Le Premier Homme d'Albert Camus est-il un récit intimiste ?

« Le Premier homme relate une double quête, celle du père et celle de soi.

Tout au long du roman, nous sommes donc les spectateurs de la quête d'identité du héros, Jacques, alter ego d'Albert Camus qui passe par l'évocation deson passé.

Le contenu de cette autobiographie fictive est ainsi fournie par les souvenirs d'enfance et d'adolescenced'Albert Camus : souvenirs de la vie familiale, de l'école, du lycée, de la rue, à Alger de 1914 au début des années 1930.La lecture approfondie de cet ouvrage nous conduit a y voir plus qu'un récit émouvant sur l'enfance de l'auteur ; lepremier homme s'avère être un précieux témoignage sur les fondements de la pensée de Camus et sur les raisons deson engagement.Cette caractéristique semble particulièrement intéressante car elle donne une dimension intimiste au récit, le lecteurse trouve être le confident de Camus et en tant que tel il peut d'autant mieux comprendre ce qui a orienté la vie ducélèbre écrivain.

On se demande alors si cette résultante est volontaire ou non : Camus a-t-il écrit le premier Homme pour expliquerqui il était ou aurait-il souhaité au contraire que la forme définitive de son ouvrage soit plus impersonnelle ? Noustenterons dans un premier temps de répondre a cette interrogation pour ensuite examiner tous les éléments quiappuient notre observation précédente.

Il faut se pencher sur la biographie de l'auteur pour mieux appréhender les raisons qui l'ont amenées à l'écriture dece roman.

Ce dernier semble être le résultat d'une prise de conscience, un retour sur soi causé essentiellement pardeux phénomènes antécédents au livre, l'un étant l'attentat suicidaire de la deuxième femme de l'auteur suite àl'infidélité constante de celui ci, l'autre étant les attaques personnelles contre Camus à la suite de la publication del'Homme Révolté (1951) , par les mouvements existentialiste et surréaliste contemporains.

Tout ceci semble pousser l'auteur à se questionner, à mettre en doute son identité présupposée jusqu'ici, et donc à se tourner vers son passéet aller à la recherche de ses racines véritables.

Par conséquent, le Premier Homme se veut être un roman vrai, quinous fait découvrir la nature profonde de Camus, les fondements de sa vie.

Son œuvre est passionnante du fait de son contenu d'inspiration autobiographique, mais il faut bien comprendre quec'est surtout grâce à une forme appropriée qu'il peut nous communiquer avec justesse ce que fut son enfance.C'est pourquoi, le style se mettant au service de l'idée, Camus a pris soin de choisir le ton de la confidence à celuidu discours.

Son expression présente une richesse d'images, de rythmes, de couleurs et d'odeurs, les sensationssont elles aussi largement présentent : on vit son enfance.

Camus déclarait d'ailleurs : «Les styles ne sont pour moi qu'un moyen.» Cette citation confirme l'idée selon laquelle il a mis à profit la puissance de son langage et ses techniques d'écriture pour décrire au mieux son passé.Il arrive ainsi à recréer l'atmosphère de sa salle de classe dans le chapitre intitulé « l'école ».

Le champ lexical dessensations y est alors très développées, chaque sensation renvoie à une émotion chez l'enfant qui permet aulecteur de mieux connaître celui-ci.Le héros apprécie par exemple les dictée de son maître « faisant sonner les virgules et les points » qui lui permettent de s'évader et de rêver.

De même, les indications visuelles permettent de présenter en détails les objetsde la salle de classe qui impressionnent cet enfant : « une énorme bouteille sombre », l'étrange « tube de verrecoudé » enfoncé dans le bouchon fait partie de ces détails précis qui montrent le regard observateur et curieux del'élève sur son univers.

De cette manière, Camus réussit à nous faire revivre physiquement ce qu'il a vécu et qu'ilévoque avec nostalgie.

Le fait qu'il puisse décrire son école dans les moindres détails nous incite à penser quec'était un lieu très important pour lui, le point de départ de ses rêves d'écolier : « la puissante poésie de l'école »c'était le monde de la connaissance.

C'est en partie grâce à sa scolarité et à son instituteur M Germain que Camus adépassé sa condition sociale pour devenir un écrivain renommé.Cependant, l'école semble être un lieu où il se sent seul, l'expression « ses enfants » montre une certaine distanceentre Jacques et les autres.

On retrouve bien le caractère solitaire de Camus.

Solitaire dans le sens où toute sa vieil s'est considéré comme le premier homme d'une classe de déracinés, de déshérités.

De plus, cette abondance des sensations et des sentiments est présente tout au long du roman notamment quant ilévoque l'Algérie avec « la mer en flamme sous le soleil », «la chaleur cuisait au-dehors les rues sèches etpoussiéreuses », «la mer était douce, tiède, le soleil léger », on retrouve dans ces expressions la chaleur, la lumièrepropre à l'Algérie.

Camus traduit ainsi la relation forte qui l'unie à cette « terre du bonheur », sa « vrai patrie »témoin des instants de plénitude de son enfance..Cependant, ce style littéraire n'a pas pour unique but de nous plonger dans l'enfance de Camus et de nous faire voir. »