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penser

Publié le 05/12/2021

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Alain: Propos sur la religion

\" Penser c'est dire non. Remarquez que le signe du oui est d'un homme qui s'endort; au contraire le r´veil secoue la tte et dit non. Non ˆ quoi ? Au monde, au tyran au prcheur? Ce n'est que l'apparence. En tous ces cas-lˆ , c'est ˆ elle-mme que la pens´e dit non. Elle rompt l'heureux acquiscemen. Elle se s´pare d'elle-mme. Elle combat contre elle-mme. Il n'y a pas au monde d'autre combat . Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives , ses brouillards , ses chocs d´tourn´s, c'est que je consens , c'est que je ne cherche pas autre chose.Et ce qui fait que le tyran est ma”tre de moi, c'est que je respecte au lieu d'examiner. Mme une doctrine vraie, elle tombe au faux par cette sonnolence. C'est par croire que les hommes sont esclaves. R´fl´chir , c'est nier que l'on croit. Qui croit ne sait mme plus ce qu'il croit. Qui se contente de sa pens´e ne pense plus rien.\"

Bachelard, Nouvel esprit scientifique

[\"L'opinion ne pense pas\"]

 

CORRIGƒ

 

La capacit´ de penser est ce qui diff´rencie, outre certains caractres physiques, l'homme des animaux. Or l'acte de penser peut se pr´senter sous trois formes de d´marche intellectuelle distinctes. La premire est celle de la simple prise de conscience.  Ainsi, lorsque l'on pense ˆ quelque chose, on se le repr´sente mentalement : si je pense ˆ une maison, je me la repr´sente en image ou en id´e. Penser, c'est aussi, ˆ un degr´ sup´rieur, conceptualiser : lorsque nous raisonnons pour d´terminer la nature dÕun tre, nous en formons le concept, nous nous le repr´sentons de faon rationnelle en faisant la part en lui ce qui le caract´rise en propre et de ce qui pourrait changer sans quÕil cesse dՐtre ce quÕil est. Mais lÕacte de penser, c'est aussi et peut-tre surtout celui de juger : lorsque nous prenons position sur lÕune ou lÕautre question ou lorsque nous faisons des choix d´lib´r´s, nous pensons que les choses sont ou doivent tre ainsi que nous le d´clarons. 

Alain dit, en parlant de la dernire faon de penser, que nous venons dÕ´voquer, que Ç penser, c'est dire non È. Qu'en est-il ? Doit-on consid´rer que la pens´e, quand  elle prend la forme du jugement, consiste en un refus, en une distanciation critique par quoi nous nous d´fendrions dÕadh´rer ˆ une certaine faon de voir les choses ? SÕil semble aller de soi, pour peu que lÕon y prenne garde, que la pens´e ne peut sÕaffirmer quÕen se d´marquant de lÕopinion, aux convictions bien souvent irr´fl´chies, il semble non moins ´vident quÕelle ne saurait en rester lˆ, sous peine de sombrer dans un scepticisme st´rile. Par o lÕon voit quÕen se demandant si Ç penser, cÕest dire non È, nous sommes conduits ˆ appr´cier la valeur mais aussi les limites de lÕesprit critique afin dÕen d´duire, pour nous-mme, une sage faon de nous conduire lorsque nous pr´tendons penser.

Pour pouvoir r´pondre au plus juste ˆ la question de savoir si penser, cÕest dire non, nous aurons ˆ nous en poser successivement trois autres. En quoi le jugement peut-il tre conu comme ´tant un refus ? En quoi, toutefois, ne saurait-il sÕy r´duire ? Et, enfin, en quoi la pens´e est-elle, somme toute, un processus relevant ˆ la fois du refus et de l'adh´sion ?

 

Pour bien voir en quoi le fait de penser peut consister en un refus, il est capital d'analyser les ´tapes de la formation d'un jugement. Intellectuellement parlant, nous ne sommes pas vierges. J'entends par-lˆ qu'ayant d´jˆ une certaine exp´rience de la vie, nous avons ´t´ amen´s par la force des choses ˆ avoir des avis sur ce qui nous entoure. Mais ces avis ne sont en fait que des opinions, des id´es que nous tenons pour vraies sans en avoir r´ellement analys´ la teneur et estim´ la valeur.

Ainsi, quand nous nous efforons de penser, cÕest-ˆ-dire ici de juger les choses avec justesse, deux choix s'offrent ˆ nous : rejeter l'opinion ou en faire une authentique pens´e en l'approfondissant et en la consolidant au moyen d'un raisonnement la justifiant. Nous refusons alors partiellement ou totalement de croire en cette opinion.

Pour illustrer ce propos, je ferai une fois encore r´f´rence ˆ Alain, qui dans ses propos du 16 juin 1923 et du 24 d´cembre 1927 disait respectivement : Ç ne point douter avant de savoir, car douter de quoi ? È et Ç si l'on veut n'tre pas esclave, il faut d'abord n'tre pas dupe, et r´sister en d´tail. Refuser de croire est le tout ; et ce refus d´finit assez l'intelligence È. Le premier propos explique que lÕon prenne l'opinion comme point de d´part, tandis que le second incite ˆ lÕexaminer avant soit de la rejeter soit de lÕadopter. Mettons que l'on veuille par exemple juger avec justesse de ce qu'il convient de faire lorsque l'on est malade : deux opinions, qui sont commun´ment d´fendues, s'offrent ˆ nous. Nous pouvons nous dire qu'il faut rester chez soi et se soigner, ou bien aller tout de mme ou travail ou, tout du moins, vaquer ˆ nos occupations habituelles. Ces deux opinions ne sont pas plus fausses l'une que l'autre, mais nous sommes tenus de les tenir ˆ distance pour les examiner. Aprs examen, on conclura ais´ment qu'il ne s'agit ni de se borner ˆ l'une dans tous les cas de figure, ni de se borner ˆ l'autre chaque fois que le choix se pr´sentera. Tout d´pendra par exemple du degr´ de gravit´ du mal dont on souffrira, des risques que lÕon encourra de lÕaggraver en ne sÕarrtant pas. L'examen accompli nous conduira avec bon sens ˆ nous dire que chacune des deux solutions peut tre valable, et que ce qui doit justifier notre choix n'est point lÕadh´sion ˆ l'une ou ˆ l'autre pour telle ou telle raison, mais plut™t notre ´tat du moment. C'est lˆ lÕexemple d'un jugement r´fl´chi qui a, en fait, transform´ en pens´e les deux opinions qui lui avaient servi de point de d´part.

Mais l'opinion peut se pr´senter sous plusieurs formes, soit, comme nous venons de le voir, sous la forme dÕun avis, commun´ment exprim´, mais aussi sous la forme dÕun point de vue personnel qui nous est sugg´r´. Dans lÕun et lÕautre cas, nous devons r´solument agir de la mme faon. C'est-ˆ-dire que, si quelqu'un nous pr´sente son opinion en nous disant ce qu'il convient de faire dans telle ou telle situation, nous devons r´agir comme suit : nous ne devons pas accorder plus de cr´dit ˆ cette affirmation que nous n'en aurions accord´ ˆ une opinion plus Ç publique È. Mais nous devons analyser cette opinion, et nous pourrons nous l'approprier, en faire notre pens´e, si nous sommes  d'accord , aprs r´flexion, avec le point de vue de notre conseiller. Si quelqu'un maintenant tente de nous convaincre, la situation est analogue, ˆ ceci prs que notre mentor nous guide dans les ´tapes de son raisonnement, ce qui n'´tait pas n´cessairement le cas dans la situation pr´c´dente. Mais alors mme quÕil tente de nous persuader, nous ne devons  pas c´der ˆ la tentation de le laisser jouer sur nos affects et les laisser prendre le pas sur notre propre r´flexion. Ainsi, comme dans le cas pr´c´dent, nous devons garder la tte froide et appr´cier le plus objectivement possible la justesse de ses consid´rations.

 

Cependant si nous avons vu que la pens´e peut consister en un refus total, partiel, ou temporaire de l'opinion, il est important de voir qu'elle relve ´galement en partie de lÕadh´sion. Partant de lÕid´e premire, de l'opinion, le fait de penser induit n´cessairement un refus, mais ce refus, il est important de le pr´ciser, est temporaire et garantit des bases solides dans l'´laboration de la pens´e en ceci qu'il la pr´serve des pr´jug´s arbitraires susceptibles de lÕinduire en erreur. Ceci souligne de nouveau l'importance d'un recul critique rendu possible par la r´flexion. Nous pouvons d'ailleurs, ˆ la lumire de ce que nous avons expliqu´ auparavant, dire qu'une pens´e qui n'est pas critique relve de l'opinion.

Le refus est bel et bien induit par la r´flexion comme nous l'avons montr´ plus haut, mais montrons maintenant son aspect temporaire sur un exemple. Si l'on veut savoir quel produit de vaisselle est le plus avantageux nous aurons affaire ˆ un refus majeur, celui de nous laisser influencer par la publicit´. Ce refus est dÕailleurs n´cessaire : comment ´tablir en effet quel produit est le meilleur ˆ partir de la seule publicit´ pr´sentant tous les produits comme ´tant les meilleurs ? Cet ´tat de refus sera n´anmoins temporaire, car une fois que nous aurons d´termin´ le bon choix ˆ faire, nous ne serons plus dans un ´tat de refus, nous nous contenterons de ne plus prter attention aux publicit´s ou autres sirnes pour suivre nos propres choix, ce qui est diff´rent du refus.

L'autre chose qui conduit ˆ dire que penser, cÕest aussi en quelque faon dire oui, adh´rer et c'est ce ˆ quoi la pens´e sÕefforce de tendre. En effet, lorsque l'on parvient ˆ une pens´e, nÕy parvient-on pas sous forme d'affirmation ? Quand on a trouv´ la solution ˆ un problme, on la retient comme ´tant la bonne, et on y adhre. C'est ce qui fait quÕalors nous arrtons de r´fl´chir, c'est-ˆ-dire que nous mettons un terme ˆ notre recherche. Reprenons notre raisonnement pr´c´dent. Lorsque l'on a finalement trouv´ le meilleur produit de vaisselle, on arrte, cela va de soit, de le chercher ! Pourquoi ? Parce que l'affirmation suivante est pr´sente en notre esprit : Ç C'est, tout bien consid´r´, le meilleur produit È. Le choix du produit t´moigne de l'aboutissement de notre recherche, car l'aurait-on achet´ si la pens´e m¸rement r´fl´chie que nous avons obtenue ne nous l'avait pas pr´sent´ comme ´tant le choix le plus judicieux ?

Maintenant que nous avons vu en quoi consistaient les actes de refus et d'affirmation constitutifs de la pens´e, il faut examiner le rapport entre eux. Examiner le rapport entre ces deux attitudes, c'est expliquer le processus qui r´git la pens´e. Nous allons donc maintenant analyser ce processus.

La pens´e consiste, nous l'avons vu tout d'abord, en un refus temporaire qui sert ˆ s'affranchir de toute opinion et ce refus lui permet de passer par un raisonnement salutaire. La pens´e peut, nous l'avons vu, partir d'une opinion, mais, ce faisant, elle procde avec distanciation. La distanciation prise, on peut alors trancher, juger, et ainsi se rapprocher du but ˆ atteindre par la pens´e en ´laborant un jugement juste, solidement ´tabli, ˆ ´gale distance du refus aveugle et de lÕadh´sion inconsid´r´e.

NÕest-ce pas ce que Platon, au commencement de la pens´e philosophique, sÕeffora dÕenseigner ? Son ma”tre, Socrate, sÕ´tait employ´ ˆ d´pister, d´noncer et terrasser lÕopinion, refusant dÕ´mettre lui-mme quelque avis que ce soit. Cela lÕa conduit ˆ la mort. Platon voulant donner ˆ lÕattitude critique de son ma”tre toute chance de survivre a  invent´ la dialectique, lÕart de sÕ´lever de pens´es partielles, unilat´rales, et relatives ˆ des id´es  ad´quates ˆ leur objet, claires et distinctes dira plus tard Descartes. Descartes ˆ son tour passera par un doute radical, mais dont la d´couverte de la pens´e ˆ lÕÏuvre en son sein lui permettra de d´finir les conditions de validit´ dÕune pens´e vraie. Ainsi semble-t-il donc devoir y aller de toute pens´e digne de ce nom. Nietzsche lui-mme d´crira, au seuil de son Zarathoustra, le cheminement de lÕesprit en le comparant aux m´tamorphoses qui ferait dÕun chameau, symbole de lÕadh´sion premire, irr´fl´chie, un lion, d´chirant ˆ belles dents les certitudes imm´diates, avant se de transformer lui-mme en enfant, capable dÕun oui sup´rieur ˆ la vie.

 

Nous avons vu ce qu'´tait globalement la pens´e. Pour r´pondre ˆ la question de savoir si penser cÕ´tait refuser les pr´jug´s, nous avons cern´ ce qui, dans la pens´e, requ´rait la n´gation, autrement dit le refus premier de toute affirmation. Alors nous sont apparus le caractre provisoire du refus ainsi que l'aspect d´cisif et final de l'affirmation, dans laquelle r´side la caract´ristique mme de la pens´e qui m'amnent ˆ dire ceci : si penser est dire non, dans une certaine mesure, penser est en dernier lieu un acte d'affirmation, qui n'existe en fait essentiellement quÕen tant que tel.

N´anmoins, en nous appuyant une nouvelle et dernire fois sur les propos d'Alain : Ç Le doute est partout ; un doute actif et fort, par quoi tout se tient debout. De lˆ vient la puissance d'attaque, et disons d'offense, de ces terribles pens´es ; mme quand elles posent, elles d´posent d´jˆ. Chacune va toujours au-delˆ d'elle-mme. È (14 juillet 1923), comment ne pas nous demander, finalement, si nos jugements peuvent tre d´finitifs, sÕil ne doivent pas au contraire faire l'objet d'un examen critique permanent, sans cesse renouvel´, dans la grande tradition socratique ? Sans cela ne finiraient-ils pas par retomber eux-mmes dans le domaine de l'opinion ?

 

14 septembre 2002,

Nicolas Simon, ´lve en Terminale L au Lyc´e  Saint Pierre Chanel de Thionville

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