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Jacques Audiberti

Publié le 09/12/2021

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Jacques Audiberti 1899-1965 La poésie et le roman sont les deux chemins qui, plus ou moins conjugués, ont conduit Jacques Audiberti vers le théâtre. En eux résident les sources de sa richesse dramatique, parfois de son ambiguïté. Ces trois formes d'expression sont d'ailleurs traversées par un même courant d'énergie que ne modifie pas la particularité des genres littéraires et qui provient de la vitalité d'un langage où les mots sont comme fécondés par une réévaluation de leur plénitude. Significations, coloration, relief, double fond, mystère, absurdité d'un mot, apparaissent dans le langage d'Audiberti avec une égale force persuasive qui multiplie en les superposant les niveaux où chemine la pensée du lecteur ou du spectateur. Sans doute est-ce là l'effet d'une articulation de l'esprit essentiellement poétique. Et si l'on partage cette opinion que toute chose ne peut être réveillée de son inanimation mortelle que dans la mesure où la pensée s'en empare pour lui assigner une désignation, on comprend qu'Audiberti ait écrit (dans La Nouvelle Origine) que "la poésie est l'énergie du monde", car nul autre langage que le langage poétique ne peut projeter les choses dans autant de directions. Mais il ne manque pas non plus de situer la poésie à l'écart de toutes les directions en disant qu'elle est "la différence entre l'absolu de l'inconnaissable et le mensonge de l'évidence".


« Jacques Audiberti1899-1965 La poésie et le roman sont les deux chemins qui, plus ou moins conjugués, ont conduit Jacques Audiberti vers le théâtre.

En eux résident les sources de sarichesse dramatique, parfois de son ambiguïté.

Ces trois formes d'expression sont d'ailleurs traversées par un même courant d'énergie que ne modifie pas laparticularité des genres littéraires et qui provient de la vitalité d'un langage où les mots sont comme fécondés par une réévaluation de leur plénitude.Significations, coloration, relief, double fond, mystère, absurdité d'un mot, apparaissent dans le langage d'Audiberti avec une égale force persuasive quimultiplie en les superposant les niveaux où chemine la pensée du lecteur ou du spectateur. Sans doute est-ce là l'effet d'une articulation de l'esprit essentiellement poétique.

Et si l'on partage cette opinion que toute chose ne peut être réveillée deson inanimation mortelle que dans la mesure où la pensée s'en empare pour lui assigner une désignation, on comprend qu'A udiberti ait écrit (dans LaNouvelle Origine) que "la poésie est l'énergie du monde", car nul autre langage que le langage poétique ne peut projeter les choses dans autant dedirections.

Mais il ne manque pas non plus de situer la poésie à l'écart de toutes les directions en disant qu'elle est "la différence entre l'absolu del'inconnaissable et le mensonge de l'évidence". On trouve, d'autre part, chez l'auteur d'Urujac et de La Nâ, un goût du réalisme en quoi se révèle une position ou plutôt un mouvement de la pensée opposé àcelui de la pensée poétique, lequel dénote souvent une conduite de recul par rapport à la vie.

Comme dans les toiles de ces peintres où l'imagination endélire confronte ses fantasmes à quelques objets traités en trompe-l'oeil, on voit alors deux styles et même deux vocabulaires se partager l'oeuvred'Audiberti, le rare, l'extravagant et l'inconnu se mêlant au familier et au populaire en un brassage d'images et de mots où réalisme et surréalisme cessentde représenter des principes de vision contradictoires.

Le ton, le rythme d'une chanson, voire d'une comptine enfantine, s'accordent ainsi avec l'inventionmystérieuse d'un mot, comme en fournissent plusieurs exemples les poèmes réunis sous le titre Des tonnes de semence. C'est également par une dissipation de l'antinomie qui les sépare qu'Audiberti mélange le tragique et l'humour dans un dosage dont les variations d'équilibresemblent dénoncer l'incohérence avec laquelle la vie elle-même se charge souvent de les combiner.

Son hostilité à l'égard de toutes les formes abusives dupouvoir et de tous les dogmatismes d'une morale bureaucratisée s'exprime de préférence par une ironie qui ruine d'un trait la vanité d'un personnage oud'une institution.

Plus encore que la méchanceté des hommes, ce qui l'étonne et contre quoi s'exercent ses sarcasmes, c'est leur hypocrisie et leurabsurdité.

Au milieu de tous les malentendus qui obscurcissent les choses, il cherche à y voir clair à l'aide de définitions malicieuses.

"Les grandes écolesmilitaires, écrit-il dans l'Abhumanisme, ont pour objet principal de faire passer la guerre pour quelque philosophie ou géométrie sans rapport avec lespompes funèbres." L'imagination linguistique et la sensibilité poétique, la prose scintillante et virulente, le réalisme du quotidien, l'humour parfois noir, le franc-parler et laviolence, c'est tout cela que nous retrouvons dans le théâtre d'A udiberti, un peu pêle-mêle et sans que l'auteur se montre soucieux de logique, mais avecune virtuosité de dialogue qui devait beaucoup contribuer à lui attirer, à partir de 1947, année de la création d'une de ses pièces les plus solides, Le Malcourt (il avait alors quarante-huit ans), la faveur d'un public que ses poèmes et ses romans n'avaient guère suscitée. Dans l'oeuvre de tout écrivain, les thèmes les plus manifestes ne sont pas toujours ceux où réside son originalité véritable.

Il faut souvent la chercher dansune zone plus profonde, exprimée comme à son insu dans un courant souterrain de pensée et de hantise.

C'est là que se reflète obscurément sa plussecrète, parfois sa plus émouvante personnalité.

Un miroir est caché comme un piège dans les histoires inventées par les caprices de l'imagination : uneautre histoire s'y déroule à l'image du rêveur inconscient que l'acte d'écrire n'empêche pas de rêver.

Dans le théâtre d'Audiberti, dominé par un esprit deliberté et de révolte, la raillerie à l'égard du pouvoir souverain (Le Mal court), de la loi (Quoat-Quoat), de la police (Le Ouallou), ou le goût du blasphème (LaHobereaute) ne doivent pas nous dissimuler la présence d'un tout autre ordre de préoccupations cristallisé autour d'un thème fondamental : l'angoisse de lasolitude.

Nous la trouvons au revers du comique, comme au revers de la violence se cache une tendresse désenchantée. Il ne s'agit pas d'une angoisse métaphysique fondée sur l'irréductible séparation qui isole l'être de tout autre être en dépit d'une continuelle tentative decommunication.

Un tel concept ne pourrait du moins s'insinuer dans l'oeuvre d'Audiberti que d'une façon sous-jacente et comme l'invisible motivation detoutes les situations dramatiques conduites vers ce même dénouement que leur apporte l'échec de l'amour.

Car, par-dessus tout, c'est l'homme privé defemmes qui s'impose comme le principal personnage d'une dramaturgie de la solitude.

On en découvre le prototype en Loup-C lair, héros d'un de ses pluscurieux romans, Marie Dubois.

Et si Loup-Clair semble passablement heureux avec son amour c'est que, lorsqu'il commença de s'éprendre de Marie Dubois,elle était déjà morte.

Il réapparaît sous les traits du docteur Félicien, dans La Fête noire, pièce d'une construction un peu hasardeuse mais d'uneéblouissante écriture.

Pour l'homme esseulé, l'amour se transforme alors en passion vindicative et les désirs inassouvis en délire de férocité.

Le docteurFélicien égorge les femmes qui le dédaignent, tout comme Guy-Loup, dans Les Naturels du Bordelais, se voue à l'extermination des jeunes filles.

Quant auxpetites filles, futurs objets de convoitise et de dépit, elles seront jetées en pâture au vieux baron Massacre, l'étrangleur de la Hobereaute. Ces quelques exemples montrent l'extrême pointe, et la plus acérée, d'un comportement consolateur et compensateur où l'homme se dédommage dutourment que lui infligent les femmes toujours inaccessibles en poussant jusqu'à ses ultimes conséquences le sadisme du principe de punition.

Mais enmême temps, il ne peut se dérober à la fascination et à l'emprise qu'elles exercent sur lui.

La belle Hobereaute avec ses pouvoirs magiques nous estmontrée dans "sa splendide féminité juvénile" comme "une puissance de la nature… La forme charnelle de la vérité… Une fée… Une déesse" et Alarica, lafière princesse du pauvre royaume de Courtelande, est, dans Le Mal court, "la plus ravissante, la plus royale des créatures" —la plus énergique et la pluseffrayante aussi, revendiquant la puissance "par l'assassinat si c'est nécessaire". À la beauté se mêlent ainsi des vertus suspectes, une inquiétante magie, une volonté cruelle, qui justifient la substitution à l'amour de la haine.

Finalement,l'union idéale qui aurait dû donner l'une à un beau chevalier et l'autre au roi d'Occident, ne s'accomplira jamais, car on en revient toujours dans le théâtred'Audiberti (comme dans celui de Federico Garcia Lorca, mais pour d'autres raisons) à ce fait que l'amour est impossible.

Impossible aussi pour Amédée, lechargé de mission de Quoa-Quoat, amoureux de la fille du capitaine qui voulait le faire fusiller ; impossible pour le boucher Lafède, le "débonnaire colosse"des Femmes du Boeuf, qui fuira, seul, sa maison où trente femmes se désintéressent de lui. Mais, avec son scepticisme rêveur et sa nonchalance méridionale, Audiberti a bien trop d'esprit pour prendre le tragique au sérieux.

Dans son théâtre quioscille entre les fureurs élisabéthaines de la Hobereaute et le comique quasi-vaudevillesque de L'Effet Glapion, tout un univers baroque défile sur la scène,orchestré par les incessantes trouvailles d'un langage jamais à bout de souffle où les pires situations finissent toujours par avouer leur côté burlesque.. »

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