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moindre son.

Publié le 08/12/2021

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moindre son. Au cours de l'action -- en septembre 1942 -- qui a duré trois jours, 600 à 700
enfants ont été tués, et 800 à 900 adultes. Krasel Streifer, qui avait à peu près 70 ans, a été
abattue dans son lit, parce qu'elle ne pouvait pas marcher. Ma belle-mère, Jenta Gelernter,
âgée de 71 ans, est morte aussi à ce moment-là. Elle a été traînée hors de son lit en chemise de
nuit ; ils ne l'ont pas autorisée à mettre autre chose. Ils l'ont abattue près de la mairie parce
qu'elle ne marchait pas assez vite. Le reste des Juifs qui avaient été capturés, environ 2 000, a
été envoyé à Belzec. Pendant le trajet, Stem s'est échappée du train. Elle nous a raconté que
d'autres gens s'étaient échappés eux aussi. Elle nous a ensuite expliqué que pendant le trajet,
dans une gare, je ne sais plus où, ils avaient lâché de la vapeur brûlante dans un wagon et les
gens avaient été brûlés, s'étaient évanouis et avaient étouffé. Les gens étaient terriblement
assoiffés et la situation était particulièrement pitoyable pour les enfants qui mouraient de faim
et de soif. Mme Stem a sauté du wagon, laissant derrière elle sa fille âgée de quatre ans. Cette
même Mme Stem avait été attrapée dans un abri, qui avait été repéré à cause des cris et des
gémissements de son enfant de deux ans. Lorsqu'ils avaient entendu les Allemands et les
Ukrainiens s'approcher, les gens qui étaient dans l'abri avec Mme Stem avaient commencé à lui
dire qu'ils allaient se faire prendre à cause de son enfant. Elle l'avait alors couvert avec un
oreiller et lorsque l'abri avait été finalement découvert, l'enfant était mort, suffoqué. Les
Siczowcy ukrainiens, unités paramilitaires assistant les SS, avaient été envoyés de Drohobycz
pour participer à la seconde action. Pendant la marche jusqu'à la gare de Bolechow pour être
transportés à Belzec, les gens devaient chanter, notamment la chanson « Ma Petite Ville de
Belz ». Qui refusait de chanter était battu jusqu'au sang sur les épaules et la tête, à coups de
crosse de fusil.
 
Voilà une esquisse du genre de choses qui se sont passées pendant la seconde Aktion, épisode
minuscule de l'Opération Reinhard - dont l'un des buts, les rapports le montrent, était de faire
des Generalgouvernement des territoires Judenrein, débarrassés des Juifs, à temps pour le
dixième anniversaire de la prise du pouvoir par Hitler en 1933, même si l'autre but, peut-être
plus important encore, était d'éviter aux hommes de la SS le traumatisme psychologique d'avoir
à abattre des enfants de l'âge de Bronia, la cousine de ma mère, ou des femmes un peu rondes,
très chaleureuses, très sympathiques, comme Tante Ester ; on peut supposer qu'il n'était pas
trop traumatisant d'avoir à abattre un homme de quarante-sept ans comme Oncle Shmiel, un
homme qui avait porté les armes et combattu pour l'empereur, après tout. Je me suis souvent
demandé, depuis la première fois que Jack Greene m'a appelé et que j'ai pu concentrer mon
image mentale sur la mort de Ruchele Jäger - et depuis que j'ai commencé à lire
systématiquement la littérature sur l'Opération Reinhard -, si celui qui l'avait tuée en fait, qui
se servait de la mitrailleuse perchée quelque part à une certaine distance de la planche audessus de la fosse, avait ressenti un traumatisme psychologique, même si je sais que la
probabilité est faible. Mais il est important d'essayer de penser à ça, au moment précis du tir,
parce qu'en dépit du fait que nous avons pris l'habitude de penser à la tuerie en termes
d'« opération », d'Aktion et de chambre à gaz, il y avait toujours (et c'est plus facile à imaginer
dans le cas d'un coup de feu, où le lien qui unit le doigt qui appuie sur la détente et les balles
aux cibles, et aux morts qui en résultent paraît si évident, si direct) un individu qui était là pour
le faire, et c'est aussi important à imaginer - j'ai failli dire « à se remémorer » -, je crois, que
d'essayer de sauver quelque chose de la personnalité ou de l'apparence physique d'une seule
victime, d'une fille de seize ans dont vous ne saviez absolument rien jusqu'à ce que vous vous
mettiez à parcourir de vastes distances pour parler à des gens qui l'avaient connue.
C'était donc, disais-je, une esquisse de ce à quoi avait ressemblé la seconde Aktion, plus ou

moins.
Mais avant que j'en vienne aux morts de Shmiel, d'Ester et de Bronia, il me paraît juste de
tenter d'imaginer comment ils étaient lorsqu'ils étaient encore en vie.
 
 

De Shmiel, évidemment, nous savons un peu de choses, au point où nous en sommes. En effet,
après avoir parlé à Jack et aux autres, j'ai l'impression que je peux l'imaginer très clairement,
par exemple ce jour des années 1930 où l'une des photos que je connais si bien a été prise :
traversant le centre de la ville - vous l'appelez le Ringplatz, si vous êtes, comme lui, assez âgé
pour être né sujet de l'empereur François-Joseph ; c'est le Rynek pour ses enfants, les quatre
filles superbes qui sont nées après la Grande Guerre et qui sont par conséquent polonaises, se
considèrent pleinement comme telles jusqu'à ce qu'il devienne évident qu'elles se sont
trompées - le voilà, traversant le Ringplatz, le Rynek, en route vers sa boutique, dirigeant du
cartel des bouchers, plus grand que vous ne vous en souveniez, bien habillé dans un costume à
gilet, comme celui qu'il porte sur cette photo que j'ai, datée de 1930, marchant d'un pas
déterminé sur un trottoir de la ville. Je peux donc le voir dans ma tête, vêtu de ce costume-là
ou bien d'un costume comme celui qu'il porte sur cette photo qu'il a envoyée en guise de
souvenir à l'occasion de son quarante-quatrième anniversaire en avril 1939, celle où il pose
avec ses chauffeurs, les deux frères, à côté d'un de ses camions, en commerçant qui a réussi,
avec son cigare et sa montre à gousset en or. Je peux le voir. Le voilà, grand (sa deuxième fille,
Frydka, était grande elle aussi), prospère, un peu suffisant peut-être, ne marchant pas trop vite
parce qu'il veut s'arrêter pour saluer tout le monde avec cet air un peu grand seigneur si
répandu dans la famille, relique d'une époque plus faste, comme s'il était en effet le król, le
roi, comme l'appellent discrètement, à la fois par affection et par moquerie, certaines
personnes, et naturellement il le sait, tout le monde sait tout sur tout le monde dans cette
petite ville, mais il s'en fiche. Sa vanité en est même secrètement flattée : après tout, il est celui
qui a choisi de rester dans cette ville, quand il aurait pu facilement partir ailleurs, précisément
parce qu'il voulait un mâcher, un roi dans son village. Et pourquoi ne pas se réjouir d'être
appelé le król, quel que soit le ton employé par ceux qui vous appellent ainsi ? Le voilà donc,
marchant, faisant son important, un homme qui aime qu'on le remarque, qui se réjouit d'être
quelqu'un dans sa ville, qui a très probablement pensé, jusqu'au bout, que revenir de New York
à Bolechow a été la meilleure décision qu'il ait jamais prise.
Plus tard, les choses se sont compliquées, et c'est à cette période difficile qu'appartient le
Shmiel des lettres, figure frappante, même si elle est un peu moins attirante que la précédente
plus grandiose, un homme d'affaires entre deux âges, prématurément blanchi, le frère, le
cousin, le mishpuchah de ses nombreux correspondants à New York qu'il a été obligé, avec le
temps, de supplier, de haranguer, de cajoler de façon désespérée et, il faut le dire, un peu
pathétique quand il essayait de trouver un moyen de sauver sa famille ou une partie de sa
famille, les enfants, et même une seule fille, la chère Lorka (pourquoi elle ? Parce qu'elle était
l'aînée ? Parce qu'elle était la préférée ? Impossible de le savoir à présent).
En tout cas, il est encore possible d'entendre la voix de Shmiel à travers ses lettres. D'Ester, il
reste très peu désormais - parce que, il y a des années, dans l'appartement de mon grand-père
ou de quelqu'un d'autre à Miami Beach, je n'ai pas voulu parler à l'effrayante Minnie Spieler,
qui était, je m'en suis rendu compte trente ans plus tard, la soeur d'Ester, puisque je n'avais pas
pensé à le lui demander, ne la trouvant pas suffisamment intéressante. Ayant maintenant parlé

à toutes les personnes encore en vie qui ont eu l'opportunité de voir et de connaître Tante
Ester, même de façon vague, je peux établir qu'il ne reste pratiquement rien de cette femme, à
part quelques photos et le fait qu'elle était très chaleureuse et sympathique. (Une femme, je ne
peux m'empêcher de le penser en considérant l'annihilation de son existence - annihilation
peut sembler excessif, au premier abord, mais j'emploie ici le terme au sens étymologique de
réduire à rien -, qui serait morte, selon le cours naturel des choses, de, disons, un cancer de
l'intestin dans un hôpital de Lwów en, peut-être, 1973, à l'âge de soixante-dix-sept ans, même
s'il est impossible d'imaginer, parce qu'elle est morte si jeune et il y a si longtemps, qu'elle
puisse avoir la moindre prétention sur le présent en appartenant si absolument au passé. Et
pourtant il n'y a aucune raison, à part la plus évidente, pour qu'elle n'ait pas été une personne
que j'aurais pu connaître, quelqu'un comme toutes ces autres mystérieuses personnes âgées
qui apparaissaient aux réunions familiales quand j'étais enfant ; tout comme les quatre filles,
qui seront toujours jeunes, auraient été les « cousines polonaises » entre deux âges que nous
serions allés voir un été, disons, dans le milieu des années 1970, mes frères, ma soeur et moi.
Quand j'ai fait part de cette étrange idée à mon frère Andrew, il est resté silencieux un moment
et il a dit, Ouais, ça te fait penser que l'Holocauste n'est pas quelque chose qui a simplement eu
lieu, mais que c'est un événement qui est toujours en cours.)
Il reste donc très peu sur la face de la terre aujourd'hui - une face que j'ai regardée souvent
d'en haut, pendant les voyages que j'ai faits pour découvrir quelque chose à son sujet - de ce
qu'a été Tante Ester pendant les quarante-six ans où elle a vécu, avant qu'elle disparaisse au
cours des premiers jours de septembre 1942. Elle était très chaleureuse, très sympathique,
avait dit Meg, le jour où nous nous étions réunis dans l'appartement de Jack et de Sarah
Greene. Quelques jours plus tard, lorsque finalement, après de grands efforts de ma part pour
la convaincre et la cajoler, Meg a consenti à me rencontrer en tête à tête dans l'appartement
de son beau-frère, je lui ai demandé de me donner une idée de ce qu'une femme au foyer très
chaleureuse et très sympathique de Bolechow pouvait bien faire de son temps, juste avant que
la guerre change
Meg est restée silencieuse un moment, pendant quelle réfléchissait.
En hiver, a-t-elle dit, les nuits étaient très longues. Chez nous, ils avaient l'habitude de jouer aux
cartes, mon père et ses amis. Et les dames faisaient du crochet et du tricot. Surtout de la
broderie. C'était le passe-temps. Les parents jouaient aussi au bridge et aux échecs.
La maison des Jäger était toujours très bien tenue, a-t-elle ajouté un peu après.
Et puis, vers la fin de notre conversation, elle a répété ce qu'elle avait dit plusieurs jours
auparavant à propos de la mère, décédée depuis longtemps, de son amie intime, Frydka Jäger.
Sa mère était très agréable, a-t-elle dit. Elle avait une personnalité joyeuse, sa mère, a-t-elle
dit - même si je dois ajouter que lorsque Meg, au cours de cette seconde et ultime
conversation, a évoqué la personnalité d'Ester (à qui, je peux le dire désormais avec certitude,
manquera toujours le détail révélateur, l'anecdote vivante - lequel d'entre nous ne se
souviendra pas des mères de ses camarades de lycée comme de femmes sympathiques et
joyeuses ?), c'était pour établir quelque chose à propos de Frydka, son amie.
Frydka était comme sa mère, a dit Meg ce jour-là. Lorka était un peu plus... Elle était différente.
Comment ça, différente ? ai-je insisté.
Meg est restée silencieuse.

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