KIM-VAN-KIÉU
Publié le 16/05/2020
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«
guyen Phan Chanh :
Jeune
tille lavant des légumes
(Coll.
du
Dr
Montel).
KIM-VAN-KIÉU.
Poème de N g u yê n -
Du, mandarin et poète viêt-namien (1765-1820).
Composé de 3.254 vers sur le rythme de six-huit
(vers de six et de huit pieds alternés), ce poème est
considéré à juste titre comme le chef-d'oeuvre de
la poésie classique viêt-namienne.
Le titre de
l'oeuvre est tiré des noms mêmes des principaux
personnages du poème : Kim-Trong, Thuy-V ân
et Thuy-Kiêu.
Outre cette appellation commu-
nément connue, l'oeuvre de Nguyên-Du porte
encore divers titres, selon les éditions, tels que :
Truyên Thuy-Kiêu [Histoire de Thuy-Kiêu]
ou
Doan-Truong Tan-Thanh [La nouvelle voix des
coeurs trisésl.
Kim Vein-Kiêu,
est tiré d'un obscur
roman chinois, mais, Nguyên-Du, par son génie
et la magie de son verbe, a totalement métamor-
phosé l'oeuvre originale et l'a recréée, lui donnant
une vie propre, une âme nouvelle.
Au moment
où le viêt-namien sortait à peine de sa condition
d'idiome inférieur, parlé seulement par le peuple
— la langue des lettrés étant alors le chinois, tout
comme le latin par rapport au francais des
premiers temps — c'est le mérite de Nguyên-1)u
d'avoir su, par un art dont il possédait seul le
secret, donner à la langue nationale une richesse
et une musicalité inconnues, en faire un instru-
ment supérieur au service de son inspiration et
s'élever d'emblée à des sommets jamais encore
atteints, même de nos jours.
Kim-1
-
4n-Kiêu
est
l'illustration de la thèse soutenue par l'auteur,
d'après laquelle les êtres supérieurs sont toujours
victimes des rigueurs du Destin.
En effet, dès les
premiers vers du poème, Nguyên-Du pose en
axiome la loi dite « de compensation », qui veut
que les personnes favorisées sous le rapport du
talent et de la beauté soient inéluctablement
vouées au malheur et que « le Ciel bleu poursuive
de sa jalousie implacable les joues roses ».
Thuy-Kiêu, l'héroïne du drame, est une jeune
fille de seize ers, d'une beauté remarquable et
qui a reçu en partage tous les dons de l'esprit.
Issue d'une famille bourgeoise, celle des Vuong,
elle a une soeur cadette, Thuy-Vân, qui lui cède
à peine en grâces et en séductions, et un jeune
frère, Vuong-Qua,ng, qui s'est déjà fait un nom
dans le monde des lettres.
Un jour de printemps,
à l'occasion de la fête de la Toilette des Tom-
beaux, ils font, tous trois, une promenade en
montagne.
Ils s'arrêtent devant une tombe aban-
donnée, celle de Dam-Tiên dont l'histoire leur
est racontée.
Celle-ci, une cantatrice de renom,
qui eut son heure de célébrité et une foule
innombrable d'admirateurs, a été enlevée dans la
fleur de l'âge, et sa sépulture est maintenant
délaissée de tous.
Cette ingratitude du sort et
l'inconstance des hommes frappent vivement
Thuy-Kiêu, qui verse quelques pleurs et compose
un poème à la mémoire de l'infortunée.
Sur la
route de retour, ils font la rencontre d'un ami
de Vuong-Quang, Kim-Trong, aussi beau cavalier
que galant homme, et par surcroît, fin lettré.
Cette brève rencontre suffit à faire germer dans
les deux jeunes coeurs un tendre sentiment,
cependant encore confus.
Rentrée chez elle et
sous le coup des impressions de la journée,
Thuy-Kiêu voit en songe I)am-Tiên qui vient à
elle, pour la remercier d'avoir compati à son sort
et de lui avoir dédié un poème.
Elle lui révèle
en même temps que son nom à elle, Thuy-Kiêu,
est également inscrit dans le « Tableau des
Coeurs brisés », et qu'on ne saurait échapper à sa
destinée.
Thuy-Kiêu se réveille toute bouleversée
et tremble pour son avenir.
De son côté, Khn-
Trong ne peut détacher ses pensées de la radieuse
apparition et cherche à, se rapprocher de l'élue
de son coeur.
Il vient s'installer près de chez
Thuy-Kiêu, réussit à, la joindre et à lui avouer
ses sentiments.
Une tendre idylle s'ébauche entre
les deux jeunes gens qui se jurent un amour
éternel.
Mais les malheurs ne tardent pas à
s'abattre sur les infortunés amants.
Kim-Trong
apprend la nouvelle du décès de son oncle et
doit rentrer précipitamment dans sa province
lointaine.
Pendant ce temps, le père de Thuy-
Kiêu est victime d'une accusation calomnieuse
et jeté en prison.
Pour racheter la peine de son
père, Thuy-Kiêu n'a plus qu'une ressource : se
vendre.
Le marché est conclu avec un aventurier
peu recommandable, du nom de Ma Giam Sanh,
qui fait l'acquisition de la jeune fille soi-disant
pour en faire sa femme, en réalité pour abuser
d'elle et la remettre ensuite entre les mains d'une
tenancière de maison close, la hideuse Tu-Ba,
avec qui il a partie liée.
Au comble de la honte
et du désespoir, Thuy-Kiêu tente de se donner
la mort.
Elle y échappe de peu.
Machiavélique,
Tu-Ba cherche alors à la rassurer, l'installe à
part, dans une villa retirée, et promet de veiller
sur son avenir.
Pour arriver à ses fins, Tu-Ba
s'abouche avec un vaurien, So-Khanh, le type
même du Don Juan de bas étage, qui, grâce
à un subterfuge, parvient à capter la confiance
de Thuy-Kiêu en se posant comme un redresseur
de torts.
Elle consent à fuir avec lui.
La pauvre
Thuy-Kiêu tombe ainsi, sans la moindre défiance,
dans le piège : abandonnée à mi-chemin, elle
est reprise par Tu-Ba, convaincue d'escapade et
d'inconduite, et obligée de se soumettre à son
triste sort.
Trois années durant, Thuy-Kiêu connaît toutes
les humiliations et les amertumes inhérentes à sa
malheureuse condition.
Cependant, elle distingue,
parmi les habitués du lieu, un riche et jeune
commerçant, nommé Thuc -Sinh , qui s' éprend
d'elle, la rachète au prix fort et en fait son
épouse de second rang.
Alerté par des bruits
malveillants, le père de Thuc-Sinh, Thuc-Ong,
vient exiger de son fils le renvoi de l'intruse, et
devant le refus de ce dernier, la fait traduire en
justice.
Conduite devant le tribunal, Thuy-Kiêu
désarme juges et beau-père par sa beauté et ses
talents littéraires.
Mais un autre danger l'attend :
Hoan-Thu, femme principale de Thuc-Sinh,
intervient à son tour, et de main de maître.
S'étant emparée de Thuy-Kiêu, elle la ramène
chez elle, l'habille en domestique et la présente
à son époux comme une servante qu'elle vient
d'engager, lui fait jouer de la guitare pour
distraire le seigneur et maître, avec menace de
coups de rotin si celle-ci ne parvient pas à le
dérider, et savoure en silence la nouvelle situation.
Craignant le pire, Thuy-Kiêu s'échappe de la
maison de Hoan-Thu.
Elle est recueillie par une
religieuse, Giac-Duyên, qui, n'osant pas l'héberger
longtemps, la confie à une de ses ouailles,
Bac-Ba, connue pour sa dévotion.
En fait, Bac-Ba
n'est qu'une trafiquante de jeunes beautés et n'a
rien de plus pressé que de la vendre à une
maison de rendez-vous.
C'est ainsi que la malheu-
reuse Thuy-Kiêu retombe, pour la seconde fois,
à l'état de pensionnaire de « maison bleue ».
Plusieurs années s'écoulent ainsi, sans incidents
notables, lorsqu'enfin Thuy-Kiêu fait la connais-
sance de Tu-Hai, un aventurier de haut rang,
au port prestigieux, à l'âme indomptable et
magnanime, et hanté de vastes projets.
Devinant
en Thuy-Kiêu une nature d'élite malgré sa
condition du moment, Tu-Hai la prend pour
épouse.
Après une courte lune de miel, Tu-Hai
prend congé d'elle pour courir la grande aventure.
Il lève une armée, conquiert à la pointe de l'épée
un grand nombre de provinces et de citadelles
et se proclame Grand Roi.
Comblée de richesses
et d'honneurs, Thuy-Kiêu profite de la toute-
puissance de Tu-Hai, pour récompenser dignement
ses anciens bienfaiteurs et tirer une éclatante
vengeance de ses méchants persécuteurs.
Mais elle
n'est pas encore au bout de ses peines, et de
nouveau, la roue fatidique tourne inexorablement.
Tu-Hai est attiré dans un guet-apens tendu par
Hô-Tôn-Hiên, grand dignitaire à la Cour, chargé
de la répression, et tué par trahison.
Thuy-Kiêu
tombe entre les mains des vainqueurs, connaît
de nouveaux affronts et se voit finalement
attribuée à un chef de tribu.
Ayant vidé la
coupe jusqu'à la lie et ne pouvant plus survivre
à.
tant de hontes et d'amertumes, elle décide de
mettre fin à ses jours et se jette dans le fleuve
Tiên-Duong.
Mais elle est miraculeusement sauvée
par la religieuse Giac-Duyên qui, avertie par un
message divin, est arrivée à temps pour la retirer
des eaux.
Désormais, Thuy-Kiêu, purifiée par son
suprême holocauste et libérée de la chaîne du
destin, — son nom ayant été effacé du « Tableau
des Coeurs brisés », — vivra chez la bonne religieuse
et connaîtra, à l'ombre de Bouddha, la sénérité
du coeur et la paix de l'âme.
De son côté, Kim-Trong, après le deuil de son
oncle, revient chez Thuy-Kiêu, pour apprendre
l'affreuse tragédie.
Il fait faire des recherches de
tous côtés, mais ne peut obtenir aucune trace
de sa bien-aimée.
De guerre lasse, il doit se
conformer au dernier voeu de Thuy-Kiêu, exprimé
au moment où elle quittait le foyer paternel,
de voir sa soeur Thuy-Vân renouer avec Kim-
Trong le fil de ses amours tragiquement inter-
rompus.
Il épouse donc la douce Thuy-Vân, sans
pour cela oublier sa première passion.
Reçu peu
après aux concours triennaux, ainsi que Vuong-
Quang, et nominé préfet, il ne cesse, au cours
de ses pérégrinations, de faire des investigations,
de •recueillir des renseignements et parvient à
reconstituer l'odyssée de Thuy-Kiêu jusqu'au
moment de son suicide dans le fleuve Tiên-
Duong.
La croyant définitivement morte, il fait
célébrer un grand sacrifice expiatoire à sa
mémoire.
Survient Giac-Duyên la religieuse qui,
lisant le nom de Thuy-Kiêu sur les tablettes de
culte, dévoile la vérité à Kim-Trong et la conduit
auprès de la belle ermite.
Ainsi, après quinze
années de tribulations et d'avatars de toutes
sortes, Thuy-Kiêu et Kim-Trong se trouvent
de nouveau réunis.
Toutefois, ils décident, à, la
demande de Thuy-Kiêu, et en considération du
grand amour qu'ils ont vécu jadis, de consacrer
seulement leur union par une noble et pure
amitié.
On a voulu trouver une base autobiographique
au chef-d'oeuvre de Nguyên-Du.
En effet, l'auteur
lui-même, d'abord attaché à la cause de la
dynastie déchue des Lê, fut contraint de servir
la nouvelle dynastie des Nguyên et se trouva
ainsi manquer à ses devoirs de fidélité tradition-
nelle, telle Thuy-Kiêu qui, après avoir juré sa
foi à, Kim-Trong, a dû se plier aux circonstances
et faillir à son premier amour.
L'un et l'autre
ne se sont jamais consolés de cette concession à
l'immédiat et gardent la profonde nostalgie d'un
passé révolu.
Quelle est la part de vérité dans
cette assertion ? Il est assez malaisé de la déter-
miner avec exactitude.
Toujours est-il que
Nguyên-Du a mis dans cette oeuvre tout son
coeur, toute sa flamme, sa virtuosité, et est arrivé
à une réussite sans précédent.
Le
Kim-Vân-Kiêu,
écrit au début du siècle dernier, garde toujours
une fraîcheur étonnante et reste le chef-d'oeuvre
jamais égalé de la littérature viêt-namienne,
moins par le sujet et l'intrigue en elle-même que
par l'art de la composition, — un art subtil et
nuancé qui a permis à l'auteur de rendre avec
un bonheur égal toutes les situations, même les
plus scabreuses, — l'analyse des sentiments, la
peinture des personnages qui restent des types
éternels : Tu-Ba, So-Khanh, etc..., enfin, et
surtout, par une langue extrêmement pure et la
forme impeccable des vers, à tel point que des
distiques, et même des strophes entières, du
Kim-Vân-Kiêu
sont sur les lèvres de tous les
Viêt-namiens, si simples et si frustes soient-ils,
et que beaucoup de vers en sont passés à l'état
de proverbes.
Pour chaque situation, pour chaque
circonstance de la vie, on trouve un vers ou un
groupe de vers appropriés, qui tient lieu de
citation littéraire, pour l'homme du peuple
comme pour le lettré.
Il n'est pas ou peu
d'exemple, dans aucune langue, d'une oeuvre
aussi connue et aussi populaire.
Les gens supers-
titieux en font même leur livre d'oracles.
Il est
d'autre part impossible de citer, tant ils sont
nombreux, tous les ouvrages inspirés du
Kim-
Vân-Kiêu
ou le prenant pour thème et pour
modèle.
Plusieurs traductions en français de l'oeuvre
de Nguyên-Du ont été publiées.
Citons parmi
les plus connues :
Histoire de Kim, Vân et Kiêu,
transcrite et publiée par Edmond Nordemann,
Leroux, 1904 ; —
Poème
du
Kim-Vân-Kiêu,
transcrit en Quôc-ngu, avec des notes explicatives
par P.J.B.
Truong-Vinh-Ky, Imprimerie du
Gouvernement (Saïgon, 1875) ; —
Les poèmes de
l'
Annam.
Histoire de Kim-Vdn-Kiêu,
traduit et
publié par Abel des Michels, Publications de
l'
École des Langues Orientales vivantes, II
e
série,
Vol.
XIV et XV, Éditions Ernest Leroux (Paris,
1884-1885) ; —
Kim-Van-Kiêu,
traduction en
français
par Nguyên Van Vinh, Éditions
Alexandre de Rhodes (Hanoï, 1942) ; —
Kim-
Vân-Kiêu, le célèbre poème annamite de Nguyên-
Du,
traduit en vers français par René Crayssac,
Imprimerie Lê-Van-Tân (Hanoï, 1927)..
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