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Les créateurs de langues

Publié le 09/12/2021

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J'aimerais qu'avant d'entrer dans la lecture de ce chapitre on mesurât bien la nature de son objet. Créateurs de langues n'est pas une expression dont le sens aille de soi, et si nous devions la prendre dans sa rigueur, Dante ni Pétrarque pas plus que Villon ni Calvin ne mériteraient ce titre. Il n'y a pas longtemps (au regard de l’histoire), en effet, que l'on travaille, en linguistique, sur une notion claire de la langue. On doit à Ferdinand de Saussure de l'avoir précisément définie, et sa marque est de ne retenir aucun trait singulier de la parole ou des manières d'écrire individuelles. Dans la perspective saussurienne, la langue est un système hautement abstrait de références, valable pour l'ensemble des hommes qui parlent le même idiome. Son effet est tel qu'à un moment donné, sur un certain espace géographique, tous les individus qui y participent s'entendent sans la moindre gêne. Il en résulte que, pour les linguistes, les faits de parole n'ont point par eux-mêmes de valeur significative. Seule, une extension générale, souvent fortuite, leur en confère une quand, à son terme, le système se trouve altéré. De ce point de vue, donc, la notion même d'un acte créateur qui engendrerait une langue est impensable.

« Les créateurs de langues J'aimerais qu'avant d'entrer dans la lecture de ce chapitre on mesurât bien la nature de son objet.

Créateurs delangues n'est pas une expression dont le sens aille de soi, et si nous devions la prendre dans sa rigueur, Dante niPétrarque pas plus que Villon ni Calvin ne mériteraient ce titre. Il n'y a pas longtemps (au regard de l'histoire), en effet, que l'on travaille, en linguistique, sur une notion claire de lalangue.

On doit à Ferdinand de Saussure de l'avoir précisément définie, et sa marque est de ne retenir aucun traitsingulier de la parole ou des manières d'écrire individuelles.

Dans la perspective saussurienne, la langue est unsystème hautement abstrait de références, valable pour l'ensemble des hommes qui parlent le même idiome.

Soneffet est tel qu'à un moment donné, sur un certain espace géographique, tous les individus qui y participents'entendent sans la moindre gêne.

Il en résulte que, pour les linguistes, les faits de parole n'ont point par eux-mêmes de valeur significative.

Seule, une extension générale, souvent fortuite, leur en confère une quand, à sonterme, le système se trouve altéré.

De ce point de vue, donc, la notion même d'un acte créateur qui engendreraitune langue est impensable. Le sens que le titre de ce chapitre donne au mot langue s'apparente donc davantage à celui que Giulio Bertonidonnait, en italien, à linguagio ; et au fond de moi, je regrette un peu que dans notre français langage ait pris unecouleur trop philosophique.

Combien l'ancien français en usait plus librement ! Un poète voulait-il dire que par unejolie matinée du mois de mai tous les oiseaux unissaient leurs voix dans un concert joyeux : " Ils chantent en leurslangages ", c'était le mot usuel, et le poète marquait par là que la partie de l'alouette n'a ni le même timbre ni lamême portée que celle du merle ou du rossignol.

La Fontaine, encore, n'en usait pas autrement. Nous ne le pouvons plus ; c'est dommage.

Force est donc de recourir à ce mot ambigu que je voulais éviter. De prime abord, nous serions tentés de dire à propos des hommes dont il va être question : artistes dans l'artd'écrire, ils ont eu un style et ils vivent encore par sa vertu.

Ce ne serait pas faux.

Chacun d'eux, entre les écrivainsde son temps, est reconnaissable, identifiable par ces marques qui constituent un style.

Mais il s'ajoute à cela unecirconstance nouvelle qui, dans leur cas, porte à une haute puissance leur acte créateur.

On ne saurait, en effet,définir les caractères qu'ils ont donnés à la langue et puis s'en tenir là.

Voudrait-on, ainsi qu'on le fait dans lesmanuels de littérature, fixer ces hommes, comme des papillons morts, entre deux dates, on ne le pourrait pas.

Sitôtqu'on les quitte, on les retrouve ; cent, deux cents ans plus tard, ils sont encore tenus pour des modèles ou pourdes points de référence.

C'est qu'avant eux il manquait à un système d'expression quelque chose qu'ils ont rendupossible. Il y en a deux que je mettrais tout de suite à part parce que, écrivant tard dans une langue déjà adulte, ils ontsimplement su atteindre à une extraordinaire unité de ton.

Qu'on ne m'accuse pas de rabaisser ici Villon et Calvin,mais dans l'ordre d'idée que suggère le rapprochement de quelques noms, il n'y a aucune mesure commune entre cesdeux écrivains et les autres.

Créateurs de styles, ils n'ont pas eu, de leur temps, à résoudre de langue, àproprement parler.

C'est dans l'ordre de l'esthétique, surtout, que leur mérite éclate. L'originalité qui met Villon hors de pair, comment la définir ? Le meilleur est encore de revenir à l'alchimie du verbe, àcondition d'entendre, toutefois, que la transmutation aboutît bien ici, et réellement, à changer une matière vile enmétal rare.

Les mots d'abord, que ce clerc élit pour les soumettre à un travail magique, méritent un examen.

Onrépète communément que l'argot en a fourni bon nombre.

Oui, certes, encore que Villon tire surtout des images etdes locutions du langage des malfaiteurs.

Mais une telle indication, pour prendre sa valeur, doit tout de suite êtrecomplétée par cette autre : notre poète refuse, de parti pris, toutes les facilités morphologiques que les autresfaiseurs de vers se donnaient, avant lui et autour de lui, libéralement.

Il n'en use qu'à bon escient à des finsprécises et joue bien plus de la simplicité que des broderies et des ornements.

Si Villon n'hésite pas à mêler auxautres tels mots de la pègre, c'est que l'argot procède sur le vocabulaire commun à ce travail de transposition oùnotre poète est passé maître.

L'art du style consiste ici à changer le mot le plus simple, de l'intérieur, par le sens, etde le rendre capable d'une ambiguïté qu'originellement il n'avait pas ; d'où son pouvoir de jouer comme une image.Une idée des recherches que l'on pourrait conduire sur cet aspect du vocabulaire des poètes nous est donnée parM.

V.

Henry dans les précieuses remarques qu'il a faites à propos des néologismes récurrents et des mots rupteurschez Valéry.

Tout de suite après cela, il faudrait dire que Villon ne se refuse pas non plus l'aide des mots construitset notamment des dérivés par suffixes ; mais en se distinguant encore et à quel point de ses prédécesseurs parl'emploi systématique qu'il fait d'eux.

Ne les tirant jamais à la rime par commodité, toujours au contraire d'après uneestimation rigoureuse du rendement poétique des suffixes, comme fera plus tard Mallarmé des dérivés en al, en aire,en el.

Au reste, il est certain que Villon ne fut pas le premier qui jouât de ces effets.

Mais quel poète l'avait faitavec autant de continuité, avec une sûreté de perfection si égales, tout au long d'une oeuvre ? Le Testament pose bien des problèmes, de dates, de composition, que la critique externe n'a pas résolus.

Maisl'ordre du style domine dans ce cas, me semble-t-il, celui du temps.

Et un calcul profond de toutes les ressourcesque prête la langue, une mesure exacte de leurs valeurs et de leurs effets assurent à cette oeuvre comme au Lai età certaines ballades la cohérence formelle et l'unité de ton qui accordent au poème une sorte de sérénité. Après cela, il ne faut pas manquer de justice envers Calvin.

Le rapprochement de son nom avec celui de Villon m'estimposé, et il pourrait lui nuire.

Tant de sérieux après tant de grâce, un tel refus de la poésie après la poésie même !. »

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