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Louis ARAGON: La Diane française, « Elsa au miroir

Publié le 19/05/2020

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C’était au beau milieu de notre tragédie Et pendant un long jour assise à son miroir Elle peignait ses cheveux d’or je croyais voir Ses patientes mains calmer un incendie C’était au beau milieu de notre tragédie Et pendant un long jour assise à son miroir Elle peignait ses cheveux d’or et j’aurais dit C’était au beau milieu de notre tragédie Qu’elle jouait un air de harpe sans y croire Pendant tout ce long jour assise à son miroir Elle peignait ses cheveux d’or et j’aurais dit Qu’elle martyrisait à plaisir sa mémoire Pendant tout ce long jour assise à son miroir A ranimer les fleurs sans fin de l'incendie Sans dire ce qu’une autre à sa place aurait dit Elle martyrisait à plaisir sa mémoire C’était au beau milieu de notre tragédie Le monde ressemblait a ce miroir maudit Le peigne partageait les feux de cette moire Et ces feux éclairaient des coins de ma mémoire C’était au beau milieu de notre tragédie Comme dans la semaine est assis le jeudi Et pendant un long jour assise à sa mémoire Elle voyait au loin mourir dans son miroir Un à un les acteurs de notre tragédie Et qui sont les meilleurs de ce monde maudit Et vous savez leurs noms sans que je les aie dits Et ce que signifient les flammes des longs soirs Et ses cheveux dorés quand elle vient s’asseoir Et peigner sans rien dire un reflet d’incendie © Éditions Seghers. I. Questions (4 points) 1. Quelle est la tonalité du poème? Justifiez votre réponse. (1 point) 2. Quelle figure de style structure les cinq derniers vers du poème? Quel effet produit-elle? (1 point) 3. Relevez les cinq termes récurrents à partir desquels le poème s'organise et se développe. Justifiez votre choix. (2 points) II. Commentaire composé (16 points) Vous présenterez un commentaire composé de ce poème. Devoir rédigé I. Réponses aux questions d’observation 1. Ce poème est empreint d’une tonalité lyrique dans la mesure où il traduit le désir amoureux du poète pour Elsa à travers un éloge de celle-ci, mais aussi le sentiment de vivre «une tragédie», celle de la Seconde Guerre mondiale. L’évocation d’Elsa par la thématique traditionnelle de la chevelure («ses cheveux d’or») montre la fascination éprouvée par le poète et confère à Elsa le rôle d’une muse médiatrice, tandis que la répétition de mots comme «incendie», «tragédie», et la comparaison du vers 18 («Le monde ressemblait à ce miroir maudit») signalent la présence d’une menace inquiétante. Ainsi, se trouvent mêlés les deux thèmes majeurs du lyrisme, l’expression de l’amour et de la mort. La présence d’une «harpe» rappelle d’ailleurs discrètement le mythe d’Orphée, fondateur de la poésie lyrique. 2. Les cinq derniers alexandrins du poème développent une anaphore bâtie sur la répétition de la conjonction de coordination «et» en tête de vers. La présence répétée de ce terme, outre l’effet rythmique et sonore qu’elle provoque, marque la dernière étape du poème, celle d’un constat amer où Aragon énumère les motivations profondes de son poème : chanter son amour pour Eisa mais ne pas oublier ceux qui souffrent, ceux qui meurent dans ce temps de guerre et dont l’action et la mémoire ont besoin d’être chantées. L’anaphore, figure d’insistance, permet aussi au poète de rappeler que dans de telles conditions il ne peut pas y avoir d’amour heureux, tout en adressant directement aux lecteurs le signe d’une connivence et d’une résistance discrète («Et vous savez leurs noms sans que je les aie dits / Et ce que signifient les flammes des longs soirs »). 3. L’organisation et le développement du poème s’appuient sur la récurrence des termes suivants : «tragédie» qui apparaît dans trois quintils et deux distiques; «miroir» et «cheveux » utilisés dans trois quintils et un distique; «incendie» et «mémoire» présents dans deux quintils et un distique. Ces multiples répétitions sont placées au sein d’alexandrins dont la...

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