laforgue
Publié le 22/05/2020
Extrait du document
«
CORRIGE : Méditation grisâtre de J.
LAFORGUE
Question 1
Le sonnet Méditation grisâtre nous présente un individu
solitaire confronté à l’ensemble des éléments qui composent la
nature, éléments marin, céleste et aérien, et aussi terrestre,
dépeints grâce à des expressions le plus souvent redoublées
dans le sonnet.
Les caractéristiques de ce paysage correspondent
bien à l’adjectif « grisâtre » du titre, avec « un ciel pluvieux » et « le
grand ciel gris », les « brumes sales » et « le brouillard », « l’Océan
blême » et « la mer » dans la « tourmente », la tempête.
Le vent
ajoute une note dramatique à l’ensemble, avec son « concert
hurlant des mourantes rafales », « les haleines brutales »,
« l’affolement des vents balayant l’air ».
Face aux éléments
grandioses et déchaînés que sont l’Océan, le vent et le ciel, la
terre n’apparaît que très fugitivement par le terme d’« îlot », espace
fragile, perdu, réduit encore par le diminutif, symbole aussi de la
petitesse, de la finitude de l’être solitaire qui s’y trouve assis.
Pour accentuer cette impression, Laforgue utilise trois
prépositions de lieu introduisant les trois éléments, « Sous le ciel »,
« Devant l’Océan », « Dans le concert » : l’individu solitaire semble
soumis, écrasé sous le poids et l’opacité du ciel pluvieux et de la
brume, contraint à un face à face avec l’infini de l’Océan, enfin
enfermé, prisonnier du « concert hurlant des mourantes rafales ».
Cette impression d’enfermement est d’ailleurs confirmée par la
place des expressions définissant le locuteur, au centre du
quatrain - second hémistiche du deuxième vers et premier
hémistiche du troisième vers -, en somme au centre des éléments,
mais aussi enfermé dans sa méditation, dans son spleen.
Enfin cette impression est résumée, après la description, à
un endroit traditionnel dans un sonnet, dans les deux premiers
vers du premier tercet, servant de transition vers la méditation.
Les
éléments sont repris dans le même ordre « le grand ciel gris, le
brouillard et la mer », et le second vers insiste fortement sur la
violence et la tristesse, déjà bien perçues, de l’élément aérien,
« l’affolement des vent balayant l’air ».
Mais ce sont surtout les
deux mots qui débutent les vers, l’adverbe « partout » et le pronom
indéfini « rien que » qui sont importants, car ils joignent l’immensité
et la désolation du spectacle à la solitude du poète.
Question 2
Pour traduire son accablement, sa tristesse devant une
nature en fait à son image, Laforgue construit son sonnet autour
d’un vaste système de reprises ou même de répétitions tant
sémantiques, syntaxiques que sonores.
La grisaille évoquée dès le titre se retrouve dans la plupart
des adjectifs caractérisant le ciel et le brouillard, « pluvieux »,
« noyé », « sales », « gris » ; la souffrance et la mort dans la pâleur
maladive de « l’Océan blême », dans l’agitation des vagues « se
tordant » dans de « longs sanglots », dans la « tourmente », dans
l’effet produit sur le poète « morne ».
Sa solitude est mise en valeur
par des reprises plus nettes encore, « seul » par « solitaire », « loin
de tout » par « perdu ».
La méditation, présente dès le titre, est, elle,
intensifiée par la répétition, au début et à la fin du sonnet, du verbe
« je songe ».
Enfin, l’infini du monde, espace et temps, est suggéré
par la redondance « horizon lointain », par la forte répétition par
juxtaposition de « sans borne », et de l’adverbe « jamais », infini
encore accentué par les points de suspension qui prolongent
encore la souffrance.
Laforgue use aussi des ressources que lui offre la syntaxe,
pour mieux exprimer ses sentiments.
Outre la reprise
anaphorique, déjà évoquée, des prépositions dans le premier
quatrain, il juxtapose dans le premier tercet quatre brèves
propositions nominales
«Partout le grand ciel gris, le brouillard et la mer
«Rien que l’affolement des vents balayant l’air
«Plus d’heures, plus d’humains...
qui sonnent comme un triste constat de sa situation, de
l’omniprésence des éléments et de sa solitude, avant de
construire symétriquement les deux derniers vers, la chute du
sonnet, en évoquant longuement par l’enjambement, l’anaphore de « Et » et la reprise de la lourde subordination par la conjonction
« que », l’infinitude de l’Espace et du Temps.
Plus subtilement, pour suggérer l’amertume du paysage
noyé dans la grisaille et de ses sensations, il utilise une allitération
en [R]
Pa R tout le g R and ciel g R is, le b R ouilla R d et la me R
pour le bruit du vent, son grondement sourd dans la tourmente,
tantôt l’allitération en [R] liée à l’assonance en [AN] dans le
premier quatrain
D AN s le conce R t hu R l AN t des mou RAN tes R afales
tantôt seulement l’assonance en [AN] dans le premier tercet :
Rien que l’affolem EN t des v EN ts balay AN t l’air
et pour le mouvement puissant, mais régulier des vagues, mais
aussi de sa mélancolie, l’allitération en [V], habilement décalée
dans deux vers successifs
Crinière éche V elée ainsi que des ca V ales
Les V agues se tordant arri V ent au galop
Question 3
Pour exprimer à la fois la force des flots de l’Océan et son
tourment intérieur, Laforgue construit le second quatrain sur une
métaphore filée in praesentia, qui compare le déferlement des
vagues à une course de « cavales ».
Le bouillonnement de l’écume
sur le dessus des vagues se transforme en « crinière échevelée »,
la rapidité et la puissance majestueuse du flux en véritable
« galop » de chevaux de race.
Ces vagues finissent par « croul[er] »,
épuisées, et les embruns amers comme les chocs sourds sur îlot
se métamorphosent en « haleines brutales », en halètements
sauvages.
Question 4
Dans Alchimie de la Douleur , Baudelaire mettait l’accent
sur le rôle fréquent de la nature dans l’expression poétique des
sentiments.
Qu’on la considère comme véritablement inspiratrice
ou comme simplement chargée des sentiments propres à chaque
poète, donc moyen d’expression, il envisage deux possibilités : un
lyrisme du bonheur qui chante la « vie » et la « splendeur » de la
nature, un autre du malheur qui ne voit en elle que « deuil » et
« sépulture ».
Comme Baudelaire, Laforgue appartient plutôt à la
seconde catégorie de poètes.
Le titre de Méditation grisâtre est déjà significatif : le terme
de « Méditation » nous plonge dans l’intériorité et la solitude d’une
âme, alors que l’adjectif « grisâtre » annonce la description
symbolique d’une nature triste, froide, un paysage intérieur,
procédé souvent utilisé par les poètes symbolistes, chargé
d’exprimer des sentiments douloureux, et ici des réflexions
métaphysiques sur la finitude de l’homme face au temps et à
l’espace.
Ainsi la description du paysage est-elle en même temps
celle de l’état d’âme et les personnifications nombreuses comme
« l’Océan blême », les « mourantes rafales », « les vagues se
tordant » avec leurs «longs sanglots » s’expliquent facilement.
Prolongées par le choix significatif de « tourmente » pour la nature
qui donne à entendre son quasi-homophone «tourment» chez
l’homme, elles suggèrent une détresse morbide, une lente agonie.
Même si la méditation, soit recherchée par le poète « seul »,
« loin de tout », soit contrainte et due à l’éloignement des autres,
dans un paysage où il ne subsiste « plus d’humains », permet un
apaisement, d’ailleurs suggéré par la reprise affaiblie des
éléments constituant le paysage dans le premier tercet, le
spectacle de cette nature immuable et puissante et la solitude
persistante ne peuvent en définitive qu’accroître le spleen, parfois
entraîner le désir de se fondre, par la méditation ou même la mort,
dans son cycle éternel..
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