Jean GIONO, Voyage en Italie
Publié le 13/07/2020
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« (L'auteur voyage en Italie avec sa femme et un couple d'amis). Nous avons assisté sur la place Saint-Marc à un concert donné par la Musique municipale de Venise. C'était la cacophonie la plus décidée du monde. Les musiciens sont arrivés les uns après les autres, en boutonnant leur tunique. Quand un petit monsieur qui était le chef a jugé qu'il avait tous ses éléments, il a, sans autre forme de procès, levé sa baguette et les instrum ents se sont mis à pousser des cris. Il était impossible de mettre un nom sur ce bruit. La place était noire de monde et j'ai pensé qu'il allait y avoir une révolution. Pas du tout : les gens ont continué leur promenade comme si tout était pour le mieux. A la terrasse du Florian(1) où nous étions assis, en compagnie d'une très nombreuse assemblée, jétais près d'un pilier qui dissimulait un dilettante (2). Il était dans le ravissement. Je n'ai jamais vu visage plus heureux. Les manifestations de son bonheur atteignaient même une sorte d'impudeur obscène. J'en suis venu à me demander si je n'étais pas fou moi-même, et il a fallu pour me rassiurer que j'aille regarder sur le programme le nom du morceau qu'on jouait. C'en était un fort célèbre, queje connais naturellement et que même je fredonne. Les beuglements faux des trombones et l'horribie piaillerie sans mesure de tout Je reste n'étaient donc pas le fait d'un chef-d'oeuvre moderne qui aurait eu ses fervents. II m'a fallu assez de temps avant de comprendre que toute l'assistance était en représentation et qu'on jouait la volupté. Je suis persuadé que mon (dilettante aime Mozart. Dans les entractes, il balançait sa chaise de façon à placer son visage dans l'ombre. C'était pour se reposer de feindre. Quand il se remettait en lumière, il ne dominait pas tout de suite une bouche très sensible. Ici, ce n'est pas «pour le tsar et pour la patrie » (3) qu'il y a des héros: c'est pour la galerie. ...»
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