Lecture linéaire Cyrano III, 7
Publié le 31/03/2024
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«
Lecture linéaire : Cyrano de Bergerac, III, 7.
1897
Contexte
- Le contexte : 1897.
Un contexte morose, la France est encore sous le coup de la
défaite de 70, de nombreux évènements sapent le moral des français (l’affaire
Dreyfus, l’attentat qui emporte Sadi Carnot, la crise boulangiste…).
De ce fait, les
Français apprécient un héros combattif, à l’âme chevaleresque, qui remporte des
victoires avec un certain panache et recherche un idéal… Cela explique en partie
l’énorme succès de la pièce, non démenti depuis (c’est la pièce la plus jouée du
répertoire français).
- Pourtant, une pièce qui va à contre-sens de son époque, où triomphent les
vaudevilles (Feydeau et Courteline) ainsi que le réalisme et le naturalisme.
Un autre
fait joue en sa défaveur : la difficulté de la jouer (nombreux décors, une scène de
bataille, nombreux personnages, rôle-titre très long…)
- Une comédie héroïque, selon Rostand.
Mais inspiration du drame romantique, bien
que la forme reste celle d’une tragédie classique (5 actes).
Le vers (principalement
des alexandrins) est parfois traité comme durant le classicisme, mais souvent il se
désagrège, comme dans un drame romantique.
- La pièce est portée par le rôle titre, Cyrano, un personnage aux multiples facettes :
personnage de la Commedia dell’arte par son côté bouffon, héros romantique par
son aspiration au sublime mêlée de la conscience de son aspect grotesque, tenant à
son panache, en quête d’idéal.
- Mais ce qui fait la singularité de la pièce, c’est la relation amoureuse à trois qui se
noue : une femme croit aimer un homme, composé en réalité de deux hommes,
Christian, la beauté, et Cyrano, l’âme.
- A l’acte II, Cyrano et Christian ont convenu d’un pacte : ils s’allient pour obtenir le
cœur de Roxane, avec Cyrano inspirant à Christian les mots qui lui manquent pour
séduire une précieuse.
- Au début de l’acte III, Christian a remis en cause ce pacte en rejetant Cyrano et en
essayant de s’entretenir seul avec Roxane.
C’est un échec.
Pour le réparer, Cyrano
l’entraîne chez Roxane, au pied de son balcon.
A la fin de cette scène, Christian ira
« cueillir le baiser de la gloire » pendant que Cyrano restera « en bas, dans l’ombre
noire » (V, 6, v 2500-2501).
Première lecture et enjeux du texte
- Une scène inhabituelle : un triangle amoureux, mais consenti, et d’un genre
inattendu : une seule femme et deux hommes, les deux sont amoureux d’elle mais il
y a un déséquilibre d’information (Christian et Roxane ignorent les vrais sentiments
de Cyrano).
- Un dialogue amoureux, mais qui est assuré par Cyrano à la place de Christian.
Le
balcon joue ici un rôle déterminant : Roxane est en position dominante
(symboliquement, c’est une femme inaccessible) ; et le balcon l’empêche de voir la
supercherie.
- Ce dialogue révèle les vrais sentiments de Cyrano, qui d’une certaine manière se
trahit en jouant son rôle.
Il s’’agit d’un aveu amoureux.
- Mais c’est aussi une scène qui révèle le pouvoir du beau langage, dans la lignée de
la préciosité.
Le texte est très travaillé, Cyrano déploie toute son éloquence.
- On a aussi une réflexion sous-jacente sur l’amour : qu’est-ce qui fait naître le
sentiment amoureux, est-ce la beauté physique, ou la séduction du langage, ou le
« cœur à cœur » des âmes ?
Dans ce triangle amoureux d’un nouveau genre, comment le beau langage
permet-il de reconquérir la précieuse Roxane tout en rendant possible l’aveu
du sentiment amoureux par Cyrano ?
- Structure du texte :
1/ répliques 1 à 13, il s’agit de reconquérir Roxane en mettant en place un
stratagème permettant à Cyrano d’énoncer le discours précieux qui plaira à Roxane.
2/ Répliques 14 à la fin, Cyrano avoue son amour sous couvert de l’identité de
Christian.
Lecture linéaire
1/ reconquérir Roxane
- répliques 1 et 2 : Cyrano comme metteur en scène de Christian.
Approuve sa
diction.
Didascalie interne « presque à voix basse » : commente son jeu.
La
didascalie met en évidence cette énonciation inédite.
- 3.
Refus de Roxane, marqué par l’exclamation « non » et par l’impératif « allezvous en », un ordre bref.
Roxane est une précieuse, comme le rappelle son exigence
d’un beau langage : « vous parlez trop mal.
»
- 4.
Supplication : « de grâce », qui est mise en évidence par la supériorité physique
de Roxane (balcon).
- 5.
nouveau refus.
confusion entre le défaut de mal parler et le manque d’amour :
« vous ne m’aimez plus ».
cela montre que Roxane aime un être idéal et qu’elle se
sent trahie quand elle constate que son amant n’est pas le précieux qu’elle aimait.
=>
poids de l’idéal, qui met en place la tragédie (elle aime quelqu’un d’autre derrière
Christian).
- 6.
La ponctuation (points de suspension, tiret) souligne la didascalie : Christian est
la marionnette de Cyrano qui lui souffle ses propos.
Ton exclamatif qui souligne
l’intensité du sentiment, avec le superlatif et l’apostrophe « justes dieux ».
un jeu de mots qui permet d’attirer l’attention de Roxane : jeu sur le double sens de
plus, superlatif et négation.
- 7.
Le stratagème fonctionne : Roxane est interpellée « tiens ».
Elle juge son amant
à la qualité de ses propos « c’est mieux ».
cf didascalie : montre son intérêt.
- 8.
des vers précieux pour marquer l’intensité de l’amour, avec la métaphore filée du
« marmot » qui grandit ».
Une esthétique romantique : cf lexique « âme inquiète ».
tonalité lyrique.
- 9.
Stratagème réussi : Roxane renonce à partir, cf didascalie et répétition du
jugement « c’est mieux ».
La précieuse file la métaphore : le jeu amoureux se double
d’un jeu précieux.
La joute oratoire permet de sonder les sentiments de l’autre.
Métaphore filée qui met en évidence la cruauté de l’amour, « cruel » ; violence,
puisqu’il aurait fallu « l’étouffer au berceau ».
Cette cruauté de l’amour est un thème
qui parcourt toute la pièce et qui montre l’ambiguïté de l’amour.
- 10.
La métaphore de l’amour comme « Hercule » est typique des précieux
(référence mythologique) mais elle prouve aussi l’intensité de cet amour.
L’amour
rend impuissant : « aussi l’ai-je tenté, mais tentative nulle » : le « mais » marque
l’incapacité d’agir contre cet amour.
- 11.
Nouveau jugement appréciatif de Roxane (répétition).
- 12.
Toujours métaphore filée, précieuse.
Un vocabulaire volontiers allégorique et
moraliste : les deux serpents du mythe sont Orgueil et Doute, présentés comme les
adversaires de l’amour.
- 13.
Jugement définitif : « c’est très bien ».
Roxane est conquise : elle se rapproche
(cf didascalie).
Cependant elle s’étonne (« pourquoi ») de la lenteur de sa diction : cf
sa double question, qui prête à sourire du fait de sa préciosité exagérée, avec la
litote « peu hâtive » et la métaphore inattendue, avoir « la goutte à l’imaginative ».
=> Roxane est reconquise grâce à la préciosité des propos de Christian, dictés par
Cyrano.
Mais ce triangle amoureux se révèle insatisfaisant.
2/ L’aveu amoureux
- 14.
Le caractère impossible de cette relation à trois provoque une volonté de
changement de la part de Cyrano : « trop difficile », superlatif.
Il vaut parler
directement à Roxane.
En prenant la place de Christian (cf didacalie), il avoue déjà
son amour pour Roxane…
- 15.
Cette difficulté est soulignée par Roxane, avec la question « pourquoi ».
Ces
mots « hésitants » renvoient à la difficulté de l’aveu amoureux.
- 16.
La didascalie « comme Christian » indique que Cyrano se substitue à Christian.
une explication : « c’est que » ; mais une explication qui défie toute logique ! La
préciosité apparaît dans ce jeu sur le langage, avec la personnification des mots :
« ils » pronom personnel, verbe d’action « cherchent », « à tâtons », attitude
humaine.
- 17 et 18 : la métaphore est filée, de façon comique.
Mais Cyrano en profite pour
mettre en œuvre un discours lyrique : c’est de « mon cœur » qu’il s’agit.
insistance
sur la grandeur de son amour, grâce au parallélisme antithétique : « j’ai le cœur
grand / vous l’oreille petite ».
insistance sur l’élévation de Roxane grâce au jeu sur les mots qui montent ou qui
descendent : une position symbolique, qui indique aussi l’idéalisation amoureuse
dont elle fait l’objet.
on le voit aussi avec l’ « altitude » de la réplique 21.
- 19 et 20.
La métaphore précieuse est filée.
La parole est vue comme une
« gymnastique ».
- 21.
la distance entre Cyrano et Roxane est soulignée.
Roxane veut réduire cette
distance, mais Christian / Cyrano n’y sont pas prêts !
- 22.
insistance sur la vulnérabilité du chevalier servant : reprise du topos de
l’amoureux transi, qui souffre pour sa belle.
emploi du conditionnel (« tueriez ») qui
montre que c’est une hypothèse, mais cela n’enlève rien à la cruauté décrite, avec le
vocabulaire violent (« tuer », « tomber »,....
»
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