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Inachevé

Publié le 10/12/2021

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24 septembre 2000 À première vue, le bilan n'est pas fameux : le spectacle que donne la démocratie française est en effet de nature à inquiéter. Même si de réels motifs d'optimisme existent, il est inutile de se payer de mots. Certes, nous avons progressé : cinq ans, c'est mieux que sept pour un mandat présidentiel à qui l'on donne quelque chance de mieux s'accorder aux rythmes d'une démocratie plus moderne. Et l'initiateur de la réforme, Valéry Giscard d'Estaing, a eu raison de s'en féliciter et de faire observer que, pour les Français, tout le monde étant d'accord ou presque, l'affaire était entendue ; dès lors, le vote n'était plus qu'une formalité, vite expédiée, vite oubliée. C'est une vue rassurante, mais incomplète. Car le désaveu pour les politiques, et en premier lieu pour le couple exécutif, est là, massivement là. Et un observateur extérieur aura beau jeu de relever qu'en ce mois de septembre si bizarre, la France s'est offert successivement d'atteindre le point maximum d'une révolte corporatiste, celle des patrons routiers, couronnée de succès au prix d'une paralysie du pays, et de l'incivisme, avec une abstention référendaire record. Si la démocratie française est ainsi vouée à osciller entre corporatisme et incivisme, c'est qu'elle est bien mal en point ! A ce jeu, en effet, personne n'est indemne : ni les Français, ni les cohabitants, ni l'institution présidentielle. Les électeurs se sont placés dans une situation pour le moins paradoxale, réclamant plus de participation et boudant les urnes, et surtout abandonnant le terrain, leur terrain, aux politiques quand ils disent, par de multiples biais, vouloir s'en saisir eux-mêmes. Pour la cohabitation et ses titulaires, les mauvais côtés de l'opération l'emportent sur "le" bon, c'est-à-dire sur la réduction du mandat. Car les cohabitants se sont neutralisés, les socialistes essayant de se défausser sur le président alors que le premier ministre est lui aussi atteint. Mais le dommage maximum atteint évidemment la fonction présidentielle : après le fiasco de la dissolution, voilà la seconde arme de la prééminence présidentielle affaiblie. Nul plus que Jacques Chirac n'aura à ce point contribué, dans le domaine institutionnel, à défaire ce que de Gaulle avait fait. Ce qui n'est pas nécessairement en soi un mal ; encore faut-il considérer cette réalité comme telle. De ce point de vue, la prochaine étape de la mort lente de la Ve République est inscrite dans le calendrier électoral : dès lors que les députés seront élus quelques jours avant le président, c'est la majorité parlementaire qui commandera le système ; si la gauche gagne, on voit mal que M. Jospin renonce, mais on ne voit pas comment M. Chirac pourrait insister ; si la droite gagne - à ce jour, elle fait figure de favorite -, M. Jospin sera éliminé ; dans les deux cas, le président procédera, de facto, de l'Assemblée. Nous serons parvenus au point inverse de la fondation des institutions : Georges Pompidou, en proposant le quinquennat, avait voulu précisément éviter le retour du parlementarisme et faire pencher définitivement nos institutions vers le présidentialisme. Son fils spirituel et politique, Jacques Chirac, prend le chemin inverse. Il est vrai que ce dernier cherche, simplement, à assurer son propre salut. Par une véritable fuite en avant. Engagé dans un processus accéléré de déresponsabilisation présidentielle, il semble n'avoir d'autre issue que... d'en rajouter : ayant invité au référendum et constaté le désert des urnes, il promet d'autres référendums, d'initiative populaire ceux-là. Sur le mode : j'ai fait une erreur, qu'importe, je passe à la suivante ! Plus sérieusement, le propos présidentiel est de campagne... présidentielle : les référendums de la classe politique ne vous ont pas intéressés, a-t-il dit en substance aux Français, les miens, plus concrets, vous intéresseront. Autrement dit, après la fracture sociale, M. Chirac s'apprête, comme si de rien n'était - et, surtout, comme si elle ne le concernait pas -, à faire campagne contre une fracture démocratique, le point commun de l'une à l'autre étant de se poser en représentant du peuple contre les élites ! RELATIVISATION DU VOTE La manoeuvre a beau être grossièrement lisible, elle n'en est pas moins habile. Car l'abstention record de ce dimanche tout comme le score historique des blancs et nuls sont porteurs d'un message politique actif. Etudiant les cultures politiques des Français, un ouvrage collectif récent (sous la direction de Pierre Bréchon, Annie Laurent et Pascal Perrineau, Presses de Sciences Po) met en évidence une augmentation croissante, depuis la fin des années 70, des abstentionnistes "dans le jeu", c'est-à-dire politisés et curieux de la chose publique. C'est la preuve que l'abstention ne signifie plus une dépolitisation massive, mais traduit plutôt une relativisation du vote exprimant une critique tenace de l'offre politique existante. Désaveu pour les professionnels de la politique, l'abstention n'est donc pas forcément une mauvaise nouvelle pour la démocratie si, du moins, son message est entendu. Elle exprime la quête d'une souveraineté plurielle et complexe dont Pierre Rosanvallon trace fort bien les contours dans son dernier livre, La Démocratie inachevée (Gallimard). Sa thèse centrale est que la démocratie ne s'épuise pas dans le vote et qu'elle ne se réduit pas à la délégation de pouvoir au travers des représentants élus. "Le progrès de la démocratie passe par une certaine désacralisation de l'élection", n'hésite-t-il pas à écrire, avant d'ajouter : "La reconnaissance de la complexité du peuple doit conduire à accroître ses moyens d'expression. " Le pire, au lendemain de ce référendum décevant, sinon raté, serait de se lamenter ou de s'endormir. JEAN-MARIE COLOMBANI Le Monde du 26 septembre 2000

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