Les Fausses Confidences de MARIVAUX

« Les Fausses Confidences de MARIVAUX Il est des réputations flatteuses qui desservent ceux qui en sont l'objet, car elles les cachent derrière une légende.Marivaux en est un des exemples.

Tout ce qu'on reconnaît de qualités à son théâtre, la légèreté, la subtilité,l'élégance, lui font risquer de passer pour gratuit, superficiel, artificiel — ce qu'il n'est pas.

Ce jugement ne date pasd'hier : ses contemporains, tout en l'appréciant, disaient du théâtre de Marivaux qu'il raffine à l'excès sur dessentiments trop subtils.

Ainsi, de l'extérieur, une pièce comme Les Fausses Confidences peut apparaître légère etsans gravité : c'est en fait une pièce féroce dont Jouvet disait que les ressorts dramatiques sont «une insulte à ladignité humaine».On peut aujourd'hui imaginer trop vite que cette pièce d'un âge en dentelles ne contient que des situationsdépassées, et sans plus aucun rapport avec nos préoccupations modernes : c'est au contraire une des pièces lesplus proches de nous et de notre époque, où l'information sert plus souvent à orienter les conduites qu'à leséclairer.On peut croire encore que c'est une pièce où l'amour triomphe conventionnellement après les péripéties et obstaclesde rigueur : mais c'est une pièce qui montre comment on peut influer sur toutes les situations et téléguider les gensà son gré contre le leur — et notamment, parvenir à faire en sorte qu'une femme veuille épouser le soir quelqu'undont elle ignorait jusqu'à l'existence le matin, en s'étant crue libre à chaque instant, et en ayant en fait étémanipulée sans cesse.Enfin, on peut penser que Marivaux a illustré les divertissements d'une société d'oisifs occupés à badiner sur leurssentiments, et que donc ce théâtre ne peut plus être proche de nos préoccupations : erreur tout aussi profondeque les précédentes.

Les Fausses Confidences sont une pièce où, de la manière la moins déguisée et la plus nette, ilest continuellement question des sujets les plus contemporains : d'argent et d'influence secrète.

Les complots et larage d'arriver à ses fins qui sous-tendent tout ne dépareraient pas le monde « impitoyable » des affaires modernes. Le sommet d'une carrièreLes Fausses Confidences sont la vingt-cinquième comédie de Marivaux.

Nous sommes en 1737; Pierre Carlet, qui sefait appeler Marivaux, a quarante-neuf ans, et il est au sommet de sa carrière.

Il est né en 1688, onze ans après lacréation de la Phèdre de Racine, et quinze ans après la mort de Molière.

Autrement dit, né juste après la culminationde l'âge classique, il représente à sa maturité une époque déjà fort éloignée du classicisme, bien plus que nous nepouvons nous le représenter d'emblée aujourd'hui.

Il y a 64 ans de distance entre Le Malade imaginaire et LesFausses Confidences, c'est-à-dire autant, par exemple, qu'entre Le Cirque de Chaplin (1928) et Les Visiteurs(1992).A sa première représentation, le 16 mars 1737, sous le titre La Fausse Confidence, la pièce ne plaît guère.

Elleconnaîtra un regain de faveur quelques années plus tard, et avec le temps s'imposera bientôt comme une des piècesde Marivaux préférées du public.

De nos jours, en particulier, il n'est pas niable que la pièce a un pouvoir de captiverqui non seulement reste intact, mais s'est accru, à cause de ce qui se pratique quotidiennement en matière depersuasion par l'information.

Comédie, certes, c'est-à-dire pièce où il est question d'amour et de mariage à la fin,Les Fausses Confidences sont une pièce où l'action avance par le moyen de l'information truquée, et de lamanipulation de certains des personnages par d'autres.Il faut appeler les choses par le nom que chaque époque leur fait mériter : la pièce que Marivaux a pu appeler LesFausses Confidences en 1737 s'appellerait aujourd'hui Lintox, La Manip, La Désinformation, ou Le Montage.

Commetelle, elle est véritablement captivante d'un bout à l'autre des deux heures de sa représentation. L 'intrigueDorante est introduit chez une riche et jeune veuve, Araminte, par son ancien valet Dubois.

Au service d'Araminte,dont il a toute la confiance, Dubois s'occupe des intérêts de son précédent maître.

Dorante, jeune et beau, estamoureux d'Araminte, mais il est sans ressources.

Dubois veut faire le bonheur et la fortune de Dorante.

Il se vantede pouvoir faire en sorte que sa maîtresse, alors qu'elle ne connaît pas Dorante, d'abord éprouve de l'amour pour lui,et ensuite se l'avoue, le lui avoue et enfin l'épouse.Dorante est présenté à Araminte comme son futur régisseur.

Autour d'Araminte, on trouve Marton, sa suivante(personne attachée à son service, pour lui offrir son aide et sa compagnie).

Araminte est en passe d'épouser lecomte Dorimont, tout en ayant avec lui un différend financier concernant leurs propriétés respectives.

Leur mariagerésoudrait leur conflit : c'est l'opinion bien arrêtée de la mère d'Araminte, Madame Argante, qui cherche par tous lesmoyens à faire évoluer la situation dans ce sens.

Elle est donc a priori défavorable à toute personne risquant decompromettre sa façon de faire évoluer la situation.Dorante, de son côté, est protégé par son oncle, Monsieur Rémy, qui veut aider à sa manière son neveu à réussir :maislui ignore tout de l'amour de Dorante.

Il le fiance à Marton.Dubois, dès le début de la pièce, nous annonce qu'il va contrôler de bout en bout la succession des événementscomme il l'entend.

Sa ruse consiste simplement à révéler à Araminte l'amour que Dorante éprouve pour elle, commepour lui rendre service et lui signaler de se méfier de lui.

Mais il le fait en sachant très bien qu'Araminte va ainsiporter de l'intérêt à ce jeune homme.Tout au long de la pièce, il multipliera les situations propres à rapprocher Araminte de Dorante, de façon à lui laissercroire qu'elle agit de son plein gré ; il organisera des événements à l'apparence fortuite (livraison d'un portrait, parexemple), mais qui tomberont tous au moment où ils auront le plus d'efficacité en faveur de Dorante.

Il réussira. »