Manon Lescaut Abbé Prévost (1731) De "J'avais marqué le temps de mon départ d'Amiens" à "et pour la rendre heureuse »
Publié le 14/04/2024
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Manon Lescaut
Abbé Prévost (1731)
De "J'avais marqué le temps de mon départ d'Amiens" à "et pour
la rendre heureuse »
Introduction : Ecrit en 1731 par l'abbé Prévost, Manon Lescaut
est le septième tome du roman Mémoires et aventures d'un
homme de qualité qui s'est retiré du monde.
Le narrateur, le
marquis de Renoncour, raconte dans ce volume sa première
rencontre avec Manon et le Chevalier des Grieux : la jeune
femme fait alors partie d’un convoi de prisonnières qu’on déporte
à la Nouvelle Orléans, en raison des délits qu’elles ont commis.
Il s’agit surtout de prostitution.
Ce convoi est suivi par un jeune
homme, Le Chevalier des Grieux, amoureux de Manon et prêt à
la suivre jusqu’en Amérique.
Le narrateur lui vient en aide, en lui
offrant de l’argent.
Deux ans plus tard, le marquis retrouve Des
Grieux, à Calais, alors qu'il revient d'Amérique après la mort de
Manon.
C’est alors qu’il prend la parole pour raconter toute son
aventure avec Manon.
La particularité de ce texte vient ainsi du
fait que Des Grieux, par ce récit rétrospectif prend du recul sur sa
première rencontre avec la jeune fille.
Comment cette première rencontre annonce-t-elle une passion vouée à l’échec, car bouleversant toutes les normes ?
Ier moment : La rencontre et le coup de foudre de Des Grieux
La rencontre a lieu à un moment décisif.
Cadet de sa famille, noble, Des Grieux est destiné à l'ordre de Malte (ordre
religieux) qui fera de lui le Chevalier Des Grieux.
Il vient de terminer ses études au collège d’Amiens et doit retourner
chez ses parents pour les vacances.
L’opposition entre le plus-que-parfait « J’avais marqué » et le regret traduit par
l’exclamative à l’imparfait « que ne le marquais-je !» qui reprend le même verbe montre avant même que le jeune
homme ne détaille l’événement, son caractère fatal, ce qu’appuie l’emploi de l’interjection « Hélas » entre les deux
phrases.
L’utilisation du conditionnel passé « j’aurais porté chez mon père » accentue ce regret.
De même, la précision
« la veille même de celui que je devais quitter cette ville » insiste encore sur le caractère presque incroyable de cette
rencontre.
La rencontre se fait de manière banale.
Des Grieux met en avant son désoeuvrement : « étant à me promener avec
mon ami, qui s’appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche d’Arras et nous le suivîmes », le passé simple marque
la rapidité des actions qui s’enchainent, tandis que la formule restrictive « ne…que », « nous n’avions d’autre motif
que la curiosité » dédouane le narrateur de toute intention définie.
Cependant l’apparition de Manon est mise en avant : Des Grieux signale d’abord « quelques femmes, qui se retirèrent
aussitôt », avant de leur opposer Manon.
L’emploi de « mais » (conjonction de coordination) souligne sa singularité,
d’autant que son comportement est différent : elle « s’arrêta, seule, dans la cour ».
(opposition
mouvement/immobilité ; multiplicité/ unicité) La qualité principale de Manon est évoquée aussitôt : elle est « fort
jeune ».
Elle est à l’inverse accompagnée « d’un homme d’un âge avancé » sans qu’on sache exactement de qui il
s’agit, ni même quel est son rôle exact.
Pour parler de lui, Des Grieux utilise le verbe « paraître » (« il paraissait lui
servir de conducteur »), mais le fait est que ce personnage disparaît aussitôt.
Le point de vue subjectif du chevalier se
manifeste dans cette éclipse de tous les autres personnages présents (Tiberge compris).
Ne restent que Des Grieux et
Manon.
Cette rencontre est un bouleversement pour le jeune homme, qui mentionnait à la deuxième ligne son « innocence ».
Il
s’agit bien d’une métamorphose, évoquée par une longue phrase, construite autour d’une proposition principale qui
insiste sur Manon, avec l’emploi du terme de « charmante » au sens fort (qui charme, qui envoûte).
Les trois
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propositions relatives, qui définissent Des Grieux avant cette rencontre sont construites en crescendo : "moi, qui n'avait
jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d'attention, moi, dis-je, dont tout le monde
admirait la sagesse et la retenue" et dessinent le portrait d’un jeune homme modèle, satisfaisant autant sa famille que
la société autour de lui.
La rupture est mise en évidence par la proposition consécutive « je me trouvai enflammé tout
à coup jusqu’au transport ».
On note la rapidité (passé simple, « je me trouvai » ; adverbe temporel « tout d’un
coup ») et la violence avec la métaphore « enflammé » et l’hyperbole « jusqu’au transport.
De fait les conséquences
de cette métamorphose sont immédiates : les défauts de Des Grieux, mentionnés au passé « J’avais le défaut d’être
excessivement timide et facile à déconcerter » sont aussitôt balayés.
« Je m’avançai vers la maîtresse de mon
cœur » marque le début des aventures du jeune homme : le mouvement traduit son choix et l’implique totalement
(« m’avançai » et non « avançai »), tandis que Manon, dont l’identité est encore inconnue est désignée comme
« maîtresse de mon cœur », indice de la soumission déjà définitive de Des Grieux à sa passion.
2ème moment : le dialogue entre Des Grieux et Manon, le début d’une liaison
Un dialogue s’instaure ensuite entre les deux personnages, rapporté tantôt par le discours indirect : « je lui demandai »,
« elle me répondit », « Elle me dit », « je l’assurai que », tantôt par un discours narrativisé...
», « je combattis la
cruelle intention… », « je lui parlai d’une manière… ».
L’alternance des réponses permet de voir l’intimité qui
s’instaure progressivement entre les deux jeunes gens.
La jeunesse initiale de Manon est d’abord réaffirmée par l’expression « encore moins âgée que moi ».
Compte-tenu de
la chronologie du roman, elle semble être ici âgée de 16 ans, soit plus jeune de deux ans par rapport à Des Grieux.
A la
première interrogation de celui-ci, elle répond "ingénument", cet adverbe appuyant l'impression de jeunesse qui se
dégage du personnage.
La litote « elle reçut mes politesses sans en paraître embarrassée » est ambigüe : confirme-telle la naïveté de la jeune fille, ou suggère-t-elle qu’elle est habituée à ces « politesses » de la part d’inconnus ? Sa
réponse aux questions du jeune homme met en avant deux instances dominantes, d’un côté sa famille, de l’autre la
religion.
Elle est destinée au couvent par ses parents, de la même manière que Des Grieux....
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