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Les caractères, Nicandre, analyse

Publié le 13/10/2022

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« JEAN DE LA BRUYÈRE « LES CARACTÈRES » (1688-1696) Parcours associé : « Individu, morale et société » Chapitre 5 : « De la société et de la conversation », remarque 82 Nicandre s'entretient avec Elise de la manière douce et complaisante dont il a vécu avec sa femme, depuis le jour qu'il en fit le choix jusques à sa mort ; il a déjà dit qu'il regrette qu'elle ne lui ait pas laissé des enfants, et il le répète ; il parle des maisons qu'il a à la ville, et bientôt d'une terre qu'il a à la campagne : il calcule le revenu qu'elle lui rapporte, il fait le plan des bâtiments, en décrit la situation, exagère la commodité des appartements, ainsi que la richesse et la propreté1 des meubles ; il assure qu'il aime la bonne chère, les équipages; il se plaint que sa femme n'aimait point assez le jeu et la société.

"Vous êtes si riche, lui disait l'un de ses amis, que n'achetez-vous cette charge ? Pourquoi ne pas faire cette acquisition qui étendrait votre domaine ? On me croit, ajoute-t-il, plus de bien que je n'en possède." Il n'oublie pas son extraction et ses alliances2 : Monsieur le Surintendant, qui est mon cousin ; Madame la Chancelière, qui est ma parente ; voilà son style.

Il raconte un fait qui prouve le mécontentement qu'il doit avoir de ses plus proches, et de ceux même qui sont ses héritiers: "Ai-je tort ? dit-il à Elise ; ai-je grand sujet de leur vouloir du bien ?" et il l'en fait juge.

Il insinue ensuite qu'il a une santé faible et languissante, et il parle de la cave où il doit être enterré.

Il est insinuant, flatteur, officieux3 à l'égard de tous ceux qu'il trouve auprès de la personne à qui il aspire.

Mais Elise n'a pas le courage d'être riche en l'épousant.

On annonce, au moment qu'il parle, un cavalier4, qui de sa seule présence démonte la batterie de l'homme de ville5 : il se lève déconcerté et chagrin, et va dire ailleurs qu'il veut se remarier. 1 Propreté : beauté 2 Son extraction et ses alliances : sa famille et les personnes avec lesquelles il a des liens de parenté 3 Officieux : très serviable 4 Cavalier : noble qui porte l’épée 5 Démonte la batterie de l'homme de ville : réduit à néant tous les efforts de l’homme de ville, Nicandre Introduction La Bruyère est l’un des plus grands moralistes français du classicisme de la fin du XVIIe siècle. Il est connu principalement pour son œuvre unique, Les Caractères.

L’écrivain est un partisan des Anciens, c’est-à-dire qu’il puise les sources de son écrit dans l’Antiquité, période que les Anciens considèrent comme un modèle esthétique indépassable d’un point de vue littéraire. Les Caractères se présentent comme la continuation de l’oeuvre de Théophraste, philosophe grec de l’Antiquité. Publié anonymement en 1688, l’oeuvre alterne des remarques, des portraits théâtralisé de la société vivant sous Louis XIV. Les Caractères connaît un immense succès grâce aux nombreux portraits de contemporains, croqués dans leurs travers quotidiens et en particulier leur orgueil démesuré. Dans le portrait que nous étudions, Nicandre est un veuf qui s’entretient avec une jeune femme Elise, qu’il cherche à séduire par l’étalage de sa richesse et des hypothétiques bienfaits qu’il pourrait lui apporter si elle acceptait de devenir son épouse. Cependant, le personnage est montré dans son ridicule par son discours autocentré, dans lequel la destinatrice n’a aucun rôle, si ce n’est d’écouter le tableau flatteur de ce veuf. Par un effet de chute comique, La Bruyère nous montre la défaite du personnage totalement éclipsé par l’arrivée du cavalier. Problématique: Comment La Bruyère fait-il le portrait d’un riche veuf se pavanant devant une jeune femme pour l’épouser ? Annonce du plan : Cet extrait se divise en 4 mouvements : - Le discours autocentré du veuf (lignes 1 à 9 jusqu’à « société ») - L’insertion du dialogue adressé à lui-même plus qu’à Elise (ligne 9 à partir de « Vous êtes...

» à ligne 19 jusqu’à « enterré ») - Un jugement sévère du moraliste à son encontre (lignes 19 et 20 jusqu’à « il aspire ») - Deux effets de chute, le manque de courage d’Elise et l’arrivée du cavalier qui achève de ridiculiser les prétentions matrimoniales du veuf (ligne 20 à partir de « Mais Elise...

» à fin) Conclusion : Ainsi, La Bruyère offre ici aux lecteurs le portrait d’un veuf riche qui devient insupportable par l’étalage de sa richesse, par la confiscation de toute parole au sein d’une conversation mondaine, par la fabrication d’un rôle, celui d’un homme soi-disant généreux et à l’écoute des femmes, alors qu’il ne les considère que comme des compagnes silencieuses. La comédie sociale apparaît ici au grand jour.

La Bruyère montre habilement à son lecteur, dans une scène très théâtralisée, que le monde est bien un théâtre sur lequel chacun joue son personnage afin de tromper autrui. Il serait alors intéressant de comparer ce portrait de Nicandre avec celui de Giton (VI, 83) qui lui aussi est extrêmement riche et qui, comme notre veuf, ne peut s’empêcher de tenir le premier rôle dans l’espace social pour exister. ANALYSE LINÉAIRE : I) Le discours autocentré du veuf (lignes 1 à 9 jusqu’à « société ») : Nicandre s'entretient avec Elise de la manière douce et complaisante dont il a vécu avec sa femme, depuis le jour qu'il en fit le choix jusques à sa mort ; il a déjà dit qu'il regrette qu'elle ne lui ait pas laissé des enfants, et il le répète ; il parle des maisons qu'il a à la ville, et bientôt d'une terre qu'il a à la campagne : il calcule le revenu qu'elle lui rapporte, il fait le plan des bâtiments, en décrit la situation, exagère la commodité des appartements, ainsi que la richesse et la propreté1 des meubles ; il assure qu'il aime la bonne chère, les équipages; il se plaint que sa femme n'aimait point assez le jeu et la société.

"Vous êtes si La première phrase est très longue et composée de neuf propositions juxtaposées = Nicandre confisque la parole et n’a pas une véritable conversation avec Élise contrairement à ce que suggérait le groupe verbal « s’entretient avec Élise » (l.1) Dès le départ, il apparaît donc comme celui qui s’impose par son discours et qui impose sa présence à la jeune femme, dans le but de la séduire.

Nicandre cherche à montrer son importance et à s’imposer par sa manière de parler, typique de l’homme riche, mais aussi par sa vanité. Il dresse un portrait flatteur de lui : • (l.

1) : Nicandre se montre respectueux envers le souvenir de son ancienne femme à travers les adjectifs mélioratifs « douce et complaisante » • (l.

2) : Il se présente comme un mari qui a été tendre et fidèle envers elle, comme le traduit l’expression de durée « depuis le jour qu’il en fit le choix jusques à sa mort » • (l.

3-4) : Il se montre aussi comme un homme en mal de paternité, ce qu’il exprime d’une manière implicite, mais tout à fait compréhensible, avec « déjà » (l.

3) et « répète » (l.

4).

Il fait cela dans le but d’attendrir la jeune femme. Il passe ensuite, sans aucune transition, à un autre argument : celui de sa richesse Le champ lexical de la richesse se déploie à travers : • (l.

4) : le pluriel « des maisons » • (l. 5-9) : les possessions énumérées : « une terre », « le revenu », les « bâtiments », les « appartements », « la richesse », les « meubles », « la bonne chère », « les équipages », « le jeu » L’auteur peint le portrait d’un homme qui se désigne comme très riche donc potentiellement intéressant car « bon parti ».

Nicandre ne se montre en rien modeste et mesuré. • (l.

5-9) : Cet argument de la richesse repose sur la juxtaposition des propositions qui soulignent encore que le.... »

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