l'armée.

Le photographe est un témoin, parfoisà charge, comme cet homme immobilisé dans Fenêtre sur cour de Hitchcock, dont les photos vaudront commepièces à conviction du meurtre qui s'est déroulé en face de chez lui.Ce témoignage va jusqu'à la preuve d'existence, comme en témoignent nos photos d'identité.

L'être figurant sur unpasseport est censé être celui du réel.

C'est l'industrialisation de la photo qui a entraîné cette bureaucratisation.La photographie confère de l'importance à ce qui semblait ne pas en avoir au premier abord.

Cartier-Bressonphotographiant le petit peuple de Paris montre que c'est là qu'est la vraie vie, que ces êtres humbles portent en euxune forme de beauté.

En outre, elle prouve que l'objet avait en soi de l'importance puisqu'un photographe s'y estarrêté.

C'est ce qui explique les photos de mariages ou de cérémonies : on photographie parce que le moment estcrucial dans la vie de telle ou telle personne.

C'est ainsi que la photographie devient un talisman : on garde lesphotos des êtres chers, d'un animal, d'une vedette dans un portefeuille ou punaisées sur le mur d'une chambrecomme celle des héros des Enfants terribles de Cocteau.

Ces images sont l'expression d'un culte du souvenir auxabsents, aux disparus.

Le caractère fétichiste de la photographie est souligné dans La mort de Mrs.

McGintyd'Agatha Christie, où un personnage constate que l'on garde des images par vanité («j'ai été beau »), parsentimentalité ou par haine.Mais ce qui compte le plus dans cette importance accordée, soit à des faits anodins, soit à des événementsmarquants, c'est la volonté que l'on a de fixer, par un cliché, le temps qui s'écoule sans retour.

Le terme d'«instantané » qui désigne la photographie dit assez que l'on fige là le souvenir d'un moment qui n'est déjà plus : lesoldat en uniforme, le premier sourire d'un enfant, un bouquet de mariée, etc.

La photographie est donc le moyen de lutter contre la fuite du temps, de se rassurerdans un monde où tout passe, de montrer l'évolution d'un être.

Ce sont ces «deux ou trois portraits réalisés aucours d'une vie» que mentionne le libellé.Qu'en est-il alors à notre époque où déferlent les images et qui met à notre portée la possibilité de les multiplier ?Il apparaît que la plus grande facilité technique de diffusion de l'image lui a permis de gagner tous les domaines, enen faisant un remarquable outil de communication.

L'industrialisation de la photographie est ainsi à l'origine de saprolifération quantitative, aux dépens du support écrit.

Ainsi les journaux télévisés, qui se valent tous, attirent plusou moins les téléspectateurs par un enchaînement particulier des images, une présentation spécifique de l'écran.Bien plus, dans le monde de la publicité, le texte n'est que...

l'illustration de l'image ! Cette dernière est destinée àsusciter un besoin chez le consommateur.

Ainsi bon nombre des publicités pour des boissons se fondent sur desphotos de vagues, de voiliers, et autres plages de sable fin.

Il en va de même pour les cigarettes dont l'éloge se faitdans des paysages sauvages qui appellent à l'aventure.Car notre monde produit et consomme de tout, et surtout des images, au nom de cette idée que tout peut ou doitêtre montré.

Accessoirement la photo subit le même sort que les autres produits : aussitôt fixée, aussitôt oubliée,qu'il s'agisse des clichés d'actualité ou de publicité, redevenus «instantanés» sans avenir.

E.

Delacroix déjà, au xixesiècle, se désolait que « l'artiste, en un mot, devient une machine attelée à une autre machine ».

La photographie,dans ces cas-là, confère de l'importance à ce qui n'en a guère.Qualitativement, non seulement l'image s'affadit mais elle se pervertit.

En effet, il faut trouver les angles les plussaugrenus ou les visages les plus marqués de souffrance pour que le spectateur réagisse encore.

Un grandhebdomadaire français n'a-t-il d'ailleurs pas fondé son slogan sur ce point : « Le choc des photos » ? Cela expliquepourquoi les photos les plus prisées de nos contemporains sont celles des catastrophes et qu'au cinéma, ils aspirentà des images violentes.L'on assiste également à une décadence morale des photographes qui sont prêts à violer l'intimité des sujets pourenvoyer un scoop à leur agence de photographie.

Balzac, qui se rapprochait en cela de certaines populations dites «primitives », craignait que l'appareil photo n'allât dépouiller l'homme d'une partie de son être, de son âme qui sedéposerait sur la pellicule photographique ! Au lieu de prendre un cliché, le photographe, dans certainescirconstances dramatiques, pourrait secourir son«modèle» en danger.

Susan Sontag constate, à propos de l'exemple d'un bonze japonais s'immolant par le feu :devant le « choix entre la prise de vue et le sauvetage d'une vie, il a choisi la photographie ».Le problème le plus grave est que cette photographie banalisée dispense du réel, à deux titres.

D'abord, laparticipation aux événements se limite de plus en plus à en observer les photographies : pourquoi voyager puisqueun magazine comme Géo le fait pour nous? D'autre part, la photographie découpe le monde en morceaux, en sériesd'espaces et l'on vit alors dans deux univers : l'univers réel et son « doublement » en images qui nous encombre,comme le constate Susan Sontag.

L'album de photos devient une solution de substitution, qui remplace l'expérience. »

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