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L'École du Sud, Dominique Femandez: Adeline, réfugiée près du lit, se demandait à quelle sorte de travail se livreraient les deux servantes armées d'engins aussi primitifs

Publié le 19/12/2021

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« Dominique Fernandez (né en 1929) (L'École du Sud, 1989). La jeune Adeline vient de demander que le ménage soit fait à fond dans sa chambre.

Deux servantes, la mère et la fille, arrivent, munies chacune d'une sorte de fouet à neuf lanières. Adeline, réfugiée près du lit, se demandait à quelle sorte de travail se livreraient les deux servantes armées d'engins aussi primitifs.

La frénésie belliqueuse dont elles furent saisies dépassa ses prévisions les plus pessimistes, tout en lui donnant une forte envie de rire.

À droite, à gauche, sur les chaises, sur les tables, sur le coffre, sur la coiffeuse, sur les murs, par terre, en l'air, dans le vide, elles projetaient les lanières de leurs fouets ; la mère, malgré son âge et sa corpulence, ne se démenait pas moins que la fille : elles pivotaient sur elles- mêmes, se penchaient, se redressaient, toujours agitant leurs verges sinueuses et fustigeant1 au petit bonheur devant elles. La poussière, réveillée en sursaut de sa léthargie séculaire2, prenait la fuite comme elle pouvait.

Elle s'élevait en petits nuages, montait au plafond hors de portée des terribles lanières, flottait en suspens dans le demi-jour, cherchait un refuge dans les toiles d'araignée inaccessibles.

L'irritation d'être soumises à un extra3 non prévu dans les habitudes de la maison attisait la rage des deux furies.

Adeline ne le devinait que trop bien.

«Elles sautaient sur place, lançaient le plus haut possible leurs courts bras dodus, bondissaient, rugissaient, apostrophant les corpuscules rebelles pour les obliger à retomber du plafond et à prendre une autre raclée.

Cette danse de guerre dura tant qu'elles n'eurent pas épuisé leur soif de vengeance.

Lorsqu'elles jugèrent la correction suffisante, elles quittèrent la pièce, tête haute et sourire triomphal, laissant la poussière descendre à nouveau sur les meubles et se rendormir dans la pénombre. 1.

Fustiger: donner des coups de fouet pour punir. 2.

Léthargie séculaire : sommeil profond qui dure depuis des siècles. 3.

Un extra : un travail supplémentaire. Dans L'École du Sud, Dominique Femandez oppose deux éducations : celle du Nord, éprise de propreté physique et morale, de rigueur intellectuelle, et celle du Sud, pleine de liberté, de fouillis, de joie de vivre. L'un des épisodes montre une jeune Française qui demande à sa future belle-famille sicilienne que l'on fasse le ménage dans sa chambre.

Deux servantes, outrées d'une telle exigence, se lancent dans un combat acharné et comique contre la poussière. La description réaliste d'une scène de la vie quotidienne devient héroï-comique par la métaphore de la guerre et le ton humoristique. En deux paragraphes, l'auteur peint une scène banale : deux personnes nettoient une pièce qui n'a pas vu de balai depuis longtemps. Le passage évoque de façon précise l'état de la chambre avant le nettoyage.

On peut même dire qu'elle est passée en revue : nous voyons ses « murs » (l.6), son « plafond » (l.14), et l'on devine ses fenêtres, à moitié fermées puisqu'elles ne laissent entrer qu'un «demi-jour» (l.15).

Les meubles sont mentionnés: «chaises», « tables », « coffre », « coiffeuse » (l.5-6). La « poussière », qui encadre le second paragraphe (l.12 et 26), bénéficie de quelques notations réalistes : elle repose tranquillement sur les meubles, plongée dans une « léthargie séculaire » (l.12).

Cette expression montre que la chambre n'a sans doute pas été occupée depuis longtemps, ou que ses occupants ne se préoccupent guère de la propreté : nous avons tous vu la couche grise, plus ou moins fine, qui recouvre les objets. »

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