Lecture linéaire 2 (10) : L'illusion d'une renaissance
Publié le 05/06/2025
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Lecture linéaire 2 (10) : L'illusion d'une renaissance
Ainsi vécut Raphaël pendant plusieurs jours, sans soins, sans désirs, éprouvant un mieux
sensible, un bien-être extraordinaire, qui calma ses inquiétudes, apaisa ses souffrances.
Il gravissait
les rochers, et allait s’asseoir sur un pic d’où ses yeux embrassaient quelque paysage d’immense
étendue.
Là, il restait des journées entières comme une plante au soleil, comme un lièvre au gîte.
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Ou bien, se familiarisant avec les phénomènes de la végétation, avec les vicissitudes du ciel, il épiait
le progrès de toutes les œuvres, sur la terre, dans les eaux ou dans l’air.
Il tenta de s’associer au
mouvement intime de cette nature, et de s’identifier assez complètement à sa passive obéissance,
pour tomber sous la loi despotique et conservatrice qui régit les existences instinctives.
Il ne voulait
plus être chargé de lui-même.
Semblable à ces criminels d’autrefois qui, poursuivis par la justice,
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étaient sauvés s’ils atteignaient l’ombre d’un autel, il essayait de se glisser dans le sanctuaire de la
vie.
Il réussit à devenir partie intégrante de cette large et puissante fructification : il avait épousé
les intempéries de l’air, habité tous les creux de rochers, appris les mœurs et les habitudes
de toutes les plantes, étudié le régime des eaux, leurs gisements, et fait connaissance avec
les animaux ; enfin, il s’était parfaitement uni à cette terre animée, qu’il en avait en quelque
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sorte saisi l’âme et pénétré les secrets.
Pour lui, les formes infinies de tous les règnes étaient les
développements d’une même substance, les combinaisons d’un même mouvement, vaste
respiration d’un être immense qui agissait, pensait, marchait, grandissait, et avec lequel il voulait
grandir, marcher, penser, agir.
Il avait fantastiquement mêlé sa vie à la vie de ce rocher, il s’y était
implanté.
Grâce à ce mystérieux illuminisme, convalescence factice, semblable à ces bienfaisants
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délires accordés par la nature comme autant de haltes dans la douleur, Valentin goûta les plaisirs
d’une seconde enfance durant les premiers moments de son séjour au milieu de ce riant paysage.
Il y allait dénichant des riens, entreprenant mille choses sans en achever aucune, oubliant le
lendemain les projets de la veille, insouciant ; il fut heureux, il se crut sauvé.
Lecture linéaire 2 (10) : L'illusion d'une renaissance
Honoré de Balzac, dans son roman La Peau de chagrin (1831), mêle réalisme et fantastique pour raconter
le destin tragique de Raphaël de Valentin, possesseur d’un talisman magique exauçant ses vœux au prix de
sa propre vie.
Le passage à étudier se situe après que Raphaël, épuisé par les désirs comblés et les
malheurs engendrés par ce talisman, s’est retiré loin de Paris.
Il trouve alors refuge dans la nature, l’espace
d’un instant suspendu hors du temps, où il connaît une accalmie bienfaisante.
Cette scène dépeint un
Raphaël momentanément délivré du fantastique et de ses souffrances, plongé dans un refuge romantique
empreint de douceur.
[Lecture du texte]
Problématique : Dans quelle mesure Raphaël échappe provisoirement au fantastique et à ses malheurs
grâce à cette parenthèse romantique douce et apaisante ?
Annonce de plan :
Mouvement 1 de « Ainsi » à « dans les airs » : le retour au calme et à la sérénité grâce à l’absence de désirs
et la contemplation de la nature,
Mouvement 2 : la tentative délibérée de fusionner avec la nature pour échapper à la fatalité fantastique,
Mouvement 3 : Illusion d’une renaissance – les limites de la fusion avec la nature
Mouvement 1 : Une vie sans désirs : le calme retrouvé dans la nature (« ainsi » (l.1) à « dans l’air »
(l.6)
Dès l’ouverture du passage, Balzac insiste sur l’état de soulagement et de répit dont bénéficie Raphaël.
L’adverbe initial « Ainsi » marque une conclusion logique, comme si ce moment d’accalmie était la
conséquence naturelle de son renoncement aux désirs.
La structure synthétique de la phrase introductive,
exprime une ellipse temporelle appuyée par l’utilisation du passé simple qui condense en quelques mots une
période de relâchement total.
L’aspect itératif est appuyé par le complément circonstanciel de temps,
suggérant une routine nouvelle, une parenthèse (le passé simple indique une action terminée, brève) dans
son existence tourmentée.
L’asyndète attire immédiatement l’attention.
L’absence de coordination met en
relief cette double négation anaphorisée qui souligne le renoncement absolu du personnage : plus aucun
souci ne l’afflige, plus aucune aspiration ne le tiraille.
Ce dépouillement volontaire est une rupture nette avec
le Raphaël du début du roman, avide de plaisirs et de succès.
Ne plus formuler aucun souhait, c’est s’extraire
de l’engrenage fatal du talisman.
La Peau, qui rétrécit à chaque désir exprimé, devient inoffensive tant que
son propriétaire ne nourrit plus d’envies.
Ainsi, l’absence de désirs équivaut à une trêve, sinon une guérison.
Balzac prolonge cette idée de rémission par une énumération de termes relatifs au bien-être.
L’usage du
participe présent « éprouvant » traduit un processus en cours, mais toujours douloureux.
L’asyndète entre
les groupes nominaux « un mieux sensible, un bien-être extraordinaire » crée une gradation positive : d’un
mieux perceptible (« sensible »), on passe à une sensation de félicité inespéré (« extraordinaire »).
Ce
soulagement est aussi bien physique que moral, en opposition au mal-être précédent.
Le rythme fluide de la
phrase et les sonorités douces (les sifflantes en [s] et les nasales en [m] et [n]) confèrent une impression
d’apaisement qui correspond au ressenti du personnage.
Cette renaissance provisoire se traduit par des
effets concrets sur son état d’esprit : « qui calma ses inquiétudes, apaisa ses souffrances ».
La proposition
subordonnée relative, introduite par « qui », détaille les bienfaits de cette nouvelle existence.
L’emploi des
verbes « calma » et « apaisa », presque synonymes, renforce l’idée d’un soulagement progressif, d’une
sérénité retrouvée.
L’alternance entre « inquiétudes » et « souffrances » témoigne du double impact de cette
quiétude : elle apaise aussi bien le mental que le corps du protagoniste.
La PSR est sous la forme d’un
parallélisme de construction, renforçant l’idée d’un équilibre retrouvé.
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Par la suite, Balzac fait de Raphaël un aventurier romantique ou un pèlerin contemplatif, évoquant la tradition
pastorale.
Son ascension progressive, traduite par les imparfaits d’habitude « gravissait » et « allait s’asseoir
», marque un rituel méditatif, un effort physique menant à une élévation spirituelle.
La nature, magnifiée à la
manière des romantiques, apparaît dès lors comme un refuge sublime : le « pic » et le « paysage d’immense
étendue » suggèrent une quête d’infini, tandis que le verbe « embrassaient » métaphorise l’étreinte du regard,
fusionnant Raphaël et l’horizon.
Toutefois, cette sérénité est immédiatement nuancée.
Les comparaisons
avec répétition de « comme » : « comme une plante au soleil, comme un lièvre au gîte » traduisent une
humilité proche de l’effacement : le protagoniste devient un être passif, réduit à un état végétatif ou animal.
Le verbe à l’imparfait « restait » souligne cette immobilité coutumière, tandis que l’hyperbole « des journées
entières » accentue la lente dissolution du personnage dans son environnement.
Chaque comparaison
associe à la fois un besoin (le soleil, source d’énergie) et un refuge (le gîte, abri protecteur), renforçant l’idée
d’une retraite apaisante mais dénuée d’élan vital.
Toutefois, cette contemplation ne se limite pas à l’inertie.
Le narrateur introduit une alternative avec « Ou
bien, se familiarisant avec les phénomènes de la végétation, avec les vicissitudes du ciel… ».
Le participe
présent « se familiarisant » traduit un apprentissage patient, une tentative d’intégration au cycle naturel.
Raphaël devient un observateur minutieux (L’expression « toutes les œuvres » donne une portée très large
à son observation, suggérant qu’il s’intéresse à toutes les formes de vie ou d’activité autour de lui :
minérales, végétales, animales), attaché aux rythmes du monde vivant, comme le souligne l’énumération
ternaire « sur la terre, dans les eaux ou dans l’air » déploie l’ensemble du vivant, que Raphaël contemple
avec la minutie d’un naturaliste.
Cependant, l’absence de l’élément feu suggère une nature apaisée, vidée
de toute énergie destructrice.
Le verbe, encore une fois à l’imparfait, « épiait » (observer attentivement et
secrètement) traduit une attention quasi-enfantine : Raphaël scrute la moindre transformation, retrouvant une
curiosité émerveillée qui tranche avec son ancienne frénésie de désirs.
Ce rapport intuitif à la nature évoque
la posture du poète romantique, puisant dans l’observation du monde une forme d’intelligence sensible.
Mouvement 2 : la tentative délibérée de fusionner avec la nature pour échapper à la fatalité
fantastique «il tenta » (L.6) à « secret » (L.15)
Balzac met ici en scène un basculement décisif : Raphaël ne se contente plus d’observer la nature, il cherche
à s’y confondre totalement, dans une tentative d’anéantissement de soi.
Le passage du temps de l’imparfait
au passé simple, avec le verbe d’action « tenta », marque un tournant : il ne s’agit plus d’une contemplation
passive, mais d’une volonté délibérée d’adhésion.
Cette quête est soulignée par la progression des verbes
à l’infinitif « s’associer » et « s’identifier », qui traduisent une aspiration....
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