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La pièce "Fin de partie" de Beckett est-elle porteuse d'un message ?

Publié le 15/05/2020

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« La pièce "Fin de partie" de Beckett est-elle porteuse d'un message ? Vouloir lire Fin de partie comme un apologue où la fiction serait le support d'une visée critique morale, politique ou philosophique serait un profond contresens, tant Beckett s'efforce de s'éloigner de tout didactisme.

Dans la lettre qu'il adresse à Michel Polac à propos de En attendant Godot, il écrit : « Quant à vouloir trouver à tout cela un sens plus large et plus élevé, à emporter après le spectacle, avec le programme et les esquimaux, je suis incapable d'en voir l'intérêt.

Mais ce doit être possible.

» Comprendre Fin de partie ne peut vouloir dire autre chose que de saisir son caractère incompréhensible.

Beckett y déconstruit la notion de sens, tout en faisant de la quête dusens un jeu à la fois pour les personnages et pour les spectateurs. I.

Fin de partie ou « les poubelles du sens » Certains critiques ont inscrit Beckett à l'index officiel de l'art dégénéré, en vertu de son caractère irresponsable, infantile et coupé dumonde.

En effet, il n'y a aucune référence explicite à l'Histoire dans Fin de partie.

La pièce ne se situe, ni dans une époque historique précise, ni dans un espace repérable.

Or, il n'est pas de drame qui nous parle mieux de notre histoire.

Il est en effet aisé de lire Fin de partie comme une parabole post-atomique : quatre personnages rescapés dans un « refuge » autour duquel l'humanité et l'univers sont peu à peu gagnés par la mort, « un monde en cendres », pour reprendre les mots du peintre fou mais visionnaire, qui aurait en sontemps prédit la guerre et la catastrophe nucléaire. Avec Auschwitz et la bombe atomique sont également remises en question la culture et la philosophie, impuissantes à s'opposer à labarbarie, quand elles n'en ont pas été les complices.

Fin de partie donne ainsi à lire le rejet de la vieille philosophie, désormais inutile avec sa vieille rhétorique, évoquée par Hamm : « J'aime les vieilles questions.

Ah ! les vieilles questions, les vieilles réponses, il n'y aque ça ! » Dans les poubelles de Fin de partie gisent aussi la culture et la philosophie.

Les éléments qui leur sont empruntés sont dépravés en déchets culturels : la culture décomposée est alors réduite à sa simple matérialité, coupée du sens qu'elle présentait.Beckett cite de manière parodique Richard III: « Mon royaume pour un boueux » reprend la dialectique hégélienne du maître et de l'esclave : Clov, en principe le serviteur, ne peut quitter Hamm, son maître, sans s'infliger la mort ; mais aussi l'idée de Husserld'anéantissement du monde.

On trouve aussi, ici ou là, des allusions à l'existentialisme sartrien : Beckett tourne en dérision leproblème de la liberté et du choix, notamment dans la première réplique de Hamm, où celui-ci dit son hésitation à finir.

L'hésitation,répétée mécaniquement, entrecoupée de bâillements, de « temps », semble réduite à sa simple expression tant le personnage est incapable d'agir. Toutes ces références culturelles et philosophiques ne forment plus un système cohérent qui permettrait de penser le monde de façonconstruite et rationnelle.

On assiste à l'éclatement du modèle humaniste qui plaçait la raison humaine au centre d'un monde à samesure et la pensait capable d'éloigner d'elle la barbarie. À la différence des existentialistes qui donnent sens à la perte du sens, avec Fin de partie triomphe le non-sens.

En effet, la perte de sens n'est pas posée en un système cohérent, mais se donne à voir dans la juxtaposition sur scène de personnages infirmes, d'un tas d'ustensiles, d'un bric-à-brac qui n'aplus rien de symbolique.

Ainsi, quand Clov essaie de « fabriquer un peu d'ordre » et dit qu'il « aime l'ordre.

C'est [s]on rêve.

Un mondeoù [...] chaque chose [serait] à sa place dernière », Hamm lui dit aussitôt de « laisser tomber ».

Et Clov de conclure avec un « aprèstout, là où ailleurs ».

Malgré ses velléités, Clov renonce à ordonner les choses pour leur donner une place, parce qu'il n'y a plus d'ordrequi pourrait donner sens aux choses.

Elles sont condamnées à être juxtaposées les unes aux autres. Si l'on cherche à expliquer Fin de partie, il ne faut pas espérer en manifester philosophiquement le sens.

Car son sens « c'êst le non- sens ».

La pièce récuse tout sens transcendant comme une tentation dangereuse : « Une intelligence, revenue sur terre, ne serait-ellepas tentée de se faire des idées, à force de nous observer ? » se demande Hamm.

L'interprétation est présentée comme une tentationà écarter.

Même si la question du sens n'est pas totalement évacuée, elle est traitée comme une blague et s'insère dans le vasteréseau du jeu : à Hamm qui s'inquiète — « Nous ne sommes pas en train de signifier quelque chose ? » Clov répond : « Nous, signifier !Ah ! elle est bonne ! » II.

La perte de sens ouvre au jeu Pourtant, dans ce triomphe du non-sens, le jeu sauve la pièce de l'absurde et se présente comme la « négation de la négativité ».Quand Hamm se lance dans une réflexion sur le sens que pourraient présenter les personnages qu'ils sont conscients d'incarner, Clov «sursaute », « commence à se gratter le bas-ventre des deux mains » et annonce qu'il a « une puce ».

La question du sens est aussitôtévacuée pour laisser place au jeu théâtral, à la pantomime de Clov qui se gratte, quitte la scène et revient avec un « carton verseur »,au changement de ton de Hamm dont la philosophie se dissout dans l'inquiétude de la puce, et au calembour sur « coït » et « coite ».Ainsi, dès que l'absurde pourrait être tenté de se dire de manière articulée, il est rattrapé par le jeu théâtral, qui le déconstruit etl'emmène ailleurs. Contrairement à Sartre dont les pièces parlaient du non-sens dans une forme construite, sans audace, et où la perte de sens n'existaitfinalement que pour les personnages, chez Beckett, l'effondrement du sens s'accompagne de l'effondrement du drame : plus d'intrigue,plus de péripéties.

Les spectateurs assistent comme les personnages à un jeu dont ils ne saisissent pas bien les règles : «Qu'est-ce quise passe, mais qu'est-ce qui se passe ? » se demande le spectateur avec Hamm.

« Tu sais ce qui s'est passé ? [...] Moi, je ne sais pas.» D'ailleurs l'« intelligence revenue sur terre » et qui pourrait être tentée de comprendre ce qu'ils signifient, ne s'aventure pas plus loinque de déclarer : «Je vois ce que c'est, je vois ce qu'ils font.

» Elle en est réduite à l'observation visuelle des gestes, qu'elle n'essaienullement d'interpréter.

L'intrigue ordonnée où chaque élément est tendu vers le sens est remplacée ici par une succession deséquences, où les spectateurs comme les personnages font l'expérience dans leur chair de ce « quelque chose [qui] suit son cours »,qu'on ne peut ni nommer ni définir, mais qui s'impose en termes de jeu. Avec Fin de partie, Beckett écarte l'idée d'un « message » à délivrer « avec le programme et les esquimaux ».

Le sens se dérobe sans cesse, ouvrant la place au jeu et à un théâtre où la perte du sens est donnée à vivre et pas seulement à penser.. »

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