Le Mariage du FigaroBeaumarchaisActe V, scène 3Non, Monsieur le Comte, vous ne l'aurez pas.
Publié le 22/05/2020
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Le Mariage du Figaro
Beaumarchais
Acte V, scène 3
Non, Monsieur le Comte, vous ne l'aurez pas...
vous ne l'aurez pas...
Parce que vous
êtes un grand Seigneur, vous vous croyez un grand génie !...
Noblesse, fortune, un
rang, des places : tout cela rend si fier ! Qu'avez-vous fait pour tant de biens ! Vous
vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus, du reste, homme assez ordinaire !
tandis que moi, morbleu !! perdu dans la foule obscure, il m'a fallu déployer plus de
science et de calculs pour subsister seulement, qu'on n'en a mis depuis cent ans à
gouverner toutes les Espagnes : et vous voulez jouter...
On vient...
c'est elle...
ce n'est
personne.
— La nuit est noire en diable, et me voilà faisant le sot métier de mari,
quoique je ne le sois qu'à moitié ! (Il s'assied sur un banc.) Est-il rien de plus bizarre
que ma destinée ! Fils de je ne sais pas qui, volé par des bandits, élevé dans leurs
m œurs, je m'en dégoûte et veux courir une carrière honnête ; et partout je suis
repoussé ! J'apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie, et tout le crédit d'un
grand Seigneur peut à peine me mettre à la main une lancette vétérinaire.
Las
d'attrister des bêtes malades et pour faire un métier contraire, je me jette à corps
perdu dans le théâtre : me fussé-je mis une pierre au cou ! Je broche une comédie
dans les m œurs du sérail ; auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans
scrupule : à l'instant, un envoyé...
de je ne sais où se plaint de ce que j'offense dans
mes vers la Sublime-Porte, la Perse, une partie de la presqu'île de l'Inde, toute
l'Égypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d'Alger et de Maroc : et voilà
ma comédie flambée, pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne
sait lire, et qui nous meurtrissent l'omoplate, en nous disant : Chiens de chrétiens ! —
Ne pouvant avilir l'esprit, on se venge en le maltraitant.
Mes joues creusaient ; mon
terme était échu ; je voyais de loin arriver l'affreux recors, la plume fichée dans sa
perruque : en frémissant, je m'évertue.
Il s'élève une question sur la nature des
richesses, et, comme il n'est pas nécessaire de tenir les choses pour en raisonner,
n'ayant pas un sol, j'écris sur la valeur de l'argent et sur son produit net ; sitôt je vois,
du fond d'un fiacre, baisser pour moi le pont d'un château fort, à l'entrée duquel je
laissai l'espérance et la liberté. (Il se lève.) Que je voudrais bien tenir un de ces
puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu'ils ordonnent, quand une bonne
disgrâce a cuvé son orgueil ! je lui dirais...
que les sottises imprimées n'ont
d'importance qu'aux lieux où l'on en gêne le cours ; que, sans la liberté de blâmer, il
n'est point d'éloge flatteur, et qu'il n'y a que les petits hommes qui redoutent les
petits écrits. (Il se rassied.) Las de nourrir un obscur pensionnaire, on me met un
jour dans la rue ; et comme il faut dîner quoiqu'on ne soit plus en prison, je taille
encore ma plume, et demande à chacun de quoi il est question : on me dit que
pendant ma retraite économique, il s'est établi dans Madrid un système de liberté
sur la vente des productions qui s'étend même à celles de la presse ; et que, pourvu
que je ne parle en mes écrits, ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la
morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l'Opéra, ni des autres
spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer
librement, sous l'inspection de deux ou trois censeurs.
Pour profiter de cette douce
liberté, j'annonce un écrit périodique, et, croyant n'aller sur les brisées d'aucun autre,.
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