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La mort solitaire du père : pp.237-238 (pp.480-484) « Aucune répondit le vieillard en se dressant sur son séant. » à « Et me voilà à la porte de mes filles. »

Publié le 02/12/2021

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La mort du père Goriot est la conclusion logique de toute l’action qui conduit le personnage de l’amour passionné, à la dépossession de soi, à l’expérience de l’ingratitude jusqu’à la mort misérable et solitaire. Goriot passe de l’état de celui qui compte car il a la fortune à l’abandon le plus total, au mépris de tous. 

1)Précédant la mort, un instant de lucidité saisit Goriot, il atteint une connaissance en profondeur de tout son parcours. 2) L’argent, la richesse sont l’équivalent de l’énergie vitale qui l’a progressivement abandonné jusqu’au dénuement et à la mort. 3) Même dans l’agonie solitaire il reste l’amant passionné de ses filles dont il attend encore et malgré tout, la visite.

 

1)La lucidité du mourant :

a)Connaissance et savoir prennent une place essentielle dans l’agonie du père. Il semble être parvenu à un moment de lucidité qui éclaire sa vie entière. Une légende veut qu’au moment de la mort, l’agonisant saisisse en un court instant le contenu de toute sa vie. C’est ce qui arrive à Goriot, il parvient à une vision claire de ce que sont devenues ses filles et de ce qu’il est devenu pour elles. « Je le savais «, « Il faut mourir pour savoir ce que c’est que des enfants « Le vocabulaire de la connaissance se développe conjointement avec celui de la mort : « Je sais cela depuis dix ans. « La vie apparaît comme une illusion volontaire, un aveuglement. Goriot avait sous les yeux l’échec et le naufrage qu’il est en train de connaître, mais il ne voulait pas y croire : « Je me le disais quelquefois, mais je n’osais pas y croire. « La vie est une recherche de cette connaissance que n’apporte que la mort : « J’aurais voulu tout savoir, mais ce que j’ai bien su, c’est que j’étais de trop sur terre. «

b)Sa vie durant Goriot faisait des affaires uniquement dans l’idée de réunir une fortune à ses filles, maintenant qu’il va mourir ce sont ses filles « qui ont des affaires «, mais ces affaires sont l’indifférence qu’elles ont pour leur père : «  elles dorment «. « Un fils est un créancier donné par la nature « fait dire Stendhal au père de Lucien Leuwen dans le roman éponyme, Goriot a été plus qu’un banquier pour ses filles. Un banquier ne se ruine pour ses clients, le marchand de farine a tout donné, il s’est ruiné pour Anastasie et Delphine, il arrive à la claire connaissance que seule sa richesse les attachait à lui : « Ah ! si j’étais riche, si j’avais gardé ma fortune, si je ne la leur avais pas donnée, elles seraient là, elles me lècheraient les joues de leurs baisers ! « La formule lucide auquel parvient sa connaissance en ces quelques mots : « L’argent donne tout même des filles «

c)La contre formule de la précédente, la réciproque est que seul le miséreux est certain de l’amour qu’on lui porte, celui des filles Goriot était faux. Seul celui qui n’a rien connaît la nature des sentiments que lui porte son entourage : « Au moins quand un malheureux est aimé, il est bien sûr qu’on l’aime « Il a voulu acheter l’amour de ses filles, il n’en a eu que pour son argent, comme des prostitués, filles et gendre n’ont rendu en affection et considération fausse qu’au pro rata de ce qu’il leur donnait : « Je venais de leur donner à chacune près de huit cent mille francs, elles ne pouvaient pas, ni leurs maris non plus, être rudes avec moi. L’on me recevait : « Mon bon père, par-ci ; mon cher père, par-là. « (…) Enfin je dînais avec leurs maris, qui me traitaient avec considération. « Goriot voit clairement la vénalité de ceux à qui il a tout sacrifié : « Et l’on était aux petits soins, mais c’était pour mon argent. « Sa capacité d’être aimé, sa force résidait tout entière dans sa fortune. Il est arrivé au point où il ne lui reste plus aucun moyen d’acheter une quelconque considération.

 

2)L’argent expression de l’énergie vitale :

a)La science médicale, à l’époque de Balzac, est encore à la recherche de l’énergie vitale, c’est-à-dire une substance dont l’épuisement est le cours de la vie. Une substance dont la quantité diminuerait tout au long de la vie, comme la peau de chagrin dans le roman éponyme. Cette idée de l’énergie vitale est présente dans plusieurs romans de Balzac, La peau de chagrin déjà cité, Séraphita, dans Le père Goriot c’est l’argent qui exprime cette énergie vitale. C’est la passion paternelle du père Goriot qui illustre le mieux l’union du c' ur et de la caisse, soit le rapport entre l’argent et l’énergie vitale. La concentration intense de passions et de richesse a été compensée par une dépense excessive de sentiments qui provoque en même temps la ruine matérielle du père Goriot : plus il aime, plus il se ruine. L’amour est donc une dépense dont il eût dû se garder : « Un père doit être toujours riche, il doit tenir ses enfants en bride comme des chevaux sournois. « 

b)Goriot exprime la dépense de l’énergie qui l’a conduit à la mort en deux remarquables antithèses en parallélisme : « Vous leur donnez la vie, ils vous donnent la mort. « et : « Vous les faites entrer dans le monde, ils vous en chassent « Les deux formules reprennent la même idée mais avec une nuance, le monde dans lequel Goriot a fait rentrer ses filles, c’est la haute société parisienne, celle même dont elles et leurs maris l’ont exclu, mais c’est bien sûr aussi une métaphore de la vie et de la mort : (entrer dans le monde, en être chassé). Par les enfants, Goriot a perdu l’énergie de sa vie et la vie elle-même en perdant son argent. Raphaël meurt plus riche qu’il ne l’a jamais été parce qu’à chacun de ses v' ux la peau de chagrin qui représente son énergie vitale se rétrécit. Goriot à chacun des désirs et caprices de ses filles est devenu plus pauvre et il meurt seul parce qu’il ne lui reste plus rien. L’un meurt plus riche qu’il ne l’a jamais été, l’autre plus pauvre. En épuisant son argent il a épuisé son énergie vitale.

c)L’argent du père Goriot devient un symbole de sa substance vitale, et même sexuelle : « Le bonhomme (il va voir sa fille) descendit le premier et jeta dix francs au cocher, avec la prodigalité d’un homme veuf qui, dans le paroxysme de son plaisir, ne prend garde à rien. « (p.394, l.18) Pour rester riche, il faut contrôler ses passions : « Ah ! si j’étais riche, si j’avais gardé ma fortune, si je ne la leur avais pas donnée «. L’épuisement de sa fortune illustre le lien inextricable entre argent et sexualité. Il coïncide avec le désespoir et la déchéance où le jette l’abandon de ses filles : « J’avais trop d’amour pour elles pour qu’elles en eussent pour moi. «. « Homme à passions « (p.144, l.24) selon Vautrin, il vendrait tout pour Anastasie et Delphine : «  … Moi, moi qui vendrais le Père, le Fils et le Saint Esprit pour leur éviter une larme à toute deux ! « (p.308, l.22) Ce sentiment trouve son corollaire dans l’attitude mercenaire de ses filles : « Je les aime tant, que j’avalais tous les affronts par lesquels elles me vendaient une pauvre petite jouissance honteuse. « (p.486, l.19-20) Madame de Restaud a « escompté jusqu'à la mort de son père « (p.464, l.2). L’équilibre du Tout se paie se manifeste doublement dans le cas de Goriot : ayant tout donné '  sa vie comme son argent '  il meurt. En même temps, tout ce qu’il a donné est passé du côté de ses filles. Le principe des vases communicants s’applique là aussi. La seule chose qui ne s’écoule pas de lui ce sont les larmes, elles roulent dans ses yeux sans parvenir à en tomber : « Une larme roula dans chacun de ses yeux, sur la bordure rouge, sans en tomber. « Cette larme dans chaque ' il représente tout ce qu’il lui reste, le chagrin qu’il gardera pour lui sans pouvoir en faire part à ses filles.

 

3)L’amour jusqu’à la mort :

a)Le père Goriot comprend, dans son agonie, qu’il meurt pour avoir refusé de tempérer son amour par le calcul, qui est la négation de l’amour : « Ah ! mon ami, ne vous mariez pas, n’ayez pas d’enfants. « Il aurait dû tenir à distance celles qui l’ont vidé de sa substance : « Un père doit être toujours riche, il doit tenir ses enfants en bride comme des chevaux sournois « Mais s’il reconnaît son erreur, il reste prêt à y replonger aussitôt : « Non, je voudrais être riche, je les verrais. « La richesse devient une obsession, et les mots « riche «, « richesse « reviennent à tous moments dans la bouche du mourant, parce que l’argent seul pourrait lui redonner ses filles. Il ne parvient pas à les condamner, même lucide, conscient de leur vénalité, il souhaite pouvoir encore leur donner pour les avoir prêt de lui, comme il l’a toujours fait en toute connaissance de cause : « Je voyais bien que c’était des frimes ; mais le mal était sans remède. «

b)A aucun moment la révolte ne va jusqu’au rejet de celles qu’il continue d’aimer. Il connaît leur caractère : « Elles ont toutes les deux des c' urs de roche. « Il va jusqu’à les traiter de « Les misérables ! « Mais l’expression a un double sens, elle exprime à la fois l’indignité, mais aussi la pauvreté. Goriot, Christ de la paternité, ne peut que pardonner : « j’aime mieux mon abandon et ma misère ! « Le père Goriot meurt de ses péchés, de sa faiblesse pour ses filles, et des crimes de celles-ci, qu’il prend sur lui. Abandonné par elles, il se trouve dans la situation du Christ sur la croix : «  Eli, Eli, lama sabachtani (Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné) « se retrouve dans «  Voilà ma récompense, l’abandon « (p.492, l.1) et dans notre texte : « Et me voilà à la porte de mes filles. « Mais le vrai responsable du martyre que souffre Goriot : « Oh ! je souffre un cruel martyre ! «, c’est l’institution du mariage : « Ah ! mon ami, ne ceux qui ont changé Anastasie de Restaud et Delphine de Nucingen : « Aussi quand quelques-uns de ces gens du monde demandaient à l’oreille de mes gendres : - Qui est-ce que ce monsieur-là ? '  c’est le père aux écus, il est riche. '  Ah, diable ! disait-on, et l’on me regardait avec le respect dû aux écus. «

c)Plus loin dans son délire le père Goriot est prêt à repartir à Odessa pour refaire fortune et fournir aux besoins de ses filles : « J’irai faire des pâtes d’Italie à Odessa. « (p.490, l.9) Les êtres adorés ne peuvent être vraiment coupables. L’univers de l’agonisant n’est plus peuplé que des dépouilles d’une vie sacrifiée, consumée par une passion non partagée, et le délire entraîne tout dans un vertige de l’anéantissement : « Je souffre en ce moment ce qu’il faut souffrir pour mourir (…) eh bien ! ce n’est rien en comparaison de la douleur que m’a causée le premier regard par lequel Anastasie m’a fait comprendre que je venais de dire une bêtise qui l’humiliait « Par un paradoxe subtil, le père Goriot s’éteint à cause d’un feu intérieur allumé par l’ingratitude de celles par qui la flamme de la passion n’a plus été alimentée, véritable chiasme symbolique, voire oxymore qui dit la contradiction fondamentale de la paternité devenue folie : « Il faut mourir pour savoir ce que c’est que des enfants. « Goriot ponctue son agonie cris de souffrance, mis typographiquement entre parenthèses : « (Oh ! je souffre un cruel martyre !) « et « (Ma tête est une plaie !) « Pourtant, alors même que se décompose la raison de Goriot, son discours fait sens, non seulement parce que le délire et la passion obéissent à leur logique, mais aussi parce que le père parle lucidement de sa folie et de la force moderne de l’intérêt et de l’argent qui tuent les relations familiales.

 

L’agonie du père Goriot illustre ce qu’entend Balzac par « Drame moderne «. Dramatique, ce passage l’est, incontestablement. Scène à faire, morceau de bravoure, développement obligé, il combine l’écriture d’un langage qui parle la douleur et l’appel frénétique '  fréquence des exclamatifs, rythme saccadé, voire haletant, inscription du corps grâce aux ralentissements, aux ruptures '  et des marques stylistiques qui rappellent les clichés du mélodrame ou du roman populaire. La modernité, elle, apparaît dans la situation. Si le thème du père abandonné n’a rien d’original, il est renouvelé par sa portée idéologique, par l’accumulation et la synthèse des réseaux de signification mis en place par tout le roman : la pension Vauquer, les parcours sociaux, l’ambition, l’amour… Structurellement, la mort de Goriot est une résultante, et thématiquement, une confirmation logique. Il meurt à cause de lui et des autres, à cause du monde tel qu’il est, de l’histoire telle qu’elle s’est développée. Goriot peut désormais prendre place parmi les victimes de la passion, cette force nécessaire et fatale, victimes modernes, et Rastignac parmi les conquérants qui convertissent leur énergie en ambition pratique, héros modernes. L’antithèse, la contradiction de ces figures déterminent un champ de forces, dont la circulation organise la société moderne.

 

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