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Littérature du Moyen-Age -Yvain ou le Chevalier du dragon, l'arrivée du géant Harpin

Publié le 26/12/2023

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« Littérature française du Moyen-Age T1GF511 Yvain ou Le Chevalier au lion, Commentaire de texte vers 4081-4138 Avant de se pencher plus en détail sur l’épisode de la rencontre entre Harpin et Yvain, il paraît nécessaire de rappeler quelle place celui-ci tient dans la structure de l’œuvre.

Au même titre que l’épisode de Pesme-Aventure, celui-ci sert de retardataire à l’intrigue principale, visant à faire augmenter la tension chez le lecteur quant à savoir si Yvain arrivera à temps pour secourir Lunette du bûcher, ou si cette dernière devra mourir pour expier ses propres fautes.

Ainsi, alors qu’il est attendu ailleurs, Yvain se fait supplier par le seigneur, dont les six fils sont retenus en captivité et dont deux déjà sont morts, de sauver sa famille et de le débarrasser du monstre qui les terrifie depuis qu’il lui a refusé la main de sa fille.

Les indices temporels sont ainsi nombreux à signifier à la fois l’attente et le départ « neporquant ancor ne se muet » (v.

4081).

A la manière d’un Héraclès face à l’un de ses douze travaux, la confrontation avec ce premier géant paraît inévitable, et sert d’étape à la réintégration du héros dans le monde des hommes, d’épreuve promouvant son courage, son cœur et ses qualités de chevalier face à la brute sanguinaire et violente qu’est Harpin secondé de son nain-crapaud diabolique.

Néanmoins, nous verrons que si le géant semble être dans un premier temps l’exemple stéréotypé du monstre sauvage, l’être de la forêt exclu de la société, Chrétien de Troyes a disséminé dans son récit quelques indices qui peuvent nous faire voir en cette créature assoiffée de vengeance une image critique de la chevalerie du XIIe. I. Un géant bestial Lors de la rencontre entre Yvain et le géant, l’opposition entre les deux personnages est flagrante.

Tout chez Harpin rappelle la bestialité, la primitivité et l’instinct sauvage, par exemple les guenilles qu’il porte en guise de vêtements, si « sales et ordes » (v.

4093) que personne n’en voudrait.

L’idiome familier qui désigne l’habilement d’Harpin « n’avoient pas vestu de robe vaillant un festu » (vv.

4089-4090) rappelle ainsi celui du pain âcre qu’Yvain goute chez l’ermite lors de son errance dans le bois, qui « n’avoit mie XX solz costé » (p.

288, v.

2848) et qui avait un goût particulièrement âcre.

Si le pain, pour 20 sous, était si rance, alors les vêtements d’Harpin, qui ne valent même pas un brin de paille, doivent en effet être dans un état de négligence extrême.

De plus, l’instrument qui lui sert d’arme pour la bataille à venir, « un pel […] grant et quarré, agu devant » (v.

4086-4087), sorte de long pieu en bois affuté à l’extrémité, lance tribale rudimentaire à mille lieux de la parure de chevalier d’Yvain : épée, écu, haubert, tous forgés par l’homme dans le métal et donc produits de l’inventivité humaine (en opposition à son pieu en bois, matériau naturel et brut).

Ainsi, Harpin se présente de prime abord comme un géant animal, proche de la nature et de sa sauvagerie, en complète opposition avec la figure du chevalier qu’est Yvain.

A certains égards, le personnage d’Harpin peut même rappeler celui du rustre de la forêt que rencontre Calogrénant lors de son récit, « uns vileins […] laid et hideus a desmesure » (p. 158, vv.

286-287) qui attend sur son tronc d’arbre avec « une grant maçue en sa main » (p.

158, v.

291). Le gigantisme d’Harpin est donc matérialisé par des clichés relatifs à son habitat (l’homme de la forêt, 1 Lisa Waldvogel [email protected] N° 22108919 du monde sauvage, son bâton à la main, à l’aspect belliqueux), bien que sa description physique ne soit pas aussi rigoureuse que celle du rustre. Derechef, la cavalcade suivant Harpin n’est que le reflet monstrueux du géant : la comparaison du « nains fel comme boz anflez » (v.

4097) ne fait qu’accentuée le lien avec l’animalité et le vice des assaillants.

Le « boz », le crapaud, est en effet un animal fortement infernalisé tout au long du MoyenAge, en liens étroits avec le diable et la sorcellerie.

Déjà dans la tradition antique, le crapaud était un animal méprisé, synonyme de laideur, de pestilence et de venimosité, associé aux grenouilles et à l’apocalypse qu’elles provoquent.

Cependant, avec l’essor du monde chrétien, l’animal devient dans l’imaginaire collectif médiéval complètement négatif, au même titre que le serpent qu’affronte Yvain pour sauver son lion : ils sont des émissaires du diable, répandant péchés et vices autour d’eux.

L’animal laid, vénéneux et tellurique de l’Antiquité devient dès lors un animal chtonien, en lien avec la mort et la magie (la sorcellerie étant à la fois source de fascination et de terreur dans la société médiévale) et comme le rappelle très justement Jacques Berlioz dans sa thèse dédiée aux animaux médiévaux1, le crapaud devient par procuration « l’instrument de la justice divine pour supplicier les hommes avides d’argent, de pouvoir de pouvoir et de sexe.

Car orgueil, avarice et luxure participent bien d’une même avidité (en latin gula) ».

Ainsi, avec la tradition médiévale, le crapaud se part de tout un imaginaire du mal, avec une multiplicité des légendes autour de ses pouvoirs, qu’il soit synonyme de gloutonnerie, de luxure, de pestilence ou de cultes infernaux.

Dans le cas du péché d’orgueil, le crapaud se gonflerait ainsi au-delà de l’imaginablement, comme cela semble être le cas chez Chrétien de Troyes ( « boz anflez » (v.

4097) ), ajoutant à l’aspect hideux du nain un aspect moral que le lecteur médiéval devinait ainsi perverti, avili, pernicieux.

De plus, sa nature de « nains » (v.

4097) nous laisse deviner sa position subalterne, comme le rappelle Laurence Hélix2 « De façon générale, à l’exception d’une vingtaine de nains chevaliers à la fois riches et nobles, les nains des récits arthuriens sont au service d’un personnage plus influent qu’eux », servant ainsi de serviteur/palefrenier à Harpin.

Toujours selon Hélix, ce serait là un phénomène de dédoublement, le maître obtenant les caractéristiques de la puissance, de la richesse, alors que le nain hériterait des caractéristiques physiques très reconnaissables, dont son extrême laideur. Une telle dichotomie peut s’expliquer par un intérêt littéraire évident pour Chrétien de Troyes, puisque l’arrivée d’Harpin et du nain, comme un duo de cavaliers de l’apocalypse tout droit sortis de l’antre de l’enfer, rajoute un potentiel dramatique puissant, qui aurait être moindre si Harpin n’avait pas été accompagné.

Cette répartition des fonctions se reconnaît dans le texte, puisque le nain ne combattra pas Yvain, contrairement au géant dont la fonction dramatique est précise et fixée.

Il est l’ennemi du combat BERLIOZ, JACQUES.

Le crapaud, animal diabolique : une exemplaire construction médiévale.

In : L’animal exemplaire au Moyen Age (Ve-XVe siècle).

Presses universitaires de Rennes, 1999, p.

267-288 ⟨consulté ici : hal03290938 2 HELIX, LAURENCE.

Le nain et autres figures de la miniaturisation de l'humain.

In : Le nain des romans arthuriens : une merveille très raisonnable.

Revue d'études culturelles, Dijon, 2006, chap., pp.95-106.

⟨consulté ici : hal-02926461⟩ 1 2 Lisa Waldvogel [email protected] N° 22108919 chevaleresque, une des épreuves qu’Yvain doit accepter pour gagner le salut de la dame de Landuc.

Le nain est, quant à lui, hors de l’action: pour preuve le fait qu’il soit anonyme, et que sa seule fonction se résume à faire avancer les chevaux de traie, avec une brutalité dont il tire grand plaisir.

Ses « III roncins qui clochoient / meigres et foibles et redois » (vv.

4094-4095) que le nain-crapaud attache « coe a coe » (v.

4098) pour les battre jusqu’au sang à l’aide d’une « corgiess a VI neuz » (v.

4101) semble être la seule chose ayant valeur à ses yeux, puisqu’il ne prend aucune part au combat opposant son maître à Yvain.

Sa fonction n’est ainsi pas dramatique, puisque sa présence/absence ne change rien au déroulement de l’action, mais est bien purement personnelle, individuelle.

Selon Chantal Verchère3, c’est dans cette mesure que l’on peut qualifier son personnage comme périphérique: « il se définit surtout en relation avec une réalité dramatique ou psychologique extérieure à lui : il la croise et la traverse sans s'y arrêter, emportant le secret des motivations qui l'ont poussé à agir », à la même manière des demoiselles qu’Yvain rencontre. Derechef, sa violence gratuite et inutile est une fois encore diamétralement opposée aux manières d’un chevalier tel qu’Yvain, qui se doit de respecter et de choyer son destrier en toutes occasions (comme le fait Yvain, qui s’assure toujours que son cheval soit à l’abri et nourri de bon seigle, avant même de s’inquiéter de son propre sort).

En réalité, le nain semble ainsi être tellement débauché, tellement sadique dans ses tortures, qu’il en vient à prendre ses actes comme une prouesse, une action normalement réservée aux chevaliers, ou en tout cas aux hommes de haut rang, et signe extrême de vaillance, de bravoure et de courage : « don molt cuidoit feire que preuz / les.... »

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