Le soliloque d'Antoine
Publié le 03/04/2024
Extrait du document
«
Analyse linéaire du "Le soliloque d’Antoine"
Introduction :
Bonjour, je vais maintenant vous présenter l'extrait que vous m'avez demandé
d'analyser.
Il s'agit d'un passage du roman "Juste la fin du monde" par Jean-Luc
Lagarce.
Il est à la fois comédien, metteur en scène, directeur de troupe et
dramaturge.
En 1988, il reçoit le diagnostic du sida, et meurt en 1995 à l'âge de
38 ans.
Malgré cette réalité, il puise dans son expérience personnelle pour écrire
"Juste la fin du monde" en 1990.
Cet extrait, qui appartient à notre parcours «
crise personnelle, crise familiale », se déroule dans la deuxième partie de la
pièce.
Dans la scène I, Louis présente l’action de la partie 2 de façon
rétrospective en alternant entre les temps du passé et du présent.
Dans la scène
II, la tension entre Louis et Antoine est physiquement palpable, la crise se
concentrant autour du départ de Louis.
La scène III semble plus calme en
apparence, avec Antoine dominant la parole.
Il exprime les sentiments de son
frère aîné envers la famille, la culpabilité ressentie par la famille face à son
sentiment de rejet, de souffrance et de malheur, ainsi que sa propre culpabilité
en tant que frère cadet.
Antoine évoque également le projet familial commun de
donner des preuves d’amour à Louis.
On va donc voir comment s’exprime l’opposition entre les deux frères dans cet
extrait ? Pour pouvoir répondre à cette question, on va diviser cet extrait en 4
mouvements.
Tout d'abord, le premier mouvement aborde le thème d'un frère trompeur dès le
début à la ligne 14.
Ensuite, le deuxième mouvement explore une opposition ancienne dans les
lignes 15 à 35.
Puis, le troisième mouvement traite d'une opposition dans l'éloignement de la
ligne 36 à 45.
Enfin, le quatrième mouvement, qu’on appellera "un frère malheureux" se trouve
dans les 46 jusqu’à la fin.
Si vous me le permettez, je vais maintenant procéder à la lecture du texte.
LECTURE
Rien en toi n’est jamais atteint,
il fallait des années peut-être pour que je le sache,
mais rien en toi n’est jamais atteint,
tu n’as pas mal
-si tu avais mal, tu ne le dirais pas, j’ai appris cela à
mon tour-
et
tout ton malheur n’est qu’une façon de répondre,
une façon que tu as de répondre,
d’être là, devant les autres et de ne pas les laisser
entrer.
c’est ta manière à toi, ton allure
le malheur sur le visage comme d’autres ont un air de
crânerie satisfaite,
tu as choisi ça, et cela t’a servi et du l’as conservé.
Et nous, nous nous sommes fait du mal à notre tour,
chacun n'avait rien à se reprocher
et ce ne pouvait être que les autres qui te nuisaient et
nous rendaient responsables tous ensemble,
moi, eux,
et peu à peu, c'était de ma faute, ce ne pouvait être
que de ma faute.
On devait m'aimer trop puisque on ne t'aimait pas
assez
et on voulut me reprendre alors ce qu'on ne me
donnait pas,
et ne me donna plus rien,
et j'étais là, couvert de bonté sans intérêt à ne jamais
devoir me plaindre,
à sourire, à jouer,
à être satisfait, comblé,
tiens, le mot, comblé,
alors que toi, toujours, inexplicablement, tu suais le
malheur
dont rien ni personne, malgré tous ces efforts, n'aurait
su te distraire et te sauver.
Et lorsque tu es parti, lorsque tu nous as quittés,
lorsque tu nous abandonnas,
je ne sais plus quel mot définitif tu nous jetas à la tête,
je dus encore être le responsable,
être silencieux et admettre la fatalité, et te plaindre
aussi,
m'inquiéter de toi à distance
et ne plus jamais oser dire un mot contre toi, ne plus
jamais même oser penser un mot contre toi,
rester là, comme un benêt, à t'attendre.
Moi, je suis la personne la plus heureuse de la terre,
et il ne m'arrive jamais rien,
et m'arrive-t-il quelque chose que je ne peux me
plaindre, puisque, "à l'ordinaire",
il ne m'arrive jamais rien.
Développement :
Dans le premier mouvement, Antoine dépeint Louis comme quelqu'un de
trompeur.
Ce portrait est forgé par la longue période de connaissance qu'a
Antoine de Louis, soulignée par le complément circonstanciel "des années".
Cette connaissance donne du poids aux propos du frère cadet comme le
montrent les verbes "savoir" et "apprendre" aux lignes 2 et 5.
Antoine présente son frère comme quelqu'un d'intouchable, d'inaccessible, qui
utilise le malheur pour se protéger des autres ; pour ce faire, Antoine répète la
phrase "Rien en toi n’est jamais atteint" deux fois, aux lignes 1 et 3, et la
reformule ensuite avec l'expression de sens proche "de ne pas les laisser
entrer", aux lignes 9 et 10.
Antoine met en avant la contradiction hypocrite de son
frère, qui semble ne pas être réellement malheureux, comme le montre l'usage
de phrases négatives qui nient son malheur réel, telles que "tu n’as pas mal".
Pour finir, dans son discours, Antoine insiste également sur le choix volontaire
que Louis a fait de construire ses relations de cette manière, comme le montre le
rythme ternaire de la dernière phrase du mouvement : "tu as choisi ça, et cela t’a
servi et tu l’as conservé.
Dans le deuxième mouvement, Antoine évoque les origines de leur opposition.
L'histoire de cette opposition entre les deux frères est perceptible à travers
l'utilisation des pronoms.
Au début du mouvement, Antoine est associé au reste
de la famille grâce à l’emploi de la première personne....
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